La colère des pêcheurs s’immisce dans la campagne électorale en Nouvelle-Écosse

Des pêcheurs au quai de Saulnierville, dans la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, au début septembre.
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il y a un an, les revendications de la Première Nation Mi’kmaq pour une pêche de subsistance convenable autogérée ont mené à de violentes altercations en Nouvelle-Écosse. Aujourd’hui, la gestion de la pêche au homard demeure au cœur des préoccupations dans la baie Sainte-Marie et cet enjeu pourrait bien influencer le vote lors des élections fédérales.
Le pêcheur Jordan Chase est de retour au quai de Saulnierville, en Nouvelle-Écosse. À 29 ans, il est capitaine de son bateau. Cette année est beaucoup plus calme avec les pêcheurs commerciaux
, dit-il.
À l’instar des autres pêcheurs de la Première Nation Mi’kmaq de Sipekne’katik, Jordan Chase détient deux permis de pêche : le premier à des fins alimentaires, sociales et rituelles et l’autre de subsistance convenable.
C’est cette deuxième pêche qui avait soulevé la colère des pêcheurs allochtones en septembre 2020. Ils disaient craindre pour les stocks de homard dans la baie Sainte-Marie.

Le pêcheur Chase Jordan au quai de Saulnierville, dans la baie Sainte-Marie
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
Le droit de pêche des Autochtones est reconnu par la Cour suprême du Canada, mais la notion de subsistance convenable n’a jamais été définie. En mars 2021, Pêches et Océans tranche que cette pêche doit se faire à l'intérieur de la saison commerciale et selon les mêmes règles.
Cette [année], les agents de pêche sont bien plus sévères
, dit Jordan Chase. Ils saisissent nos casiers et nos bateaux. Ils ont même arrêté puis relâché le chef de Sipekne’katik.
Un coup d’éclat
L’attitude du fédéral ressemble à de l’intimidation, selon le chef de la communauté de Sipekne’katik, Mike Sack. Le chef a lui-même été arrêté par des agents de pêche puis relâché.
Je pense que dans les prochains jours on va brasser un peu la cage et voir ce qui se passe avec les engagements des différents partis et ce qu'ils pourraient faire pour nous.

Le chef de la Première Nation mi’kmaq de Sipekne'katik, Mike Sack, a été arrêté le 16 août, au moment où sa communauté lançait sa pêche de subsistance (archives).
Photo : Radio-Canada
La cheffe nationale de l'Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, se rendra jeudi au quai de Saulnierville, en Nouvelle-Écosse. Je me tiens aux côtés de Mike Sack et tous les autres pêcheurs mi’kmaq qui exercent leurs droits inhérents issus des traités sur la pêche au homard de l'Atlantique
, a-t-elle déclaré par courriel.
Jordan Chase ira voter, mais il préfère ne pas dévoiler quel candidat aura son vote. Tout le Canada surveille ce qui se passe ici. Donc je pense que, oui, cela a certainement un impact sur les élections.
La baie sous surveillance
Depuis la fermeture de la saison commerciale de pêche au homard, le 31 mai, des opérations dans la baie Sainte-Marie ont entraîné la saisie d'environ 576 casiers à homard pour diverses raisons, notamment des casiers mal étiquetés et des étiquettes non autorisées, et la remise à l'eau de plus de 7440 homards.
Plus de 20 personnes ont été arrêtées pour diverses infractions présumées à la Loi sur les pêches.
Source : Pêches et Océans Canada
La colère des pêcheurs non autochtones
Ça fait tellement d'années qu'il y a un abus à la baie Sainte-Marie, donc la mentalité des pêcheurs, c'est sûrement un changement de gouvernement. Ça, c'est définitif
, croit le conseiller de l’Union des pêcheurs des Maritimes au local de Meteghan, Daniel Nadeau.

