Des enfants de demandeurs d’asile laissés sur le seuil de porte des CPE
Les demandeurs d’asile résidents du Québec ont accès à un permis de travail, à des services médicaux et même à l’assistance sociale. Mais depuis trois ans, Québec leur refuse l’accès à des places en garderie subventionnée. Des voix s’élèvent pour corriger la situation.

Cette mère multiplie les démarches pour que son enfant ait une place en garderie.
Photo : Radio-Canada / Nancy Caouette
En novembre 2019, Galatea* a pris un vol vers Montréal sans retour parce qu’elle craignait pour sa vie au Mexique. Elle a débarqué avec un cœur lourd, des souvenirs en tête, une valise à la main et, à son insu, une puissante raison de vivre au ventre : sa fille, Melissa, qui a maintenant un an.
Ce fut une arrivée chaotique, car je me résignais à abandonner mon pays et mes proches. J’ai découvert le froid, la neige… et que j’étais enceinte après des examens à l’hôpital pour une bête chute sur la glace. J’ai aussi commencé à apprendre le français… mais la pandémie a tout bousculé
, raconte-t-elle, assise à l’ombre d’un arbre au parc La Fontaine, à Montréal, en lançant des chut!
à sa fille, qui rappelle sa présence par de petits cris stridents.
Galatea a rapidement inscrit sa fille sur le portail de places en garderie et en centre de la petite enfance (CPE) du gouvernement québécois. La mère célibataire de 36 ans, qui a travaillé durant 14 ans dans le service à la clientèle dans l’industrie hôtelière du Mexique, a rapidement obtenu un permis de travail. Elle comptait commencer à travailler à temps plein et apprendre le français les soirs et les fins de semaine dès que sa fille entrerait en garderie. Un CPE m’a appelée pour me dire qu’il avait une place pour ma fille lorsqu’elle avait 5 mois. J’étais folle de joie!
, relate-t-elle.
Mais la bonne nouvelle s’est rapidement transformée en cauchemar. Après deux jours de familiarisation, la direction a demandé à Galatea de venir chercher sa fille, car elle n’avait pas accès au CPE en raison de son statut de demandeuse d’asile.
Ça m’a vraiment fâchée. Ils ont eu mon dossier entre les mains une semaine avant l’intégration de ma fille. J’ai dû acheter des couches et du lait maternisé à leur demande. Des dépenses importantes que je n’avais pas prévues. L’attente était grande. Ils auraient dû vérifier le dossier plus tôt
, dit-elle, en essuyant rapidement une larme sur sa joue.
Galatea a ensuite cogné aux portes d’un autre CPE et d'une garderie subventionnée, qui lui ont tous dit la même chose après des vérifications auprès de Québec : Nous ne pouvons prendre votre fille parce que le gouvernement ne nous permet pas d’accepter des demandeurs d’asile.
En entrevue, un CPE et une garderie confirment avoir tenté de plaider la cause de Galatea à Québec, mais sans succès. Elle m’a fait beaucoup pitié, en toute honnêteté
, raconte le propriétaire de la garderie en milieu familial Serana, Hamid Khoudi, qui ne savait pas que les demandeurs d’asile n’avaient pas accès aux garderies subventionnées avant de rencontrer Galatea. Elle peut travailler, elle paie des impôts, mais elle n’a pas accès aux places en garderie universelle. Ça me tracasse, il y a quelque chose de juridique qui est faux là-dedans
, dit-il.
Un règlement sujet à interprétation et à confusion
L’accès aux CPE et aux garderies subventionnées pour les demandeurs d’asile n’a jamais été clairement inscrit dans une loi ou un règlement. Toutefois, un flou dans le règlement sur la contribution réduite
a longtemps permis à tout résident du Québec détenteur de permis de travail, dont les demandeurs d’asile, d’obtenir une place en garderie à prix modique.
En avril 2018, alors que plus d’un millier de demandeurs d’asile entrent de manière irrégulière au Québec, le gouvernement de Philippe Couillard envoie une nouvelle directive claire au milieu de garderies subventionnées : les demandeurs d’asile n’ont pas accès à ces services parce qu’ils ne sont pas des réfugiés et parce qu’ils ne sont pas ici principalement pour travailler
, comme le stipule l’article 3 du règlement.
