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Interventions policières en cas de crise : l’approche psychosociale pour éviter le pire

La mort récente d’un homme lors d’une intervention policière à Repentigny a relancé la controverse sur l’usage de la force auprès de personnes en crise. Néanmoins, les corps policiers font de plus en plus appel à des travailleurs sociaux et à des psychologues pour désamorcer ces situations. Et ces méthodes ont fait leurs preuves.

Intervention auprès d'une femme qui souffre de problèmes de comportements.

L'intervention d'une équipe qui inclut policiers et intervenants psychosociaux permet souvent une désescalade de la situation de crise.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers, photographe de Radio-Canada

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’investigation du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) est toujours en cours pour déterminer les faits exacts de l’intervention du 1er août qui s’est soldée par la mort de Jean René Junior Olivier, 37 ans, à son domicile, sous les balles des policiers.

Selon les témoignages, il était en crise psychotique. Lors de l’appel de sa mère au 911, il était menaçant et lorsque les policiers sont arrivés, il brandissait un couteau.

Cette situation n’est pas sans rappeler la mort d’Alain Magloire en 2014, à Montréal. Plusieurs recommandations avaient été formulées par la suite pour éviter que de tels décès se reproduisent quand les personnes sont en crise. Avec le temps, plusieurs corps policiers se sont initiés à de nouvelles façons de faire.

Au cours des dernières années, on a vu de nombreuses améliorations, on forme les policiers en techniques de communication, en désescalade; on les sensibilise aussi à l'importance de faire appel parfois à des tiers, des intervenants psychosociaux, pour avoir une meilleure consultation, une meilleure prise en charge des personnes en crise, explique Étienne Blais, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

Il cite la création en 2012, au sein du Service de police de la Ville de Montréal, de l’Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP), où un agent est jumelé à un intervenant psychosocial du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, et qui intervient pour des appels impliquant des problèmes de santé mentale.

Une policière et une intervenante marchent vers leur voiture de fonction.

L’équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP) est une escouade mixte composée d’un policier et d’un intervenant du réseau de la santé.

Photo : Radio-Canada

Certains policiers, appelés RIC, sont aussi spécialement formés pour intervenir en situation de crise. Le SPVM peut également faire appel au service du CIUSSS appelé Urgence psychosociale, pour de l’aide et de l’expertise lors des situations de crise.

D’autres corps policiers de la province (à Sherbrooke, Laval, Trois-Rivières, Gatineau (Nouvelle fenêtre), et à la Sûreté du Québec, notamment) ont intégré l’une ou l’autre de ces approches dans leurs pratiques.

Et pour cause :

« Les appels pour des situations de crise, des problèmes de santé mentale, c’est environ un tiers de tous les appels d'urgence des services policiers en Amérique du Nord. C'est énorme. »

— Une citation de  Étienne Blais, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

Au Québec, 80 000 appels effectués auprès des corps policiers annuellement le sont pour de tels problèmes, un chiffre qui a explosé ces dernières années.

Une équipe mixte, ça fonctionne?

Les données scientifiques montrent que l’approche qui combine l’intervention policière et la relation d’aide est gagnante, explique Étienne Blais.

Ce dernier a suivi l’Équipe mobile d'intervention psychosociale (EMIP), implantée en 2016 au sein de la police de Sherbrooke. Il s’agit d’une équipe mixte formée d’un policier et d’un travailleur social pour intervenir en situation de crise (détresse, crise familiale, crise suicidaire, démence, etc.). Le chercheur a comparé les mêmes types d’interventions pour les mêmes périodes de temps, avant et après la création de l’équipe.

L'équipe mobile d'interventions psychosociales (EMIP) du Service de police de Sherbrooke et du CIUSSS de l'Estrie-CHUS.

L'équipe mobile d'interventions psychosociales (EMIP) du Service de police de Sherbrooke et du CIUSSS de l'Estrie-CHUS.

Photo : Radio-Canada / Genevieve Proulx

L'usage de la force est passé de 12,1 % à 4,2 %, une diminution de plus de moitié, relate-t-il.

