La Cité du savoir de Milot, un espoir neuf pour Haïti
De crise en crise, Haïti perd ses citoyens pour l’étranger. Or, comment bâtir sans l’apport des plus éduqués? La Cité du savoir, l’ambitieux projet du Montréalais Samuel Pierre, trace une voie d’avenir.

Une classe du CPE Paul Gérin-Lajoie
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Milot est une commune du Nord haïtien, proche de la vieille capitale coloniale de Cap Haïtien. On y trouve deux des plus grands symboles de l’indépendance datant du début du 19e siècle, témoignages de la démesure du roi Henry Christophe : le château de Sans Souci, en ruine, et la formidable citadelle Laferrière, bâtie pour repousser une éventuelle invasion française.
C’est en ce même lieu que se construit maintenant, sur un terrain de 42 hectares donné par la municipalité, la Cité du savoir, qui entend accompagner les jeunes du CPE à l’université. Ce projet visionnaire a germé après le grand séisme de 2010 dans l’esprit d’une vingtaine de personnes de Polytechnique Montréal d’origine haïtienne et québécoise.
Comment reconstruire sur un tas de ruines?
Haïti ne produit pratiquement plus rien et importe tout. La grande majorité de la population est en mode survie et l’économie est sous perfusion, dépendante de la diaspora qui envoie chaque année 3 milliards de dollars.
Reconstruire? Inutile d’en parler. Qui s’en chargerait? De 65 % à 70 % des diplômés universitaires haïtiens vivent à l’étranger. Il n’y avait rien pour eux au pays. Pire, comme le rappelle Samuel Pierre : 85 % des Haïtiens de niveau postsecondaire sont eux aussi partis. Et pas question de retour tant que le pays restera en proie à la violence, à l’insécurité, à l’instabilité politique et à la corruption.
Mais si le retour sur le sol natal n’est pas envisageable, y revenir virtuellement pour partager son savoir est maintenant possible. La Cité du savoir, projet de longue haleine, est bien en marche.
Depuis leurs bureaux du Québec ou d’Europe, 220 professeurs enseignent par vidéoconférence dans six villes haïtiennes à l’Institut des sciences des technologies et des études avancées d’Haïti (l’ISTEAH) et se rendent en Haïti quand cela leur est possible.
Le 28 mai dernier, nous avons tenu la quatrième cérémonie de collation des grades, avec 50 diplômés dont six docteurs, 20 maîtres, et 24 diplômés d'études supérieures spéciales, se félicite Samuel Pierre. À date, nous avons diplômé plus de 110 étudiants et notre projet est de former sur dix ans 1000 scientifiques pour le pays.
En Haïti, il y a un millier de professeurs d’université pour douze millions d’habitants, au Québec nous en avons 10 000 pour huit millions d’habitants. Nous voulons utiliser l'innovation, l'éducation mais à son plus haut niveau pour trouver des solutions originales aux problèmes du pays et, surtout, réduire la pauvreté.

Samuel Pierre, professeur à Polytechnique Montréal et un des visionnaires à l'origine de la Cité du savoir
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
La Cité du savoir compte un CPE, une école primaire presque terminée, et le reste avance au gré des difficultés d’approvisionnement en matériaux et suivant les aléas du financement.
L’ISTEAH reçoit de l’aide financière du Canada par l’entremise du Centre de recherches et de développement international, soit près d’un million de dollars. Mais tout, sinon, est financé par des particuliers, des citoyens du Québec et d’Haïti. La Cité du savoir n’entre pas, semble-t-il, dans les schémas traditionnels d’aide au développement des pays riches, qui n’ont par ailleurs jamais hésité à financer en Haïti des projets souvent voués à l’échec ou détournés de leurs intentions.
L’ISTEAH, qui fonctionne virtuellement depuis cinq ans, aura un jour son siège à Milot. On y trouvera aussi un Centre des affaires et d'entrepreneuriat, de façon à créer des entreprises, grandes et petites, porteuses d’emplois et de richesse.
Déjà, il y existe des formations pour les petits entrepreneurs locaux, surtout des femmes. Une ferme y est exploitée, destinée à devenir une école d’agriculture. Un centre de santé est en construction, il se trouvera au milieu de la zone de services qui comptera une centaine d’habitations pour des familles locales.
Le chantier de la Cité du savoir sert par ailleurs de lieu de formation professionnelle pour ouvriers maçons, que supervisent deux ingénieurs. Les blocs de ciment sont fabriqués sur place et une partie est même vendue aux alentours, pour 1 $/pièce, car ils sont de grande qualité. Il n’y a pas de petit revenu.

Le CPE Paul Gérin-Lajoie au cœur de la Cité du savoir à Milot
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
L’enfance, clé de la réussite
Pour une Haïti nouvelle, il faut des citoyens nouveaux, dit Samuel Pierre, et c’est ici qu’on les forme, dès le bas âge.
Le Centre de la petite enfance de la Cité du savoir, qui compte une centaine d’enfants, n’a rien à envier aux plus beaux CPE du Québec.
Ce que nous voulons, c'est prendre ces enfants-là de milieux ruraux et leur donner des perspectives de vie sur la longue durée. Ils entrent au CPE à 3 ans, et s’ils ont les talents et la motivation, eh bien, ils vont pouvoir se rendre jusqu'au doctorat sans quitter leur patelin
, explique Samuel Pierre.
Et jusqu’ici, les enfants apprécient ce projet qui a changé leur vie, se félicite Magalie Félix, directrice adjointe à l’ISTEAH.
Ils sont très fiers du projet, ils sont contents, ils viennent nous visiter de temps en temps. Les parents qui ont des enfants ici viennent très souvent
, raconte-t-elle.

Le CPE Paul Gérin-Lajoie, en Haïti
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
La première chose à apprendre à un enfant, poursuit Samuel Pierre, c’est de s’aimer, d’être bien dans sa peau, de ne pas avoir de complexe d’infériorité, et d’aimer, respecter et apprécier les autres, et enfin aimer son pays.
Nous voulons en faire des citoyens nouveaux qui ignoreront les vieux réflexes et les vieilles institutions pour pouvoir bâtir une Haïti nouvelle.
Les habitants de Milot ont vite adopté le projet et, selon un ingénieur de la Cité du savoir, ils nous protègent
.
Le CPE existe depuis 2016, ses premiers élèves sont maintenant à l'école primaire, dont les locaux sont en fin de construction. Le secondaire sera créé lorsque ces mêmes élèves auront achevé leur primaire.

Le reportage de Jean-Michel Leprince
Le CPE de la Cité du savoir porte le nom du défunt Paul Gérin-Lajoie, pionnier de l’éducation au Québec, grand ami d’Haïti et de Samuel Pierre.
Il venait à toutes nos activités, j’en étais personnellement très proche. Il m’a dit : "Samuel – j’étais chez lui –, vous avez fait avec la Cité du savoir ce que nous aurions aimé faire en Haïti. Vous avez été plus audacieux que nous dans ce que vous avez imaginé avec la Cité du savoir".