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« Adapter le travail aux autistes demande de la bienveillance » – Lucila Guerrero

Au Canada, plus de 315 000 personnes ont une incapacité liée au développement, dont le trouble du spectre de l'autisme (TSA).

Une mère et son fils adolescent, qui a un oiseau perché sur le doigt, sourient en regardant l'oiseau, dans leur appartement.

Lucila Guerrero et son fils Luka dans leur appartement de Montréal. À titre de personne-ressource, Mme Guerrero participe à des projets de recherche du CHU Sainte-Justine sur le trouble du spectre de l'autisme.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Faute de solutions adaptées à leurs particularités, et parce qu'ils sont stigmatisés, beaucoup de travailleurs qui vivent avec le trouble du spectre de l'autisme (TSA) peinent à garder leur emploi ou ne travaillent carrément pas. Et, malgré la pénurie de main-d'œuvre, la situation progresse peu, selon des personnes autistes et des spécialistes au fait de leur situation.

Lucila Guerrero a compris qu’elle était autiste lorsque son fils, Luka, a reçu ce diagnostic. À huit ans, l'enfant se sentait si intimidé par les adultes qui l’entouraient à l'école qu’il avait supplié sa mère de le lancer par le balcon.

Elle-même avait entretenu des idées suicidaires à l'adolescence. À l’école, j’étais très bonne… Mais, dans un groupe, j’étais silencieuse et je vivais de la honte et de la culpabilité de ne pas être comme les autres.

On me critiquait sur plein de choses non conventionnelles [que je faisais]. Je ne savais pas comment les expliquer, et je ne savais pas me défendre non plus.

Une citation de Lucila Guerrero, personne-ressource, partenariat patients-familles-soignants, CHU Sainte-Justine
Une mère observe son adolescent jouer de la guitare.

Selon Lucila Guerrero, de l'ouverture d'esprit et de la bienveillance sont nécessaires pour adapter l'école et le marché du travail aux besoins particuliers des personnes autistes.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

En 2010, Mme Guerrero a reçu le diagnostic d'autisme d’une manière positive, comme une façon d’être. J’ai commencé à m’accepter, dit-elle.

Aujourd’hui, elle étudie en sciences sociales, fait de la photographie, écrit, publie et milite pour la neurodiversité, l’autisme et l’inclusion sociale. Elle est travailleuse autonome; une formule qui lui convient parce que plein de choses ne sont pas adaptées pour nous [les autistes].

Sans relâche, elle a suivi et soutenu son fils. À 16 ans, celui-ci poursuit ses études secondaires et joue dans l’harmonie de son école.

Selon Mme Guerrero, l’école promeut une seule façon de fonctionner et d’apprendre, un moule trop rigide pour les enfants autistes.

Et cela ne s'arrange pas sur le marché du travail. On s’attend à ce que nous nous comportions comme des non-autistes. On nous contraint à jouer un rôle qui n’est pas naturel pour nous, ce qui nous cause de la détresse.

Un garçon adolescent photographié de profil devant un mur où sont accrochées des photos.

Luka, le fils de 16 ans de Lucila Guerrero, a reçu le diagnostic du TSA durant l'enfance et sa mère a refusé qu'il soit en classe spéciale. À l'école secondaire qu'il fréquente, l'adolescent apprend aussi la musique.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Résultat : 80 % des personnes autistes vivent dans la pauvreté, affirme Mme Guerrero, citant une recherche dirigée par Mélanie Couture de l'Université de Sherbrooke et menée, en ligne, auprès de plus de 200 adultes autistes et de leurs proches.

Parmi les personnes de 25 à 64 ans ayant une incapacité, qui n’avaient pas d’emploi et ne fréquentaient pas l’école, deux personnes sur cinq ont montré qu’elles étaient aptes au travail, selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, réalisée par Statistique Canada (Nouvelle fenêtre). Cela représente un bassin de près de 645 000 travailleurs potentiels.

Au Canada, 1,1 % de la population, soit plus de 315 000 personnes, présente une incapacité liée au développement, ce qui inclut le TSA.

Un emploi inclusif va respecter les besoins spécifiques de la personne autiste et reconnaître son potentiel [...] au même titre que n’importe quel autre employé, affirme Mathieu Giroux. C'est pas juste une question de charité, là.

Mathieu Giroux décrit ainsi son parcours professionnel : Six mois de travail, congédiement bien souvent illégal et abusif, chômage et on recommence. J’ai dû faire une dizaine d’emplois comme ça.