Les transports à l'hôpital de personnes contre leur gré sont quant à eux passés de 10,9 % à 5,6 %. On ne veut pas nécessairement ce transport forcé à l’hôpital, parce que, souvent, la crise tombe et on laisse la personne repartir, explique-t-il. Surtout, cela contribue au phénomène des portes tournantes , où les services revoient sans cesse les mêmes personnes sans qu’elles ne soient adéquatement prises en charge.

Et les plus grosses améliorations, c'est au niveau de la gestion de la personne, note-t-il : on passe de 4,5 % à 29,5 % des gens qui sont référés vers des ressources communautaires. On a vu aussi que les cas où la personne restait chez elle avec un filet de sécurité, c'est passé de 11,8 % à 39,6 %. C'est-à-dire qu’elle peut rester avec son conjoint, avec un ami ou un proche, elle va être entre bonnes mains et on va être capable de lui offrir des services psychosociaux.

Vue sur l'intérieur du logement

À Laval, une intervenante psychosociale explique aux policiers qu’elle prend le relais avec sa collègue pour terminer une intervention en santé mentale.

Photo : Radio-Canada

Comment fonctionne une intervention mixte?

D’abord, le policier va s'assurer que l'environnement est sécuritaire. Est-ce que la personne semble soudainement agitée? Est-ce qu'elle pourrait bondir sur l'intervenant? L’agent va sécuriser le périmètre, voir s'il y a des armes, des personnes vulnérables qu'il faut isoler dans d'autres pièces, etc., illustre M. Blais.

Et pendant ce temps, l'intervenant psychosocial peut commencer à offrir sa consultation à la personne en crise. On suit les étapes de la désescalade : se présenter, expliquer la raison de leur présence. Après ça, demander à la personne des informations sur le problème, et des fois, par certains compromis, l’inviter à résoudre le problème par elle-même. Et donc, la personne est impliquée. Et ça marche très bien.

Le langage corporel est aussi crucial, remarque-t-il. Il rappelle que les policiers sont formés pour adopter une posture d’autorité : bras croisés sur la poitrine ou mains sur les hanches, ton de voix fort. L’intervenant psychosocial va prendre une posture non confrontationnelle et un ton propice à la conversation.

Le chercheur et ses collaborateurs ont aussi récolté des données à la police de Laval. Là-bas, les policiers se rendaient seuls sur les lieux et, au besoin, appelaient au téléphone un intervenant psychosocial pour obtenir du soutien, des conseils. Dans les cas les plus critiques, cet intervenant se rendait aussi sur le terrain. Les données obtenues vont dans le même sens que ce qui a été observé à Sherbrooke, soit une meilleure prise en charge et une réduction importante du recours à la force.

Les crises psychotiques

Lorsqu’une personne schizophrène est en crise, il se peut qu’elle soit irrationnelle, complètement absorbée dans son monde. L’approche est-elle toujours efficace?

« C'est sûr que des fois, la personne perd complètement contact avec la réalité et il faut intervenir avec la force. Mais là, est-ce que la force létale est nécessaire? J'en doute. Je pense que des fois, les policiers paniquent. Ce sont des choses qui arrivent. »

— Une citation de  Étienne Blais, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

Mais même quand des personnes semblent perdre contact avec la réalité, on a accompagné les policiers, et j'ai vu des personnes qui se disent persécutées, des fois, délirent par rapport à une agression qui est soi-disant survenue, mais les intervenants psychosociaux sont capables de poser les bonnes questions ou même d'éviter [le recours à la force], relate-t-il.

Mais, des fois, ça ne marche pas, admet le chercheur. Dans le cas de Repentigny, on ne sait pas à quel point la personne était dans une psychose avancée et s’il y avait moyen de communiquer avec elle.

Un gros avantage des interventions mixtes ou avec le soutien d’une unité psychosociale, poursuit le chercheur, c'est la mise en commun des données policières et des données de santé et de services sociaux, ce qui n'avait pas lieu jusqu’à récemment. Ainsi, les équipes peuvent savoir avant même de se rendre sur place si elles ont affaire, par exemple, à une personne qui a des antécédents violents ou encore si elle possède des armes, mais aussi si elle est suivie en psychiatrie.

Le poste de commandement mobile a été envoyé pour coordonner la stratégie policière.

Une intervention en santé mentale peut parfois nécessiter la présence de plusieurs brigades et s'avérer dispendieuse.

