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Les opposants aux mesures sanitaires influenceront-ils le résultat des élections?

Difficile de dire pour qui votera ce segment de la population, et même s’il votera, jugent des spécialistes.

Une femme brandit un porte-voix et un cellulaire lors d'une manifestation.

Des opposants à la vaccination obligatoire manifestent devant le quartier général de la police à Toronto, le 4 septembre.

Photo : La Presse canadienne / Chris Young

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Les manifestations des derniers mois contre les passeports vaccinaux et autres mesures sanitaires ont rassemblé tout un spectre de groupes et d'idées. Comment jauger les effets de cette mouvance sur l’issue du scrutin? Des experts en science politique se prononcent.

D'abord, il est difficile de mesurer les préférences électorales de ce groupe hétérogène, conviennent les spécialistes de la question, même si des maisons de sondage (Nouvelle fenêtre) ont tenté de le faire auprès des opposants à la vaccination.

Au fil des mois, on a vu descendre dans la rue des opposants au masque et au couvre-feu, puis au passeport vaccinal, des partisans de la gauche comme de la droite radicale, des adeptes des médecines alternatives, dont certains rejettent la science, et des tenants de théories du complot, pour ne citer que ces exemples.

C’est sans compter des syndicats du secteur public qui se sont joints aux manifestations ces dernières semaines quand il a été question d’obligation vaccinale dans des milieux de travail.

On peut penser aussi aux gens qui s’en prennent à la caravane du chef libéral, Justin Trudeau, qui haranguent d’autres chefs (Nouvelle fenêtre) ou premiers ministres (Nouvelle fenêtre), ou qui bloquent l’accès à des lieux de soins ou agressent des travailleurs de la santé.

Des dizaines de personnes occupent une intersection avec des pancartes à la main.

Plusieurs milliers de personnes opposées à l’instauration du passeport vaccinal se sont fait entendre dans les rues de Vancouver, le 1er septembre.

Photo : Radio-Canada / Gian-Paolo Mendoza

Parmi les personnes les plus militantes qui passent à l’action, beaucoup refusent de parler aux firmes de sondages, aux chercheurs en sciences sociales ou aux médias. Cela peut représenter quelques dizaines de milliers de personnes au pays, selon le Réseau canadien anti-haine, qui suit cette mouvance à la trace.

Une partie des gens qui sont dans cette mouvance-là fait peu confiance aux institutions et aux sondeurs. C'est difficile d'aller vraiment les sonder à l'aide d'outils traditionnels; il y a des problèmes d’échantillonnage. Ça prend un travail de terrain important, souligne d'emblée Marc André Bodet, professeur de science politique à l’Université Laval, qui s’intéresse au comportement électoral.

Il constate que l’opposition aux mesures sanitaires et à la vaccination est transpartisane et même transidéologique, parce que l'opposition vient des extrémités du spectre, allant de l'extrême gauche à l'extrême droite.

La réticence à la vaccination est présente à la fois chez les classes populaires, mais également chez les personnes très scolarisées, note-t-il.

Toutefois, la participation active à la contestation, que ce soit par des manifestations dans les rues ou encore sur les réseaux sociaux, semble davantage concentrée dans la proportion qu’on qualifierait de classe populaire ou à revenu moins élevé, donc associée à un niveau d'éducation plus bas, poursuit M. Bodet.

Le chercheur remarque qu’une bonne proportion des citoyens qui ont ce profil socioéconomique s’abstiennent de voter, d’élections en élections.

« Ces gens-là sont probablement déjà dans l'abstention dure, donc le 20 % qui ne vote pas. On peut considérer que la contestation va se faire par un rejet de l'action de voter. »

— Une citation de  Marc André Bodet, professeur de science politique à l’Université Laval

Pour ceux qui décideront de s'impliquer dans la campagne fédérale, avec ce qu'on sait du profil socioéconomique, mais également des expériences passées de ce genre-là – que ce soit en analysant le phénomène des gilets jaunes en France ou des mouvements d’extrême gauche ou d’extrême droite en Europe – ils vont se diriger vers des partis de contestation. Donc, ici, ce sont le Parti populaire, dans l'est du Canada, et le Parti Maverick, plus dans l'Ouest, précise le chercheur.

Une épine dans le pied du Parti conservateur?

