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Les talibans en quête d'une légitimité internationale

À l'aéroport de Kaboul, théâtre de scènes chaotiques lundi, les vols militaires d'évacuation de diplomates et de civils ont repris après des heures d'interruption.

Plusieurs hommes armés devant un édifice.

Des talibans montent la garde devant le ministère afghan de l'Intérieur, mardi, à Kaboul.

Photo : Getty Images / AFP/JAVED TANVEER

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Le nouveau régime taliban qui s'installe en Afghanistan s'efforce mardi de présenter un visage acceptable au peuple afghan et à la communauté internationale, toujours sous le choc de l'offensive éclair qui a permis aux insurgés de redevenir les maîtres du pays.

Lors d’une première conférence de presse donnée mardi soir à Kaboul, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a notamment soutenu que tous les collaborateurs de l'ancien gouvernement et des forces étrangères, incluant les policiers et les militaires, profiteront d’une amnistie et ne seront pas embêtés.

« Tous ceux qui sont dans le camp opposé sont pardonnés de A à Z. […] Nous ne chercherons pas à nous venger. »

— Une citation de  Zabihullah Mujahid, porte-parole des talibans

Cela vaut aussi pour les interprètes et les sous-traitants qui ont été à l’emploi des différentes armées occidentales et qui ont foulé le sol du pays au cours des 20 dernières années, a-t-il précisé. Personne ne va vous faire de mal, personne ne va venir frapper à votre porte, a-t-il déclaré à leur intention.

Le futur émirat islamique d’Afghanistan veut en outre de bonnes relations avec la communauté internationale, a-t-il assuré. Les animosités ont pris fin, et nous voulons vivre pacifiquement. Nous ne voulons ni d'ennemis internes ni d'ennemis externes, a-t-il dit.

Vue aérienne d'une intersection. Plusieurs piétons et automobiles circulent. Des échoppes sont ouvertes.

La circulation automobile et piétonne a repris mardi à Kaboul, comme le montre cette vue aérienne d'un marché public dans le secteur de Kote Sangi. Peu de femmes s'aventurent dans les rues, toutefois.

Photo : Getty Images / AFP/HOSHANG HASHIMI

Les droits des femmes respectés « dans le respect des principes de l'islam »

Zabihullah Mujahid a aussi indiqué que les droits des femmes seront respectés, et que celles-ci pourront continuer de travailler, d’étudier et d'être actives dans la société, mais en ajoutant que cela devrait avoir lieu dans le respect des principes de l'islam. Il n'a pas donné plus de précisions sur ce que cela pourrait signifier concrètement.

Dans une entrevue qu'il a donnée à la chaîne Sky News, Suhail Shaheen, porte-parole du bureau politique des talibans à Doha, a pour sa part indiqué que le port de la burqa, un voile intégral, ne serait pas obligatoire pour les femmes, car il existe différents types de voiles.

Plus tôt dans la journée, Enamullah Samangani, membre de la commission culturelle des talibans, s'était aussi montré soucieux du sort qui pourrait être réservé aux femmes, maltraitées sous le régime taliban avant l'invasion des forces internationales, en 2001.

Des adolescentes écrivent dans une salle de classe.

Des étudiantes sont en classe mardi à Herat, tombée aux mains des talibans la semaine dernière.

Photo : Getty Images / AFP/AREF KARIMI

Les femmes, a-t-il dit, ont été les principales victimes de plus de 40 ans de crise en Afghanistan.

« L'émirat islamique d'Afghanistan ne veut plus que les femmes soient des victimes. [Il] est prêt à leur offrir un environnement pour travailler et étudier, et [une place] dans différentes structures en conformité avec la loi islamique et nos valeurs culturelles. »

— Une citation de  Enamullah Samangani, membre de la commission culturelle des talibans

Avant 2001, les Afghanes faisaient les frais de l'approche ultraconservatrice des talibans. Elles demeuraient essentiellement confinées à leur résidence, forcées de porter la burqa quand elles en sortaient, tandis que l'éducation des fillettes se limitait au cours primaire.

Autre signe de cette volonté des talibans de projeter une image plus acceptable : un responsable taliban a accordé mardi une entrevue à une cheffe d'antenne de la chaîne de télévision Tolo, une scène inimaginable il y a une vingtaine d'années.

Exit l'opium?

Zabihullah Mujahid a également affirmé que le pays – principale source d’approvisionnement en héroïne du monde, selon l’Organisation des Nations unies (ONU) – voulait se débarrasser de toute drogue sur son territoire. Il a d’ailleurs demandé à la communauté internationale d’aider les agriculteurs du pays à adopter d’autres cultures que celle du pavot.

Un taliban armé discute avec un autre homme sur une place publique.

Un soldat taliban en faction près d'un kiosque d'un jus de canne à sucre, mardi, dans le marché public du secteur de Kote Sangi, à Kaboul.

Photo : Getty Images / AFP/HOSHANG HASHIMI

L’affaire ne manque pas frapper les esprits, les talibans ayant essentiellement financé leurs efforts de guerre depuis des années par le trafic d’opium.

Un commandant taliban cité par Reuters affirme aussi que le système islamique sera respectueux des minorités ethniques. Il y a un système juridique, et nous pouvons assurer à notre peuple, qu'ils soient Hazaras [chiites], Tadjiks ou Turcs, qu'ils ne seront pas harcelés par les moudjahidines [combattants islamistes], a-t-il dit.

Un nouveau gouvernement à venir

Selon Zabihullah Mujahid, un nouveau gouvernement afghan entrera en fonction dès que la situation aura été stabilisée à Kaboul.