Le représentant de l'Union des pêcheurs des Maritimes, Daniel Nadeau, croit que le gouvernement fédéral aurait pu en faire plus pour régler le conflit de pêche dans la baie Sainte-Marie.
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
L'Union des pêcheurs des Maritimes, un des groupes qui représentent les pêcheurs allochtones, accuse la ministre sortante des Pêches d'avoir laissé le conflit s’éterniser alors qu'elle avait le pouvoir d'intervenir plus tôt.
Notre plus grande frustration, c'est le manque d'application de la loi par rapport à Pêches et Océans, ils ont l'opportunité d'arrêter cette pêche
, dit Daniel Nadeau.
La question de l’urne?
La circonscription de Nova-Ouest est détenue par l'Acadien Chris d’Entremont, qui sollicite un deuxième mandat. Il détenait le seul siège des conservateurs en Nouvelle-Écosse à la dissolution du Parlement.
Ce n’est pas la confiance, mais je me sens bien, mais en même temps on sait qu’une élection peut changer en deux secondes
, dit Chris d’Entremont.
Chris d’Entremont croit que ce conflit sur les pêches aura une influence sur le choix des électeurs le 20 septembre. Il espère aussi que le changement de couleur lors des élections provinciales – la province est passée du rouge au bleu – va créer une conjoncture favorable pour son parti.
J’espère que c’est une vague sur laquelle on peut s’attacher
, dit-il.
La candidate libérale, Alxys Chamberlain, n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Un ancien ministre des Pêches, le libéral Robert Thibault, craint que Bernadette Jordan soit en danger dans sa circonscription.
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
Un ancien député libéral de la région et ancien ministre des Pêches sous Jean Chrétien, Robert Thibault, pense même que le siège de la ministre sortante des Pêches, Bernadette Jordan, dans la circonscription voisine, pourrait être en danger.
J'ai fait ma contribution financière pour les libéraux et je vais voter pour notre candidate. C'est une très bonne candidate. Mais malheureusement, ça va être difficile pour elle, à la baisse cette année, à la baie Sainte-Marie
, croit Robert Thibault.
Elle aurait pu être présente sur les quais, on n'a pas vu beaucoup de ça. Les gens n'ont pas tellement confiance
, ajoute-t-il au sujet de la ministre sortante.

La ministre libérale sortante, Bernadette Jordan, avoue qu'elle aurait pu mieux communiquer lors du conflit de pêche qui a secoué la baie Sainte-Marie l'année dernière.
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
Bernadette Jordan, qui sollicite un troisième mandat dans South Shore-St. Margarets, reconnais qu'elle aurait pu mieux communiquer durant la crise. Elle ne veut cependant pas se prononcer sur l’impact de cet enjeu dans le choix des électeurs.
Nous devrons attendre et voir comment cela se déroulera. Comme je l'ai dit, il y a un certain nombre de personnes dans différentes régions de la circonscription qui ont des préoccupations différentes. Reste à savoir s'il s'agit ou non de la question de l’urne
, indique Bernadette Jordan.
Un enjeu explosif
Est-ce que cela pourrait effectivement affecter les chances de réélection de Bernadette Jordan? Moi, je pense que oui. C’était elle qui était le visage du gouvernement fédéral dans la région durant ce conflit-là
, fait valoir le politologue Yvon Grenier.
Mike Sack, c’est quelqu’un qui est habile politiquement parce qu’il sait très bien que c’est le temps maintenant de provoquer les choses.
Le conflit est épineux et potentiellement explosif pour le parti qui se risque à l'exploiter, rappelle Yvon Grenier.
C'est quelque chose qui peut exploser au visage de n'importe quel gouvernement à cause de tous ces faits, cette histoire de lois qui ne sont pas respectées, des traités qui ne sont pas respectés, des termes qui sont mal définis, les paramètres qui sont mal définis. Tout est vague et tout est potentiellement clivant et explosif sur cette question
, ajoute-t-il.
De son côté, l’Union des pêcheurs des Maritimes et d’autres associations ont lancé une pétition. Ils demandent aux candidats locaux de s’engager à rétablir une pêche qui respectera les stocks de homard tout en rétablissant les relations avec les pêcheurs autochtones.
Je pense que la vision de la réconciliation à M. Trudeau, c'est une réconciliation entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations. Mais en réalité, la réconciliation, ce que ça doit vraiment être, c'est une réconciliation au sein des communautés. Et ce qu’on a vu dans plusieurs de nos régions, c'est l'inverse
, dit le directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes, Martin Mallet.