À quel point ce vote antivaccin et anticonfinement est-il fort? C'est difficile à dire pour le moment, admet Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s et spécialiste de la politique canadienne.

C'est certain qu'il y a au sein du Parti conservateur une frange plus réfractaire à l'imposition par en haut de mesures sanitaires. Ce n’est pas anodin que M. O'Toole se dise plus près du respect des libertés individuelles que du passeport vaccinal ou de la vaccination obligatoire, poursuit Mme Chouinard.

Et en Saskatchewan et en Alberta, on voit des gouvernements provinciaux qui, non seulement, ont tardé à mettre en place des mesures de confinement, mais qui sont parmi les régions où il y a eu le moins de limites à la liberté individuelle, malgré un nombre de cas élevé de COVID-19.

Mais une chose est sûre, selon elle : ces votes n’iront pas tous au Parti conservateur. On le voit par la présence du Parti populaire. Il reste marginal, mais, dans un certain nombre de circonscriptions, il pourrait réussir à diviser le vote de façon à nuire aux conservateurs, remarque-t-elle.

Est-ce qu'il y a une population assez large pour faire dérailler leur campagne électorale ou pour avoir un impact réel dans les 338 circonscriptions? Je ne le pense pas, toutefois. On voit que malgré la présence de manifestants assez vocaux, assez virulents aux événements où M. Trudeau se présente, ça demeure quand même marginal, conclut-elle.

Justin Trudeau remonte dans l'autocar du Parti libéral, entouré de son équipe de sécurité. Autour se trouvent des manifestants qui brandissent des pancartes, crient ou font un doigt d'honneur.

Des manifestants ont lancé des cailloux en direction de la caravane libérale, à London, en Ontario, le 6 septembre.

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Une certaine proportion des protestataires aux événements du chef libéral arborent en effet les couleurs du Parti populaire de Maxime Bernier.

« Plus de 75 % de la population canadienne est d'accord avec la vaccination obligatoire pour les fonctionnaires et d’accord avec un passeport vaccinal. Donc, ça demeure un phénomène de frange. »

— Une citation de  Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s

Mme Chouinard fait remarquer que notre mode de scrutin uninominal à un tour joue en défaveur des petits partis. Les formations à la marge obtiendraient une bien plus grande représentativité dans un système proportionnel, comme c'est le cas dans beaucoup de pays européens, ce qui changerait alors la donne sur le plan politique.

Qu’en est-il de la campagne du Parti libéral?

Selon Marc André Bodet, le Parti libéral a essayé de créer un point de clivage avec la vaccination obligatoire et les passeports vaccinaux, mais la tactique n’a pas fonctionné, d’après lui.

Ils ont voulu projeter une position qui n'était pas réellement celle du Parti conservateur pour créer un effet repoussoir sur cet électorat qui est de centre droit, socialement libéral, mais économiquement plus à droite, et les amener vers le Parti libéral. Mais le Parti conservateur a réussi quand même à bien se dépêtrer de tout ça, analyse-t-il.

Si les chances des conservateurs d'être au gouvernement étaient très mauvaises, il y aurait peut-être un transfert d'une frange, de quelques points de pourcentage, entre le Parti conservateur et le Parti populaire ou le Parti Maverick, poursuit le chercheur.

Mais là, la campagne conservatrice va quand même assez bien, leurs chiffres sont en croissance. Les modèles de comportement de vote démontrent que quand il y a une dissonance [lorsqu’un électeur est tenté de voter pour une autre famille politique que sa préférence, NDLR], le facteur qui finit par écraser les autres, c'est l'espèce de vote tactique [vers le parti qui a une chance de l’emporter].

C'est pour ça que dans ce cas-ci, si les conservateurs réussissent à se maintenir dans des eaux intéressantes, la crainte d'un départ important vers les marges est à mon avis assez faible, conclut Marc André Bodet.

Stéphanie Chouinard juge quant à elle que la présence de manifestants violents aux événements de M. Trudeau peut lui donner un certain capital de sympathie auprès de l’électorat canadien.

Par contre, il y a un risque pour lui de tenter d'instrumentaliser ces manifestants-là. Dans ce cas, je pense que tout le monde verrait assez clair dans son jeu, estime la chercheuse.


Violences en campagne électorale : des précédents

Ce n’est pas la première fois que des manifestations ou des menaces viennent compromettre la sécurité d’un chef politique dans le cadre d’une campagne électorale au Canada.

