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À quand la surveillance obligatoire des chantiers de construction au Québec?

« On est actuellement en train de bâtir une bombe à retardement qui va nous sauter au visage d'ici peut-être dix ans », selon l'avocat spécialisé dans le droit de la copropriété Yves Joli-Coeur.

Deux travailleurs de la construction sur un chantier.

La surveillance des chantiers de construction résidentielle n'est pas obligatoire au Québec.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La surveillance des chantiers de construction résidentielle deviendra obligatoire au Québec, dit la ministre responsable de l’Habitation, mais pas nécessairement durant le présent mandat du gouvernement caquiste. Contrairement à ce qui se fait partout ailleurs au Canada, le Québec fait bande à part en matière de surveillance de chantiers.

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, est exaspérée par les histoires horribles vécues par de nombreux propriétaires. On n'en veut plus. On n'en veut pas, dit-elle en faisant référence aux propriétaires qui se retrouvent à devoir défaire et refaire certaines parties de leurs maisons ou appartements en copropriété, car ils ont été mal construits. Elle ajoute être totalement consciente que ça prend une amélioration.

Des discussions sont en cours entre son ministère, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), de même qu’avec différents acteurs de la construction. Au niveau de la surveillance des chantiers, la rendre obligatoire, on va y arriver, je suis sûre. Mais si vous me dites : "Mme Laforest, est-ce que ça va devenir obligatoire dans votre mandat?", je ne peux pas vous répondre.

Portrait d'Andrée Laforest.

La ministre des Affaires municipales et de l'habitation, Andrée Laforest.

Photo : Radio-Canada

Depuis les vingt dernières années, plusieurs ministres de l'Habitation se sont succédé, personne n'a osé rendre obligatoire la surveillance sur les chantiers de construction résidentielle. On entend par surveillance l’ensemble des inspections par un professionnel, indépendant du constructeur, à chacune des étapes de la construction.

L’actuelle ministre affiche une grande volonté d’y parvenir, mais elle rencontre déjà de la résistance de la part des constructeurs. Les gens nous ont dit : "Madame Laforest, avez-vous pensé si, avant de fermer un mur, on doit attendre une inspection particulière pour fermer notre mur? Les chantiers n’avanceront pas!"

Une société distincte

La surveillance des chantiers de construction résidentielle n'est pas obligatoire au Québec alors qu’elle l’est partout ailleurs au Canada. Dans les autres provinces, un inspecteur doit apposer son sceau d'approbation à chacune des étapes cruciales de la construction d’une habitation. Avant de passer à une autre étape, l’inspecteur doit donner son autorisation.

Portrait de Richard LeBlanc.

L'avocat Richard LeBlanc dénonce l'inaction des gouvernements depuis 25 ans.

Photo : Radio-Canada

Ce caractère distinctif de la province révolte l’avocat Richard Leblanc, qui, à son bureau de Gatineau, traite des centaines de cas de vices cachés par année. Les dossiers de vices cachés, c'est une moyenne de 40, 45 000 $. Les gens ne l'ont pas, l'argent, estime Me Leblanc. C'est des faillites et des divorces à cause d'un crétin qui, un vendredi, était pressé de fermer le mur. Moi, je n'accepte pas ça, je n'accepte surtout pas que les gouvernements depuis 25 ans s'en fichent royalement.

Appuyée par une foule d’associations et d’ordres professionnels du Québec tels l’Ordre des architectes, l’Ordre des technologues professionnels, le Bureau de l'inspecteur général de la Ville de Montréal et le Bureau des assurances du Canada, Kathy Baig, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec, plaide pour que le Québec adopte une loi pour rendre obligatoire la surveillance des chantiers.

La présidente de l'Ordre des ingénieurs du Québec appuie la surveillance de chantier.

Kathy Baig, présidente de l'Ordre des ingénieurs du Québec.

Photo : Radio-Canada

Pour moi, c'est étonnant que ça ne soit toujours pas obligatoire, remarque Mme Baig. Sauf qu'il y a beaucoup de messages d'indicateurs qui [en] montrent la nécessité. Des études montrent qu'un problème peut coûter jusqu'à 15 fois [plus cher que] si on l'avait réglé en amont.

La licence RBQ : un permis pour construire n'importe comment?

Au Québec, la RBQ et le nouvel organisme Garantie de construction résidentielle (GCR) effectuent des inspections. Mais dans son rapport d'enquête sur la RBQ rendu public en juin dernier, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, déplorait que seulement 7 % des chantiers des détenteurs d'une licence d’entrepreneur général avaient fait l’objet d'une inspection. C’est 12 % dans le cas des chantiers des entrepreneurs spécialisés.

Portrait de Guylaine Leclerc.

La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc.

Photo : Radio-Canada

Il y a très peu d'inspections, précise Mme Leclerc. [La RBQ] va faire des inspections lorsqu'elle a une plainte du public. Mais on s'est rendu compte qu'il y a eu très peu de correctifs exigés suite aux plaintes du public.

De son bureau d'avocat de Gatineau, Me Richard Leblanc peut voir la différence dans la qualité de la construction juste en regardant à l’ouest de la rivière des Outaouais. Un mauvais entrepreneur en Ontario ne dure pas longtemps, dit-il. Quelques semaines. Et puis quand le mot se passe, il ne peut plus travailler. Au Québec, les pourris peuvent faire des dommages durant des années et jamais la Régie ne va intervenir, dénonce l’avocat.

