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Kama La Mackerel, l’artiste trans et anticoloniale aux multiples talents

Une personne trans sourit et porte une chemise fleurie.

L'artiste multidisciplinaire Kama La Mackerel.

Photo : Noire Mouliom

L’artiste multidisciplinaire et autodidacte Kama La Mackerel, qui a récemment remporté un prestigieux prix du Conseil des arts du Canada, travaille à déconstruire les stéréotypes coloniaux et à valoriser l’art produit par les personnes racisées issues de la communauté LGBTQ+.

À sa demande, l’artiste est citée avec le pronom iel (utilisé pour représenter le genre neutre) et les accords féminins sont utilisés.

Kama de La Mackerel a reçu, le 23 juin, le prix Joseph-S.-Stauffer en arts visuels du Conseil des arts du Canada pour l’ensemble de sa carrière jusqu’à présent. Cette récompense est remise à des artistes en début de carrière et en mi-carrière et est assortie d’une bourse de 5000 $.

Je suis fière de ce prix! En tant que personne immigrée, racisée et trans, je peux dire qu’il te faut travailler de 10 à 15 fois plus fort qu’un homme blanc... Aujourd’hui, on parle de la qualité artistique de mon travail, mais j’ai senti la pression d’hyperperformer, car c’est le seul moyen de se [démarquer] , relate l’artiste.

Née à l’île Maurice, Kama explore la notion du genre, du corps et de l’espace dans son art et dans ses écrits, en plus de mettre en valeur les voix des personnes queers, trans et racisées francophones et anglophones. Dans sa démarche en arts visuels, Kama allie souvent photographie, textile, poésie et performances.

Par exemple, en 2019, l’artiste a réalisé l’œuvre photographique Breaking the Promise of Tropical Emptiness, une série de 15 photos prises par la photographe sud-africaine Nedine Moonsamy dans la nature à l’île Maurice et dans lesquelles Kama s’est mise en scène . L’artiste a ainsi voulu déconstruire le stéréotype colonial qui se rattache, selon iel, aux cartes postales de paysages paradisiaques. La série de photos a été présentée dans plusieurs galeries au Canada.

Une personne trans tient un arbre dans un immense paysage de l'île Maurice avec des montagnes et des plantes.

Une photo de l'oeuvre « Breaking the Promise of Tropical Emptiness »

Photo : Nedine Moonsamy

Kama La Mackerel présentera à l’automne une installation multimédia, Queering the Is/land Body, la suite de la série précédente, qui allie cette fois textile, vidéo et photographie, à l’occasion de MOMENTA, Biennale de l’image.

Cela représente un espace spirituel qui me permet d’articuler et de vivre ma transidentité, qui sort du discours occidental, pour démontrer qu’il y a plusieurs manières d’exister , explique l’artiste.

Une démarche engagée pour déconstruire les stéréotypes

Issue d’une famille ouvrière, Kama La Mackerel est la seule de sa famille à être allée à l’université. Iel a terminé un baccalauréat en littérature et philosophie à l’Université de Pune, en Inde. C’est par la suite que l’artiste a eu la piqûre pour le kathak, une danse classique indienne. En 2008, Kama s’est envolée pour le Canada pour faire une maîtrise en théorie, culture et politiques à l’Université Trent, en Ontario.

En commençant ses études, Kama sentait qu’iel était une figure d’espoir et de fierté pour sa famille. Installée à Montréal depuis bientôt presque 10 ans, iel a développé au fil des ans une pratique artistique multidisciplinaire qui se penche, par le biais du corps, de la performance et des mots, sur ses racines et sur sa place comme personne trans dans le monde. Kama réfléchit aussi beaucoup aux impacts de la colonialité, autant sur les personnes que sur le système, les institutions et les codes de société.

La question qui m’intéresse beaucoup, c’est la question de la décolonialité en relation avec le genre et le corps. Aussi, je suis autodidacte, je n’ai jamais fait d’école d’art, ce qui est pour moi une source de grande liberté. Cela m’a permis d’explorer différentes formes d’art au courant de ma vie d’adolescente et d’adulte. Je me suis dit que je voulais amener une pratique de danse, de performance, d’installation et de rituel dans ma pratique , explique Kama.