Photo : Radio-Canada

La formation des policiers à revoir

Selon le chercheur, la formation d’environ 40 heures donnée aux policiers RIC pour l’intervention en situation de crise est un atout, mais n’est pas suffisante en soi pour leur permettre de gérer les cas complexes de détresse psychologique qui sont leur lot quotidien.

La formation vient même en contradiction avec les réflexes développés à l’école de police, dit-il.

« Prendre son temps pour intervenir auprès d'une personne qu'on peut penser dangereuse, c'est contre-intuitif pour les policiers. Pour eux, normalement, on maîtrise la situation, on agit rapidement, et on passe à un autre appel. »

— Une citation de  Étienne Blais, professeur à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

Alors, la formation RIC, ce n'est pas une stratégie ou une mesure sur laquelle on peut seulement miser si on veut diminuer l'usage de la force, soutient-il.

Il juge aussi que les 60 heures consacrées aux interventions en santé mentale et récemment ajoutées dans la formation à l’École nationale de police du Québec, c'est encore trop peu.

Le travailleur social a quant à lui une formation d’au moins trois ans dans le domaine. C’est pour ça qu’il faut une complémentarité sur le terrain, chacun a son expertise, dit-il.

Les équipes policières devraient-elles davantage avoir recours aux pistolets électriques Taser, comme le recommandait le coroner dans le dossier d’Alain Magloire? Ça vient vers la fin de l'intervention, en dernier recours, si tout le reste n’a pas marché. C'est une bonne recommandation [de rendre disponibles les Taser et de former les policiers à leur utilisation], mais ça ne devrait pas être celle qu'on privilégie.

Dans son rapport au printemps, le Comité consultatif sur la réalité policière (Nouvelle fenêtre) souligne que les interventions pour des problématiques de santé mentale accaparent désormais une grande part du travail des agents et que davantage d’argent public et de ressources devraient être investis pour aider les corps policiers à s’acquitter de leurs tâches, notamment par des partenariats avec le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Le profilage racial

Il a beaucoup été fait état dans les médias du rôle du profilage racial dans le cas de Repentigny. M. Olivier était Noir et avait des antécédents judiciaires.

Je suis conscient que le profilage racial, il y en a. Mais [des reportages] laissaient entendre que les policiers de Repentigny aiment tirer sur des Noirs. Je pense que ça va trop loin, dit le chercheur.

Parce que j'ai vu la même situation [ailleurs], et au-delà de la couleur de la peau, l'intervention était similaire, ajoute-t-il.

Peu importe l’origine ethnoculturelle, ce sont les mêmes caractéristiques qui reviennent dans les cas de crises et de détresse, souligne-t-il : des personnes qui, souvent, ont des difficultés sur le plan de l'emploi, des difficultés relationnelles, des problèmes de santé mentale, de consommation, etc. [...] À Repentigny, la personne était en psychose. Alors, je pense que l'aspect racial était secondaire.

Il souligne tout de même que la sensibilité aux différences culturelles doit être incluse dans les formations sur la santé mentale, car la conception même de la santé mentale varie énormément d’une culture à l’autre.

La mère tient un cadre dans lequel se trouve une photo de son fils.

Marie-Mireille Bence veut des réponses après la mort de son fils lors d'une intervention des policiers de Repentigny.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Il faut aussi favoriser le recrutement chez les policiers et les intervenants pour plus de diversité.

Pour qu'il y ait, par exemple, des liens de confiance et des affinités qui se créent entre les intervenants comme le policier et le travailleur psychosocial et la personne en crise, ça [aide d'avoir] des personnes de la même culture, une figure à laquelle on peut s'attacher, et avec laquelle on peut faire des liens. Donc, je pense que oui, l'aspect culturel est important [à cet égard].

Nous avons contacté la Ville de Repentigny pour savoir si des agents ont la formation RIC et si le corps policier intègre des ressources psychosociales en intervention pour crise. Une porte-parole nous répond que la Ville s’abstiendra de répondre à toutes questions dans l’unique but de permettre au BEI de poursuivre [l’]enquête actuellement en cours concernant [l’]événement survenu le 1er août dernier en lien avec une problématique de santé mentale, et ce, de manière indépendante et impartiale sans aucune influence à travers les réponses que pourraient donner la Ville ou son Service de police.

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