Envoyé spécial
Douleur et reconstruction à Fukushima
Les Jeux de Tokyo ont été présentés comme les Olympiades de la relance à Fukushima, 10 ans après la catastrophe nucléaire, mais la population est sceptique.

Le village abandonné de Futaba, à quelques kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des parties des tournois de softball et de baseball olympiques sont présentées à Fukushima. Malgré la décontamination progressive du sol, les familles et les jeunes continuent de fuir cet endroit pollué où la revitalisation ne fait que commencer.
Les rues sont désertes. L'aire de jeu est abandonnée. Une voiture recouverte de poussière se retrouve au milieu de longues herbes. Des fenêtres sont cassées ici et là dans un quartier de ce qui semble avoir été des habitations à loyer modique.
Le village fantôme de Futaba, le plus proche de la centrale nucléaire de Fukushima, reste trop radioactif pour que des humains y vivent.
Non loin de là, à Yonomori, tout témoigne de l'urgence d'évacuer les lieux. Des chaises sont renversées, le plafond s'est affaissé sur le matériel de la cuisinette. Le mobilier n'a pas été touché dans ce concessionnaire automobile éventré par le tremblement de terre.
Le temps est figé. Un calendrier accroché au mur rappelle la date : 11 mars 2011. Une horloge s'est arrêtée à l'heure fatidique. 14 heures 46 minutes.
Ce jour-là, un violent séisme sous-marin de 9 sur l'échelle de Richter a engendré un tsunami. L'eau a pénétré dans la centrale nucléaire de Fukushima et a entraîné des explosions.
Plus de 19 000 personnes sont mortes dans la tragédie. 160 000 personnes vivant dans un rayon de 20 kilomètres de la centrale ont été évacuées.
Norio Kimura nous rencontre près de ce village désert. Il était au travail dans un établissement d'élevage de porcs lorsqu'il a été secoué par le séisme. En rentrant chez lui, à trois kilomètres de la centrale nucléaire, il a constaté que sa maison avait été emportée par le tsunami.
Il n'y avait aucune trace de son père, ni de sa conjointe, ni de sa jeune fille de sept ans, Yuna.
J'ai posé des affiches d'avis de recherche partout, dit Norio Kimura. J'ai visité l'hôpital et le poste de police. J'étais déterminé à les retrouver.
Les corps de sa conjointe et de son père ont finalement été retrouvés sur la plage dans les semaines suivantes. Ce n'est que trois ans plus tard qu'une dent et des fragments d'os de Yuna ont été retrouvés.
« Je ne suis pas encore complètement remis. La douleur est encore présente dix ans plus tard. »
Norio Kimura a obtenu du gouvernement japonais une permission spéciale d'aller chez lui 150 jours par année.
Ma petite Yuna m'appelle et demande que j'y retourne, dit-il, c'est pour ça que je le fais.
Il entretient son terrain maintenant voisin d'un des huit sites d'enfouissement de terre contaminée. La matière radioactive y est déposée, recouverte de membranes pour la protéger des éléments et ensuite enfouie. Ce n’est qu’en 2045 que le taux de radioactivité aura baissé suffisamment et que la terre pourra à nouveau être jugée sécuritaire.
Quatorze millions de mètres cubes de déchets et de terre contaminée ont été enfouis ou doivent encore l'être. La décontamination de ce qui était autrefois une zone agricole fertile demeure incomplète.
« Il y a encore des zones inaccessibles. Il y a une zone d'exclusion tout près de la centrale. Les travaux de décontamination ne peuvent pas commencer. Personne n'est admis. »
Les Jeux olympiques de la reconstruction
Les Olympiques ont été présentés comme les Jeux de la relance dix ans après la catastrophe nucléaire. L'équipe nationale de baseball, adulée dans le pays, a entamé son tournoi à Fukushima. Le président du Comité international olympique (CIO
), Thomas Bach, était même présent pour le lancer protocolaire.Dans le village de Kawauchi, un des premiers à rouvrir à peine quelques mois après le désastre nucléaire, des serres ont été bâties. La culture des fraises commence.
La revitalisation débute, mais elle prendra du temps. Une personne sur cinq n'est jamais revenue vivre dans cette zone sinistrée au taux de radiation élevé.
« Nous avons commencé par bâtir les infrastructures afin d'accueillir des gens. Il faut leur donner des perspectives d'avenir et d'emploi. »

Le centre d'enfouissement du ministère de l'environnement japonais à Okuma, près de la centrale nucléaire de Fukushima.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
Riku Yamanaka arrive devant l'hôtel de ville vêtu de son uniforme de porteur de flamme olympique. Il est un fier ambassadeur du village. C'est ici qu'il a participé au relais olympique. Il l'a fait pour ses concitoyens.
Beaucoup de Japonais ont regardé le relais à la télé, dit-il, et peut-être que certains auront même envie de venir vivre ici.
Riku espère surtout renverser l'exode des jeunes et des familles qui semble permanent autour de Fukushima depuis la catastrophe nucléaire.
Norio Kimura, lui, rêve de retourner vivre chez lui, près de la centrale de Fukushima, lorsqu'il en aura le droit, c'est-à-dire pas avant 2045. Il veut ainsi honorer la mémoire de sa petite Yuna, mais il ne croit pas à une réhabilitation de Fukushima d'ici là.
« Je sens que le gouvernement et l'organisation des Jeux se sont servis de nous. Ils ont utilisé un slogan sur la relance pour bien paraître aux yeux du monde. »
Si le comité des Jeux vante la relance de Fukushima, les cicatrices laissées par le désastre nucléaire témoignent du travail titanesque de décontamination et de reconstruction qui ne fait que commencer.