L’exploration et l’émancipation des cabarets

En arrivant au Canada, Kama n’avait pas de diplôme d’art en poche, ne connaissait pas un réseau d’artistes en particulier, n’était pas familière avec les différentes instances culturelles et n’avait pas accès aux différentes sources de financement. Il y a tout un système de l’institution artistique auquel je n’avais pas accès. Je n’avais même pas accès au langage. Je ne savais pas c’était quoi, la différence entre ‘‘production’’ et ‘‘diffusion’’, par exemple, explique-t-iel.

Arrivée à Montréal en 2011, l’artiste s’est mise à explorer les différents cabarets et salles alternatives queers de Montréal, dont la coopérative de solidarité L’Artère, qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui. Ce lieu a permis à Kama de faire découvrir son art, de tester ses textes et de faire du spoken word pour la première fois de sa vie, cet art de livrer des textes poétiques sur scène.

Iel a fondé, en 2013, la soirée Gender B(l)ender, en plus d’en assurer l’animation. Cet événement donnait une voix aux personnes queers, trans et racisées de tous les horizons artistiques. Plus de 600 performances y ont été présentées jusqu’en 2018.

Le 29 juin dernier, l’événement s’est tenu à nouveau, mais en ligne, à l’occasion du Festival littéraire international Métropolis bleu, qui mettait en vedette les artistes Tranna Wintour, Kai Cheng Thom, Roxane Nadeau, Kim Ninkuru et Chris Bergeron.

Zom-fam, une œuvre significative

Kama a publié en 2020 le recueil de poésie Zom-fam (qui veut dire transgenre ou homme-femme en créole mauricien), encensé par la critique, particulièrement au Canada anglais.

Si Zom-fam est un livre, il s’agit aussi de plusieurs années de spoken word et de performances scéniques. En 2020, Zom-fam devait faire l'objet d'un spectacle de Kama, mais a finalement été annulé deux fois étant donné le contexte de pandémie.

Une artiste danse avec une jupe rose avec des pétales de fleurs sur le sol.

L'artiste Kama La Mackerel dans le spectacle « Zom-fam »

Photo : Vanessa Fortin

La scène et le mouvement du corps sont importants pour Kama, pour l’émancipation personnelle et artistique. Même dans le livre Zom-fam, on retrouve cet aspect. Je voulais ramener la touche performative de l'œuvre dans le livre. Le texte est en performance sur la page, comme le corps sur la scène. Le placement des mots, des vers, des lignes, ça voyage sur la page, soutient l’artiste multidisciplinaire.

Le livre sera lancé d’ici quelques jours à l’île Maurice.

Je sens qu’il y a une ouverture pour cette œuvre là-bas. Même s’il y a des hésitations et de l’incompréhension [chez les membres] de ma famille, je sens quand même une fierté de leur part, souligne l’artiste.

Projecteurs sur la diversité de la communauté LGBTQ+

Depuis son arrivée au pays, Kama La Mackerel a toujours senti l’importance et le besoin de braquer les projecteurs sur les personnes racisées issues de la communauté LGBTQ+. En 2017, iel a coanimé le premier spectacle Excellence, qui met exclusivement de l’avant des personnes queers, racisées et autochtones, afin de s’assurer qu’une place leur est accordée pendant le Festival Fierté Montréal.

Cette année, Kama s'investit dans le collectif Loud + Proud Québec, dont la mission est de donner une plateforme aux individus de ces communautés encore marginalisées dans la ville de Québec.

L'artiste fait aussi de la traduction d'œuvres en anglais vers le français.

Je m’intéresse beaucoup à la question du français inclusif dans les traductions. Jusqu’à présent, j’ai uniquement traduit des œuvres de femmes trans canadiennes anglophones. Je trouve important que ces voix puissent circuler dans la francophonie , souligne Kama, qui vient de traduire le roman Fèms magnifiques et dangereuses, de l’autrice Kai Cheng Thom, qui paraîtra l’automne prochain aux Éditions XYZ.

Kama La Mackerel aimerait aussi traduire son propre livre Zom-fam en français.

Il s’agira alors d’un processus de recréation, d’une nouvelle œuvre. J’aimerais aussi faire une version de Zom-fam en créole mauricien, et après, refaire un spectacle avec ça… Toutes ces œuvres pourront ensuite être en conversation, se réjouit l’artiste.

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