Me LeBlanc a été président de la section Outaouais de l'Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) pendant 4 ans. Moi [quand] j'étais président de l'APCHQ, on croyait sincèrement qu'on était sur une bonne voie. Mais j'ai vite désenchanté. Et m'apercevoir que ça ne fonctionnait pas.

Un peintre au bout du rouleau

Sébastien Deland éprouve une colère envers la Régie du bâtiment du Québec. Détenteur d’une licence d’entrepreneur, ce peintre de métier souhaite que la licence de la RBQ redevienne un gage de qualité. La RBQ, le mandat principal, c'est de s'assurer de la qualité, rappelle-t-il. Si on fait nos propres recherches, on voit effectivement que ça n'a aucun rapport avec la qualité. Ça garantit zéro comme une barre les compétences.

Si la RBQ a perdu le contrôle de la qualité, c’est aussi parce qu'elle octroie trop facilement ses licences à ceux qui en font la demande. C'est vraiment aberrant, parce que ce n'est pas normal d'offrir des licences sur un plateau d'argent, remarque-t-il.

Portrait de Sébastien Deland.

L'entrepreneur Sébastien Deland dénonce les règles d'attribution des licences de la RBQ.

Photo : Radio-Canada

Pour obtenir une licence, les candidats doivent réussir une série d’examens de la RBQ ou suivre une formation. Ces examens écrits sont à choix multiples. Ça ne vaut absolument rien, souligne M. Deland. On évalue des métiers manuels par des examens écrits à choix de réponses. Même un permis de conduire, si tu vas à la SAAQ, c'est plus compliqué parce que t'as un examen écrit, puis tu as un examen sur la route. Là, il donne une licence avec le pouvoir d'exécution des travaux. Sans compétence.

Comme l’a découvert la vérificatrice générale, le processus par lequel les licences d'entrepreneurs sont accordées comporte des lacunes. Ces examens sont les mêmes depuis 2008. Les examens n'ont pas été renouvelés depuis plusieurs années, souligne Mme Leclerc. Comme ils n’ont pas changé depuis 13 ans, on peut acheter les réponses aux examens sur différentes plateformes de revente telles que Kijiji ou Market Place.

La conséquence, c'est que l'évaluation de la compétence n'est pas adéquate, déplore Guylaine Leclerc. C'est le rôle de la RBQ de s'assurer de la compétence des entrepreneurs à qui elle octroie une licence. Elle ne le fait vraiment pas adéquatement [car] on a identifié plusieurs lacunes.

Portrait de Michel Beaudoin.

Michel Beaudoin, président-directeur général de la Régie du bâtiment du Québec.

Photo : Radio-Canada

Le président-directeur général de la RBQ, Michel Beaudoin, reconnaît le problème et prend l’engagement de s’y attaquer. Le constat actuel qui a été fait par le Vérificateur général, on le partage, et pour nous, ce qui est important, c'est de se tourner vers l'avenir, d'avoir un examen qui va répondre adéquatement, informatisé, d'avoir un examen renouvelé.

Une bombe à retardement - Me Yves Joli-Coeur

Avec 42 000 détenteurs d’une licence, difficile pour le consommateur de distinguer les bons des incompétents. Le problème, c'est les crottés, c'est les mauvais, le bas de gamme dans l'industrie résidentielle, lance l’avocat Richard LeBlanc. Moi, je vous dis, c'est de 15 à 20 %, ce qui est inacceptable.

Avocat spécialisé dans le droit de la copropriété, Yves Joli-Coeur est aussi le fondateur d’un organisme qui regroupe des gestionnaires et des copropriétaires de condos. Il dresse un portrait sombre de notre patrimoine immobilier. On est actuellement en train de bâtir une bombe à retardement qui va nous sauter au visage d'ici peut-être dix ans.

Yves Joli-Coeur assis à une table.

L'avocat Yves Joli-Coeur s'inquiète des conséquences de l'absence de surveillance des chantiers au Québec.

Photo : Radio-Canada

Selon lui, les précédents gouvernements ont répété les mêmes erreurs. On a une vision uniquement à court terme. On doit construire des logements, peu importe s'ils sont de qualité ou pas. C'est pas grave, en autant qu'ils ne coûtent pas trop cher. Et le gouvernement a un poids moral important, il en est responsable.

Me Joli-Coeur a siégé pendant quelques années au conseil d'administration de la RBQ.

Pendant des années, pour avoir côtoyé le gouvernement, tous les partis politiques confondus, je me faisais dire qu'on n'avait pas les moyens de mettre en place un contrôle de qualité professionnelle [parce que] ça coûterait trop cher. Et c’est malheureusement comme ça que la construction s’est faite au Québec.

Sur les coûts reliés à la surveillance des chantiers, la ministre Andrée Laforest lui donne raison : Parce qu'on manquait de moyens, on manquait d'effectifs, nous a-t-elle confié.

Les immeubles qu’on construit aujourd’hui, ils devraient être bons pour nos petits-enfants. Et non pas pour les gens qui vont l’occuper dans les deux premières années.

Une citation de Me Yves Joli-Coeur

Un reportage complet sur la RBQ sera présenté ce soir mardi à La Facture, 19h30.

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