Selon l'Associated Press, les talibans négocient actuellement cette transition avec les anciens présidents Hamid Karzaï et Abdullah Abdullah, chargés de mener des négociations avec les talibans pour le compte de l'ancien gouvernement dans les derniers mois.

Le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur et numéro deux des talibans, qui dirigeait depuis le Qatar le bureau politique du mouvement, est rentré dans le pays où il devrait être appelé à de hautes fonctions. Il a atterri à Kandahar, selon un autre porte-parole des talibans, en compagnie d'une délégation de haut niveau.

Kandahar a été la capitale des talibans quand ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001. C'est là qu'est né le mouvement taliban, au début des années 1990.

Abdul Ghani Baradar, assis à une table devant un micro.

Le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur et numéro deux des talibans, est rentré mardi en Afghanistan, en provenance du Qatar, où il dirigeait le bureau politique des talibans.

Photo : Getty Images / AFP/KARIM JAAFAR

Interrogé sur la différence entre le mouvement taliban qui a été chassé du pouvoir en 2001 et celui d'aujourd'hui, M. Mujahid a répondu : Si la question est basée sur l'idéologie, et les croyances, il n'y a pas de différence… mais si c'est en fonction de l'expérience, de la maturité et de la perspicacité, sans aucun doute, il y a de nombreuses différences.

Les étapes d'aujourd'hui seront positivement différentes des étapes passées, a-t-il assuré.

L'OTAN blâme les autorités afghanes

Le secrétaire général de l'Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a imputé mardi la prise de pouvoir des talibans à l'échec des autorités afghanes et a défendu l'engagement de l'Alliance dans le pays, tout en reconnaissant que des leçons devraient être tirées.

« Les autorités politiques afghanes ont échoué à s'opposer aux talibans et à parvenir à la solution pacifique que les Afghans réclamaient désespérément. C'est l'échec des autorités afghanes qui a conduit à la tragédie que nous voyons aujourd'hui. »

— Une citation de  Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN

Malgré des investissements et sacrifices considérables de notre part pendant deux décennies, l'effondrement a été rapide et soudain. On peut en tirer de nombreuses leçons, a dit le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg. La question, c'est pourquoi les forces [afghanes] que nous avons entraînées, équipées et soutenues durant de longues années se sont avérées incapables de tenir tête aux talibans.

La vie reprend, mais l'inquiétude demeure

À Kaboul, ville libérée du joug taliban depuis 20 ans, les assurances données par les talibans sont accueillies avec scepticisme. Certains croient que les talibans ont plutôt des listes de gens à débusquer et à punir.

Les affirmations des talibans ont d'ailleurs été accueillies avec prudence par le porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de la personne, Rupert Colville. Les gains en la matière des 20 dernières années doivent être défendus, a-t-il plaidé.

« Ces promesses devront être honorées et pour le moment; c'est compréhensible, étant donné le passé. Ces déclarations sont accueillies avec scepticisme. »

— Une citation de  Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de la personne

Dans les rues de Kaboul, la vie reprend lentement ses droits. Certains magasins ont rouvert leurs portes, le trafic automobile a repris et des gens circulent de nouveau dans les rues.

L'achalandage reste toutefois moindre qu'à l'accoutumée, et peu de femmes osent se risquer à l'extérieur de leur résidence.

« J'ai peur, mais j'ai ouvert mon commerce, parce que je dois nourrir ma famille. Je n'ai aucun autre revenu. Si je n'ouvre pas mon commerce, comment vais-je nourrir ma famille de 12 personnes? »

— Une citation de  Mohammadullah, épicier à Kaboul
Plusieurs hommes armés dans une rue déserte.

Des talibans montent la garde devant l'ambassade américaine en Afghanistan, mardi, à Kaboul. L'ambassade est toujours ouverte et travaille aux opérations d'évacuation. Avant que les talibans ne prennent la capitale, cette garde était assurée par des soldats américains.

Photo : La Presse canadienne / Pigiste

Des signes montrent néanmoins que la vie a changé. Les hommes ont troqué leurs vêtements occidentaux contre le shalwar kameez, l'ample habit traditionnel afghan, et la télévision d'État diffuse essentiellement des programmes islamiques.

Un gynécologue afghan, Asadullah Wardak, affirme qu'il a décidé de retourner au travail mardi, à l'hôpital Sana Medical de Kaboul, malgré l'insistance de ses enfants, réfugiés au Canada, qui l'implorent de quitter le pays.

En route pour l'hôpital, a-t-il raconté à Reuters, des talibans l'ont intercepté et lui ont demandé sa carte d'identité, avant de lui permettre de poursuivre son chemin, en lui disant qu'il était libre de vaquer à ses occupations. Ils lui ont aussi donné un numéro de téléphone à composer s'il était confronté à des pénuries.

Les talibans lui ont aussi demandé de s'assurer que les patientes et les docteures sont séparées des hommes, en lui précisant aussi qu'une docteure devait être présente à ses côtés en tout temps pour qu'il puisse voir ses patientes.

Alberto Zanin, coordonnateur de services médicaux pour une ONG italienne à Kaboul, a pour sa part indiqué que beaucoup de patients ont été traités pour des blessures par balle au cours des dernières 24 heures. Certaines avaient été blessées à l'aéroport international de Kaboul la veille.

Il soutient que de nombreux de coups de feu ont été entendus dans la capitale, la nuit dernière, et affirme que la situation demeure tendue en raison des patrouilleurs talibans qui interceptent des résidents. Il y a beaucoup moins de trafic en ville. […] Les gens sont inquiets, a-t-il témoigné.

Avec les informations de Agence France-Presse, Associated Press, et Reuters
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