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Les Innus de Mashteuiatsh réécrivent leur histoire oblitérée par les pensionnats

La découverte de centaines de sépultures d’enfants autochtones sur le terrain d’anciens pensionnats a ravivé les douleurs encore vives de ces nations. Mais de nombreux membres de la communauté innue de Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, tentent de se réapproprier leur histoire pour panser leurs plaies. Et de la raconter aux allochtones prêts à l’entendre.

Un jeune homme gratte le sol en quête d'artefacts.

Des membres de la communauté participent aux fouilles archéologiques qui ont cours à Mashteuiatsh.

Photo : Radio-Canada / Pasquale Harrison-Julien

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Entre la Caisse populaire, le lac Saint-Jean et quelques maisons, le bord de la route qui traverse la communauté de Mashteuiatsh laisse difficilement soupçonner qu’il peut raconter quelques millénaires. C’est pourtant ici que se déroulent des fouilles archéologiques. Ici aussi qu’Alice Germain, une aînée de Mashteuiatsh qui a connu les pensionnats, vient renouer avec une histoire dont elle a été privée.

Aux pensionnats, on a manqué la transmission de certaines choses. Je veux préserver mon identité autochtone et c’est dans ces choses-là que je vais la préserver. Je n’étais pas fière du tout de ma nation quand j’étais jeune. Mais avec le temps, j’ai grandi, j’ai vu d’autres choses, j’ai appris, et mon identité, j’en suis très fière aujourd’hui.

Un site de fouilles archéologiques.

Héléna Delaunière est assistante archéologue et chargée de projet depuis 2017.

Photo : Radio-Canada / Pasquale Harrison-Julien

Le site DDFB-18 était occupé anciennement par un magasin de La Baie d’Hudson. Héléna Delaunière, assistante archéologue et membre de la communauté innue, y mène des fouilles archéologiques depuis 2017. Pour elle, ces fouilles viennent réécrire l’histoire : Les fouilles de l’an passé ont confirmé que le site était occupé depuis un minimum de 3800 ans. Elles ont permis de retrouver des outils fabriqués en pierre, ainsi que des débris laissés par la fabrication de ces outils.

« Les fouilles viennent rendre concrète la tradition orale qui dit que les Pekuakamiulnuatsh sont ici depuis des millénaires, Avec les fouilles et nos méthodes scientifiques, c’est ça qu’on est capables de prouver. »

— Une citation de  Héléna Delaunière
Un jeune homme cherche des artefacts sur un site archéologique.

Lenny Valin, 23 ans, tamise méticuleusement la terre à la recherche d'objets laissés par ses ancêtres.

Photo : Radio-Canada / Pasquale Harrison-Julien

De plus jeunes se joignent au chantier, notamment des étudiants de l’Université du Québec à Chicoutimi et des jeunes de la communauté de Mashteuiatsh embauchés pour apprendre l’art délicat de mener des fouilles archéologiques. C’est le cas de Lenny Valin, 23 ans, qui a découvert plusieurs outils. C’est un peu touchant, quand même. Ce sont nos ancêtres qui ont fait ces outils et c’est ça qui vient me chercher d’une certaine façon. [...] Et c’est pas juste dans les livres d’histoire. Nous, on est là et on le découvre nous-mêmes, raconte-t-il.

Débattre du présent au musée

À moins d’un kilomètre du site, le Musée amérindien de Mashteuiatsh accueille les vestiges exhumés du site de fouille. L’établissement se veut un lieu pour que la communauté innue puisse se raconter à elle-même, mais aussi à la population du Québec.

Dans le jardin du musée, le guide Patrice Laforge met un point d’honneur à transmettre ses connaissances aux visiteurs de passage. C’est important qu’on se comprenne. Si on veut que ça s'améliore, il faut qu’on se comprenne. Pour ça, il faut qu’on démêle les choses, explique le guide. Une transmission dans laquelle il trouve un sens : C’est valorisant, tu fais connaître ta culture à d’autres gens qui parfois n’y connaissent absolument rien.

Un guide et ses visiteurs.

Patrice Laforge guide les visiteurs dans les jardins extérieurs du Musée amérindien de Mashteuiatsh.

Photo : Radio-Canada / Pasquale Harrison-Julien

« Il y a beaucoup d'acculturation dans le monde, à cause des films et des cours à l’école autrefois qui ne disaient même pas les vraies choses. »

— Une citation de  Patrice Laforge

Dans le groupe de visiteurs, Marilène Poitras a fait la route depuis Joliette. Ça peut sembler naïf, mais ça s’inscrit dans un processus. Parce qu’on vient de Joliette, où il y a eu le décès de Joyce Echaquan, et comme bien des gens de la région, on s’est rendu compte qu'on ne connaissait pas [les Autochtones]. La visiteuse décrit sa volonté d’écouter avant tout, parce que c’est ce que je sens qu’ils demandent : "Écoutez-nous! Écoutez ce qu’on a à dire. On a des choses à partager".