Une succession d'épreuves l'a conduit au bord du suicide. Par la suite, Mathieu Giroux a été déclaré invalide. Ça ne veut pas dire que je ne fais rien, précise-t-il avec humour. À l’instar de Lucila Guerrero, il fait progresser les connaissances sur l'autisme au sein d’équipes de recherche.

Bien qu'il ait renoncé au travail rémunéré en raison de ses besoins particuliers, M. Giroux reste persuadé que la majorité des autistes peuvent travailler dans un milieu sain et sécuritaire.

Lila Amirali, cheffe du département de psychiatrie du CHU Sainte-Justine, voit Lucila Guerrero et Mathieu Giroux comme de vrais collaborateurs.

L'autisme est un trouble génétique qui touche une personne sur 47, ou une personne sur 60, selon les statistiques. (Selon le psychiatre et chercheur montréalais Laurent Mottron, qui préconise le resserrement des critères de diagnostic, une personne sur 200 est autiste dans le monde.)

Le TSA n’est pas une maladie. Chez les personnes autistes, l’organisation du cerveau est différente de celle des personnes dites neurotypiques, explique la Dre Amirali.

Certaines peuvent avoir un job et être complètement autonomes, avec quelques particularités – mais on a tous des particularités qui ne sont pas nécessairement observables, poursuit la psychiatre.

Mais les autistes sont vulnérables. La Dre Amirali dit en avoir vu beaucoup être marginalisés, intimidés. En milieu de travail, ils sont les premiers à prendre la sortie et les derniers à rentrer.

Il faut qu'ils se sentent bien

Une jeune femme en regarde une autre remplir des bougeoirs d'un liquide coloré.

Le magasin et atelier de Pointe-Claire Illuminez un rêve/Light a Dream accueille depuis plus de 20 ans des adultes autistes qui bénéficient de l'encadrement nécessaire pour faire leurs premiers pas sur le marché du travail.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Ici, ils savent que personne ne les regardera de travers ou ne se moquera d’eux, dit l'enseignante à la retraite Michelle Potter au sujet d'Illuminez un rêve, mieux connue sous son nom anglais, Light a Dream (LAD).

Dans cet atelier de bougies artisanales de Pointe-Claire, de jeunes adultes autistes s'initient à toutes les facettes d'un commerce, de la fabrication jusqu'au tiroir-caisse.

Pour que ces jeunes-là s'intègrent au marché du travail, il faut qu'ils se sentent bien et qu'ils soient fiers d'eux-mêmes, fait valoir Michelle Potter, qui a contribué à démarrer LAD, il y a plus de 20 ans.

Au cégep John Abbott, à Sainte-Anne-de-Bellevue, elle enseignait à des personnes autistes ou déficientes intellectuelles. Ce programme spécial – offert maintenant par l'école secondaire Horizon de la commission scolaire Lester B. Pearson – visait à socialiser les jeunes, clé de voûte de leur épanouissement, selon Michelle Potter. Ils continuaient à fréquenter l'école tout en recevant la formation et l'encadrement destinés à les placer sur le marché du travail.

Mais les emplois qui s'offraient aux jeunes se résumaient à des besognes répétitives, exécutées dans l'isolement et sans stimulation.

Alors, on s'est dit : "Pourquoi ne pas créer notre propre business?" C'est ainsi que Light a Dream est née.

Une citation de Michelle Potter, cofondatrice d'Illuminez un rêve/Light a Dream (LAD), à Pointe-Claire
De jeunes femmes attablées peignent des sacs en papier brun dans une pièce éclairée par des lampes suspendues.

Les soeurs jumelles Leah et Lauren dans le magasin et atelier Illuminez un rêve/Light a Dream de Pointe-Claire, qui offre à de jeunes adultes autistes l'occasion de se familiariser avec différents aspects de la vie d'un commerce, afin de les préparer au marché du travail.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Aux activités annuelles de financement de LAD, les anciens sont nombreux. Certains sont amis depuis 20 ans, ce qui n'est pas banal : la difficulté de communiquer et d'interagir est l'un des deux grands symptômes du TSA, le deuxième étant les comportements et les intérêts restreints et répétitifs.

Non seulement les autistes sont-ils très différents les uns des autres, mais il est difficile d'évaluer jusqu'à quel point ils parviendront à se développer. La Dre Amirali pèse toujours ses mots lorsqu'elle apprend à des parents que leur enfant est autiste : On ne sait jamais quel est le vrai potentiel de la personne, dit-elle.