L’agente de soutien aux opérations de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées ou immigrantes (TCRI), Erika Massoud, dénonce le fait qu’à l’instar de Galatea, des centaines d’autres parents vivent la même exclusion au Québec.
C’est une directive complètement discriminatoire, surtout envers les femmes
, lance celle qui coordonne le Comité Accès Garderie, un groupe qui rassemble des intervenants, des professionnels de la santé et des services sociaux et des personnes demandeuses d’asile et fondé à la suite de cette nouvelle directive gouvernementale.
« Ce règlement touche de manière disproportionnée les femmes demandeuses d’asile et monoparentales qui, même avec un permis de travail, n’ont d’autres choix que de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants. »
Envoi d’une lettre signée par plus de 300 professionnels de la santé et des services sociaux à Québec, rencontre avec le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, en 2019, pétition en ligne rassemblant plus de 13 000 signatures, lettre envoyée aux députés de tous les partis fédéraux et provinciaux en juin dernier : rien n’y fait, le Comité n’a pas réussi à faire changer Québec d’avis sur la question.
Erika Massoud souligne que Québec renvoie la balle à Ottawa sur cette question, en affirmant qu’il faut du financement pour financer ces places en garderie pour ces demandeurs d’asile. La province vient justement de recevoir une enveloppe de 6 milliards de dollars de la part d’Ottawa. François Legault dit qu’il souhaite que tous les parents qui ont besoin d’un service de garde y aient accès. Ça doit inclure les parents demandeurs d’asile qui sont résidents du Québec et grandement vulnérables
, soutient-elle.
Le porte-parole de Québec solidaire en matière d’immigration, Andrés Fontecilla, l’un des rares députés à avoir talonné le gouvernement sur cette question, est du même avis. Il y a beaucoup d’argent sur la table, le gouvernement de François Legault devrait ouvrir la porte à ces enfants-là aux services de garde subventionnés. Il en va d’un droit fondamental de ces enfants-là de pouvoir s’épanouir et de se développer dans un service de garde
, déclare-t-il.
Le député de Laurier-Dorion qualifie pour sa part de subterfuge
les arguments juridiques évoqués pour la première fois par les libéraux et reconduits, dit-il, par la CAQ, voulant que les demandeurs d’asile ne soient pas ici principalement pour travailler
.
Durant la pandémie, ils n’étaient pas en télétravail. Ces gens-là, ils étaient dans les usines, dans les abattoirs et dans les CHSLD pour prendre soin des personnes âgées. C’est une insulte à l’intelligence et à l’ensemble de la population québécoise
, tempête-t-il.
Dans un courriel, le ministère de la Famille affirme travailler avec le ministère de l’Immigration, Francisation et Intégration Québec pour réfléchir au statut de demandeur d’asile et les services gouvernementaux offerts
. Il ajoute que les demandeurs d’asile sont admissibles aux places en garderie subventionnée une fois qu’ils reçoivent le statut de réfugié.
Or, selon une récente étude de l’Institut universitaire SHERPA sur le parcours d’installation des demandeurs d’asile au Québec, les délais d’attente pour une audience afin d’obtenir le statut de réfugié sont généralement de 18 à 24 mois. De longs mois durant lesquels les enfants se trouvent exclus des garderies subventionnées
, déplore Erika Massoud.
Contestation judiciaire
L’avocate Sibel Ataogul a décidé de contester la constitutionnalité des agissements du gouvernement dans ce dossier en Cour supérieure avec son collègue Guillaume Grenier de la firme Melançon Marceau Grenier Cohen. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse s’est aussi jointe à la démarche.
Ce sont des femmes qui viennent ici et qui demandent le statut de réfugié, qui ont un permis de travail, qui, malgré tout ce qu’elles ont vécu, tous leurs traumas, veulent travailler, veulent s’intégrer. Et on leur dit : "Tu n’as pas accès à une garderie subventionnée". C’est comme dire que dans un hôpital, la personne la plus malade n’aura pas accès à tes soins. C’est illogique
, affirme Sibel Ataogul.
Le procès doit s’ouvrir le 21 avril 2022 au palais de justice de Montréal.
* Galatea, une Montréalaise d’origine mexicaine, nous a demandé de protéger son identité, car elle craint que son témoignage puisse nuire à la demande d’asile qu’elle a présentée aux autorités canadiennes en janvier 2020.