Santé Canada veut autoriser plus de pesticide glyphosate sur des aliments
Pour les légumineuses et les noix, le Canada est prêt à devenir moins exigeant que les États-Unis et la Chine.

Santé Canada explique que le rehaussement de la limite de pesticides permise vise à permettre de « réduire les barrières pour les transformateurs alimentaires qui souhaitent importer des légumineuses de pays avec des normes moins exigeantes ».
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les Canadiens ont jusqu'à mardi pour commenter une proposition du gouvernement fédéral qui vise à rehausser les quantités de résidus de l'herbicide glyphosate permises sur plusieurs denrées alimentaires comme les lentilles, les haricots ou les pois. Ottawa veut ainsi faciliter la commercialisation de produits qui dépassent les limites actuelles.
Dans l'avis de consultation (Nouvelle fenêtre) publié par Santé Canada, on découvre que la limite de glyphosate autorisée au pays serait multipliée jusqu'à trois fois pour certains aliments par rapport à la norme actuelle.
La limite pour les noix passerait de 0,4 ppm à 1, à l'exception des arachides.
Correctif
Dans une version précédente de cet article, il était écrit que l'augmentation des limites concernait aussi les céréales comme le blé, l'orge et l'avoine. Or, Santé Canada assure qu'elle ne changera pas leurs valeurs. Le fédéral modifie uniquement la terminologie de certains de leurs sous-produits (exemple : son, gruau) qui étaient auparavant classifiés comme moutures
. Santé Canada reconnaît que la présentation de son avis public pouvait prêter à confusion.
Santé Canada explique que le rehaussement des limites pour les légumineuses vise à permettre l'importation et la vente d'aliments contenant ces résidus
.
Ça va réduire les barrières pour les transformateurs alimentaires qui souhaitent importer des légumineuses de pays avec des normes moins exigeantes
, note l'Union nationale des fermiers, qui s'oppose à cette proposition.
Ça va augmenter l'exposition des consommateurs canadiens aux résidus de glyphosate [...], d'autant plus que la demande pour les protéines végétales est en augmentation
, indique aussi l'Union nationale des fermiers dans son commentaire envoyé à Santé Canada.
Les légumineuses et les céréales comme le blé sont des denrées très importantes pour l'économie canadienne
, rappelle Louise Hénault-Ethier, professeure associée à l'Institut national de recherche scientifique (INRS) et directrice du Centre Eau Terre Environnement. Ce sont aussi des denrées qui ont été identifiées comme contenant le plus de résidus de pesticides.
La modification des normes en environnement ou dans les aliments est souvent liée à des pressions de l'industrie. Je me demande quel a été le rôle de l'industrie agricole ou agrochimique canadienne.
L'Union nationale des fermiers anticipe pour sa part que les nouvelles limites augmenteront la quantité de glyphosate utilisée dans les champs
.
L'usage du glyphosate toujours en croissance

L'épandage de glyphosate juste avant la récolte augmente la présence de résidus sur les céréales.
Photo : AFP / Mychele Daniau
L'utilisation du glyphosate, commercialisé sous la marque Roundup, est en constante augmentation. En 2019, au Québec, il s'en est vendu 1 878 525 kilos, soit deux fois plus qu'au début des années 2000 et quatre fois plus que dans les années 1990.
Depuis quelques années, une pratique controversée prend de l'expansion : la pulvérisation des céréales et des légumineuses juste avant la récolte pour sécher le champ et faciliter le travail des moissonneuses.
Très répandue en Saskatchewan, cette façon de faire est dénoncée par des experts, car elle augmente les risques que les résidus de pesticides se retrouvent dans nos assiettes.
Plusieurs pays d'Europe comme la Belgique et l'Italie l'interdisent. Des fabricants de pâtes italiennes ont d'ailleurs cessé d'importer du blé canadien pour cette raison.
Des résidus très fréquents dans nos assiettes

Le guide alimentaire canadien encourage à manger plus de légumineuses.
Photo : Santé Canada
Entre 2015 et 2018, l'Agence canadienne d'inspection des aliments a constaté la présence de résidus de glyphosate sur plus des échantillons analysés. Cependant, seulement 0,5 % de toute la nourriture analysée contenait des résidus du pesticide au-delà des limites permises à l'époque.
Louise Hénault-Ethier ne comprend pas pourquoi on souhaiterait augmenter les limites pour se conformer aux exigences d'importation ou d'exportation d'aliments, alors que les aliments sur le marché semblent se conformer
.
Santé Canada assure que les nouvelles normes proposées demeurent sécuritaires.
Aux limites maximales de résidus proposés, ces résidus ne poseront pas de risques inacceptables pour aucune sous-population, y compris les nourrissons, les enfants, les adultes et les aînés.
Moins exigeant que les États-Unis et la Chine
Jusqu'à présent, le Canada avait les mêmes limites que la Chine en ce qui concerne les pois et les lentilles (5 ppm), mais avec le changement proposé, les normes chinoises deviendraient plus strictes que les nôtres.
La comparaison avec les limites américaines est aussi intéressante. Pour le moment, les États-Unis sont plus permissifs que nous. Mais Ottawa est maintenant prêt à devenir moins exigeant.
Santé Canada explique qu'elle se fie à une recommandation faite en 2019 lors d'une réunion conjointe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation.
Ça va dans la mauvaise direction
, regrette la directrice de l'Association pour le commerce biologique du Canada, Tia Loftsgard. Je ne comprends pas pourquoi le Canada veut devenir plus permissif que les autres pays.
Si vous augmentez le niveau de glyphosate autorisé sur les aliments, ça ne va pas convaincre les agriculteurs d'en utiliser moins. Au contraire, ça va leur permettre d'en utiliser plus.
Les producteurs biologiques s'inquiètent, car ils sont déjà victimes de la contamination des pesticides présents sur les champs voisins.
Même dans les produits biologiques, l'Agence canadienne d'inspection des aliments a découvert que 24 % des échantillons analysés contenaient des résidus de glyphosate.
Sur les 69 aliments qui dépassent les limites permises, 18 étaient biologiques. La majorité venait des États-Unis.
Une controverse qui ne s'éteint pas

Des municipalités canadiennes ont interdit le glyphosate sur leur territoire.
Photo : Reuters / Denis Balibouse
Le glyphosate est au centre d'un conflit scientifico-judiciaire et met en jeu des milliards de dollars.
En 2015, une agence de l'OMS a déclaré le glyphosate cancérigène probable
. Son fabricant, Bayer, qui est propriétaire de Monsanto, fait face à plusieurs poursuites d'utilisateurs atteints du cancer, dont certains au Canada et au Québec.
Bayer dément que le glyphosate soit cancérigène et met en avant des décennies d'études et d'autorisations réglementaires dans différents pays qui prouvent, selon elle, l'innocuité du Roundup pour l'humain.
En janvier 2019, Santé Canada a maintenu son approbation du produit. Des municipalités ont toutefois décidé de l'interdire sur leur territoire. C'est le cas de Laval, au Québec, et de Tracadie, au Nouveau-Brunswick.