Un manque criant de services

En 2012, dans un rapport spécial, le Protecteur du citoyen du Québec écrivait qu’entre autres groupes, « les personnes TSA arrivent à tout âge pour obtenir des services dans les organismes spécialisés de main-d’œuvre […]. Il est difficile pour ces organismes de développer une intervention adaptée qui se traduit par une intégration durable à l’emploi ».

C'est encore le cas, dit Isabelle Perrin du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal. C’est un très gros dossier qui fait du surplace. Les parents me disent : "Ce qui est épouvantable, c’est qu’il y a 20 ans, les services étaient tels quels".

Personne-ressource du comité des usagers (CRDITED), Isabelle Perrin sert une clientèle qui fréquente des centres d’activités de jour – jadis appelés ateliers protégés.

Cette clientèle aux très grands besoins bénéficie d'encadrement. Mais d’autres, qui n'auraient besoin que "d'un petit plus" sont oubliés, constate pour sa part Lili Plourde, de la Fédération québécoise de l’autisme.

Selon Mme Plourde, beaucoup d'adultes autistes aptes au travail n'ont pas de difficulté à se trouver "une job". Le défi, nuance-t-elle, c’est de la garder.

Souvent, ces personnes [autistes] perdent leur emploi à cause de collègues de travail qui ne comprennent pas et qui perdent patience.

Une citation de Lili Plourde, directrice générale de la Fédération québécoise de l’autisme

Il faudrait plus de services spécialisés pour favoriser leur intégration, dit-elle.

Le casse-tête de l'âge adulte

Un jeune homme travaille dans un lave-auto avec des écouteurs dans les oreilles et un couvre-visage.

Zacharie Arsenault a reçu le diagnostic de TSA dès l'enfance. Il parle peu, aime la lecture et la musique, et travaille dans un lave-auto.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Ghislain Arsenault, le père de Zacharie, 27 ans, rêve du jour où tous les adultes autistes auront leur intervenant pivot. Quelqu'un à qui l'on n'aura pas besoin d'expliquer ce qu'est l'autisme et qui fera le lien entre les ministères qui entrent en jeu pour que ces personnes prennent une part active dans la société : Santé et Services sociaux, Éducation, Enseignement supérieur, Travail, Emploi et Solidarité sociale, Transport...

D'après M. Arsenault, l'autisme est un casse-tête. Certes, des services existent et tout le monde peut aider. Mais, faute de coordination, notamment, on ne peut rien faire, observe-t-il. Ou du moins, très difficilement.

Zacharie a passé trois ans à Illuminez un rêve. Ça a changé sa vie, dit son père, qui vient d'acheter une maison pour y loger son fils et trois autres adultes autistes.

Un homme et son fils jeune adulte posent dans un parc, tout sourire.

Ghislain Arsenault et sa conjointe ont acheté une maison pour que leur fils vive de la façon la plus autonome possible, auprès d'autres jeunes autistes.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Ghislain Arsenault dénonce qu'il n'y ait guère d'autre avenue que la prestation de solidarité sociale du gouvernement pour les adultes autistes. Quand on parle de handicap mental, on suppose tout de suite que cette personne-là travaille au salaire minimum, peu importe son niveau, comme si c'était un standard, s'insurge-t-il.

Et ladite prestation est réduite, voire retirée quand la personne autiste trouve du travail. Le gouvernement récupère son argent, l'employeur reçoit une subvention pour le salaire et le jeune, lui, fait moins d'argent, dénonce Ghislain Arsenault.

Ce système-là n'est pas fait pour aider les jeunes.

Une citation de Ghislain Arsenault, homme d'affaires et père d'un jeune homme autiste

Pourtant, ce sont les meilleurs des employés, selon Ghislain Arsenault, qui en a lui-même embauché dans son entreprise : fiables, ponctuels, assidus et dévoués.

À 27 ans, Zacharie a une petite amie, des copains et travaille dans un lave-auto. Une vie normale... Mais il suffit qu'une personne hausse le ton pour qu'il perde pied. Leur crier par la tête, ça ne marche pas, résume son père.

En ces temps où il est beaucoup question d'acceptation de la diversité, Lucila Guerrero plaide pour qu'on accepte aussi la diversité neurologique.

Selon elle, les employeurs doivent s'adapter, eux aussi. Et à ceux qui objectent qu'on ne peut adapter les emplois aux spécificités des uns et des autres, elle répond : Une attitude bienveillante et de l'ouverture d'esprit pour faire les changements, ça, c'est gratuit.

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