Un intérêt qui n’est pas unique, constate Isabelle Genest, directrice du musée : Les gens sont curieux, ils vont poser quelques questions. On a parlé tout à l’heure de Joyce Echaquan. On a parlé des pensionnats. On partage beaucoup avec les visiteurs. Ils sont plus ouverts, plus respectueux aussi.

Porter la plume dans la plaie

Au musée, les membres du comité des femmes Puakuteu se sont rassemblées pour faire un cercle d’amitié. Elles commencent par une séance de purification, avant d’entamer une discussion sur le besoin de guérir par l’art et les traditions. Rapidement, le sujet des pensionnats autochtones s’impose.

Un jour, ma mère est tombée malade. On nous a envoyés au pensionnat. Là-bas, ils surveillaient nos souliers. S’ils étaient mouillés, un coup de strap. Et on ne voulait pas aller voir le cordonnier pour les arranger, parce que c’était un abuseur. Il nous pognait proche de la vulve, se remémore Huguette Volant.

Une plume se passe de main en main, comme un relais de parole. Au tour de Thérèse Raphaël : On n’aimait pas la nourriture qu’ils faisaient, mais fallait la manger quand même. Ils nous envoyaient la tête dans le plat.

« Ils nous nommaient par des chiffres. Moi, c’était le numéro 7. »

— Une citation de  Thérèse Raphaël

Les femmes de ce groupe ont confectionné des jupes de guérison destinées à rendre hommage aux filles et aux femmes autochtones disparues et assassinées, qui ont été présentées lors d’une exposition au musée le printemps dernier.

Une démarche de réappropriation qui fait du bien à Huguette Volant : Depuis que je suis dans la spiritualité, je suis bien avec moi-même. Je dirais que je suis entière. Je suis riche de ma culture.

Le reportage de Pasquale Harrison-Julien est diffusé à Désautels le dimanche à10 h à ICI Première.

Reprendre racine dans la forêt

À quelques kilomètres de Mashteuiatsh, à Roberval, Claude Boivin tente lui aussi de faire revivre les traditions autochtones au milieu de la forêt avec son entreprise Aventure Plume Blanche. Cette semaine, il accueille des comédiens autochtones et allochtones membres de la troupe Menuentakuan, qui joueront bientôt dans la pièce de théâtre Alterindiens au Théâtre Denise-Pelletier en septembre. D’autres seront de la distribution de Mishinikan, présentée à Saguenay en mars 2022.

Marqué au fer rouge par les pensionnats autochtones et après avoir vécu des années dans l’itinérance, il a planté lui-même ses arbres pour entreprendre lui aussi un processus de guérison en revenant aux sources. Je me suis mis dans la tête d’un enfant. J’ai créé ça comme un livre d’histoire pour enfants, comme j’aurais voulu en avoir quand j’étais jeune. La forêt m’a sauvé. Comme elle a sauvé beaucoup de nos grands-mères, de nos grands-pères, et de nos frères et sœurs aujourd'hui encore, quand on retourne dans la forêt.

« Les gens manquent de temps. Ici, les gens prennent le temps. On va les déconnecter d’Internet et les reconnecter avec la forêt. »

— Une citation de  Claude Boivin

Son récit de résilience et de guérison trouve écho chez la comédienne Violette Chauveau : Je suis venue pour deux raisons. J’ai vécu un événement tragique dans ma vie cette année. J’ai perdu ma fille. C’est vraiment très difficile. Et les nouvelles m’ont vraiment perturbée par rapport aux pensionnats. Et j’entendais une résonance par rapport à ce que je vivais. Donc voilà. Ça m’aide à continuer et à voir les choses autrement.

Un autre membre du groupe, Xavier Huard, vient lui aussi écouter. En tant qu’allochtone, il faut prendre en compte qu’on a vraiment un rôle important à jouer dans les événements qui se passent en ce moment. Et c’est un rôle d’écoute, souligne-t-il. Pas d’essayer de comprendre avec sa tête et d'intellectualiser, puis d’argumenter. D'être vraiment juste à l’écoute, puis de se laisser pénétrer par les témoignages qui n’ont pas été entendus.

Cette écoute accrue à la réalité autochtone, Claude Boivin veut s’en servir pour nouer le dialogue, ouvrir sa forêt et peut-être un peu panser ses plaies. Comme je le dis souvent aux gens, ce serait facile pour moi de m'asseoir devant ma télé et de dire : "J’en ai rien à foutre de tout ça." Mais moi, ce qui m’a sauvé, c’est ma spiritualité, mon retour aux sources et le mode de vie traditionnel. J’ai besoin de redonner ça.

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