En 2019, Justin Trudeau avait dû porter un gilet pare-balles lors d’un rassemblement partisan à Mississauga, car des menaces avaient été proférées à son endroit. Le dispositif de sécurité avait aussi été resserré autour de lui.

En 1988, les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney tentaient de se faire réélire sur l’enjeu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Beaucoup de groupes s’opposaient au libre-échange à l’époque; M. Mulroney se faisait insulter pratiquement à toutes les manifestations où il passait.

À Moncton, un manifestant avait donné un coup de pancarte dans le ventre de l’épouse de M. Mulroney, rappelle Stéphanie Chouinard. Mila Mulroney avait été ébranlée et avait mis du temps à s’en remettre. Des historiens ont jugé que cette campagne avait été la plus brutale de l’histoire du pays, rappelle Brian Mulroney (Nouvelle fenêtre), qui avait obtenu un deuxième mandat.

Des manifestants brandissent des pancartes sur lesquelles il est écrit en anglais « Ne nous enlevez pas notre Canada » et « Laissez les Canadiens décider ». Un policier se tient à côté d'eux.

Des manifestants contre le libre-échange accueillent Brian Mulroney devant un hôtel de Toronto, le 20 septembre 1988.

Photo : La Presse canadienne / BILL BECKER


Un danger dans l’américanisation du débat politique au Canada

Les chercheurs voient dans les événements récents une preuve de plus d’une américanisation du discours politique au pays et de ses effets délétères sur nos institutions.

En voyant les manifestations qui ont lieu dans le cadre de la campagne actuelle, mais aussi le type d'imagerie utilisé, le type de slogans qui est employé par les manifestants, on ne peut pas se détacher du contexte des deux dernières élections américaines, souligne Stéphanie Chouinard.

« Il y a une inquiétude à savoir si on n'est pas en train de tomber dans un délire américain, où on voit une plus grande polarisation de l'électorat, avec les conséquences néfastes sur la santé de notre démocratie. »

— Une citation de  Stéphanie Chouinard

Elle soutient que les grandes formations politiques sont en partie responsables de la détérioration des échanges, mentionnant du même souffle que la population canadienne en général juge sévèrement le recours aux attaques personnelles et les stratagèmes politiques négatifs.

C'est un secret de polichinelle que parmi les stratèges démocrates aux États-Unis, il y en a qui viennent travailler dans les campagnes libérales. C'est la même chose pour les conservateurs avec les républicains. Donc, il y a une espèce d'importation de certaines stratégies des États-Unis, rappelle-t-elle.

Les conservateurs canadiens feraient aussi appel à des stratèges qui ont œuvré auprès du premier ministre conservateur Boris Johnson au Royaume-Uni dans la préparation du Brexit, mentionne-t-elle.

Marc André Bodet trouverait dommage de ne plus pouvoir tenir des campagnes de terrain. La population apprécie cette proximité des élus.

Au Canada, on part d'une société assez pacifique, mais ça, ça peut être une inquiétude. Comment on se prépare à ça, comment on fait campagne, comment on se protège? Est-ce qu'éliminer les bains de foule, ça va devenir nécessaire? Ça serait dommage, la proximité, le porte-à-porte, toutes ces choses là, c’est [important].

Et ça ne prend pas 200 000 personnes [pour qu’il y ait un événement dramatique]. Ça prend 100 ou 50 personnes qui sont prêtes à poser des gestes, souligne-t-il.

Une affiche identifiant l'emplacement du bureau de vote. On aperçoit, en arrière-plan, des électeurs.

Des électeurs se rendent dans un bureau de vote.

Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Malgré tout, Mme Chouinard et M. Bodet sont d'avis que des questions légitimes se sont posées ces derniers mois et ont trouvé écho lors de manifestations : combien de temps encore doit durer l'état d'urgence sanitaire et le pouvoir par décrets? Jusqu'où peut aller le gouvernement sans consulter l'ensemble des élus?

Les deux chercheurs, qui déplorent les propos et gestes violents, croient que l’engagement politique et la participation électorale demeurent des clés pour assurer la santé de nos institutions démocratiques et un climat politique sain.

Avec les informations de CBC

Consultez notre dossier sur les élections fédérales 2021.
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