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Appel à allonger la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle

La question s'est posée lorsque le meurtrier Paul Bernardo s'est vu refuser la liberté pour la deuxième fois.

Les mains d'un détenu à l'extérieur des barreaux d'une cellule de prison.

Au Canada, tout criminel a le droit de soumettre une requête de libération conditionnelle tous les deux ans.

Photo : La Presse canadienne

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Les parents de deux adolescentes tuées en Ontario ont renouvelé à la fin juin leur demande auprès d’Ottawa pour rallonger la période d’inadmissibilité des contrevenants à faire une demande de libération. Ils veulent éviter que d’autres familles de victimes aient à se faire entendre devant la Commission des libérations conditionnelles, lorsqu’un demandeur a échoué une première fois à en obtenir une.

Leur avocat Tim Danson plaide pour que le gouvernement fédéral rallonge de deux à cinq ans, voire sept ans, la période d'inadmissibilité des contrevenants pour éviter que les survivants d'un crime et les familles de victimes retournent se faire entendre devant la Commission pour tenter de la convaincre de ne pas les relâcher dans la communauté.

Me Danson, qui représente les familles French et Mahaffy en Ontario, s'interroge sur l'utilité d'une telle procédure lorsque le demandeur n'a montré aucun progrès en détention en ce qui a trait à sa réinsertion sociale.

« Un processus qui consiste à soumettre des familles éplorées à lire leurs déclarations tous les deux ans devant la Commission et l'assassin de leur être cher est une épreuve déchirante à traverser, c'est injuste et inapproprié et la loi doit être modifiée. »

— Une citation de  Tim Danson, avocat des familles French et Mahaffy

Paul Bernardo a été condamné en 1995 à la prison à vie sans droit de libération conditionnelle avant 25 ans pour l'enlèvement, le viol et le meurtre prémédité des adolescentes Leslie Mahaffy et Kristen French en 1991 et 1992 dans la région du Niagara.

Le meurtrier de 56 ans avait été appréhendé en 1993, si bien qu'il est en prison depuis 28 ans.

Un dessin de cour de Paul Bernardo lors d'une comparution au début d'octobre.

La Commission a refusé pour la seconde fois le mois dernier de libérer Paul Bernardo sous condition après une première tentative en octobre 2018.

Photo : La Presse canadienne / Greg Banning

Tim Danson estime que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition doit être modifiée, mais seulement pour ceux qui ont été condamnés à la perpétuité pour un ou plusieurs meurtres prémédités ou qui ont été déclarés contrevenants dangereux.

L'avocat en fait d'ailleurs une question non partisane si jamais un tel projet de loi devait être soumis au vote des députés à la Chambre des communes.

Rôle minimal des familles

La professeure de droit de l'Université d'Ottawa Jennifer Quaid reconnaît que ces audiences sont toujours très pénibles pour les survivants d'un crime et les familles des victimes. Il est indéniable que pour les familles, c'est un traumatisme horrible à revivre, dit-elle.

Jennifer Quaid

Jennifer Quaid, professeure associée de droit à l'Université d'Ottawa

Photo : Radio-Canada / Sylvie Robillard

Mme Quaid aimerait que la procédure entourant toute demande de libération contienne des mécanismes qui permettraient d'apporter soutien et réconfort aux familles dans leur épreuve et de leur rendre la procédure moins douloureuse.

« Personne ne peut rester insensible devant l'horreur qu'elles ont dû vivre et qu'elles vivent encore... mais la triste réalité pour les parents de Kristen French et Leslie Mahaffy, c'est que le droit pénal n'a pas été conçu pour alléger leurs souffrances. »

— Une citation de  Jennifer Quaid, professeure de droit

La Société John Howard du Canada, qui participe à la réinsertion sociale des prisonniers au pays, dit qu'elle compatit, elle aussi, à la douleur des familles.

Un des bâtiments du Service correctionnel du Canada à Laval, où se déroulent des audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Un pénitencier à Laval, où se déroulent des audiences de la Commission des libérations conditionnelles du Canada

Photo : Radio-Canada

Sa directrice générale, Catherine Latimer, ne comprend toutefois pas les raisons pour lesquelles des familles ressentent le besoin moral d'affronter une telle épreuve de façon périodique devant la Commission, alors que leurs témoignages n'auront pas d'effet, selon elle, sur la décision des commissaires.

« Ce processus ne consiste aucunement à rendre le contrevenant redevable par rapport au crime qu'il a commis, parce que son audience sur la détermination de la peine a déjà eu lieu lors du procès. »

— Une citation de  Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada

La sénatrice indépendante Kim Pate ajoute que la présence des familles des victimes ou des survivants d'un crime n'est pourtant pas obligatoire.

Des familles m'ont expliqué qu'elles avaient la responsabilité de le faire et pourtant, ce n'est pas dans leur intérêt de s'y présenter à cause du traumatisme que ça implique selon l'avis de nombreux psychologues, dit-elle.

Kim Pate

La sénatrice indépendante Kim Pate représente la région d'Ottawa.

Photo : Radio-Canada

Mme Latimer précise que la Commission va plutôt s'intéresser aux progrès que le contrevenant a réalisés en détention et au risque de récidive qu'il représente pour la sécurité du public dans l'éventualité où il obtiendrait une libération conditionnelle.

En ce sens, les familles des victimes ont une capacité très limitée de faire un commentaire à ce sujet faute de voir ce que le prisonnier a accompli ou non en prison, poursuit-elle.

Dernières modifications

Mme Latimer souligne de toute façon que des modifications ont été apportés en 2015 à la loi pour accorder un pouvoir de discrétion à la Commission, qui a depuis l'autorité de rallonger à sa guise la période d'inadmissibilité d'un contrevenant violent jusqu'à cinq ans.

Elle rappelle d'ailleurs que la loi a été modifiée à la suite d'un tollé de la part de familles qui s'insurgeaient contre le fait de devoir témoigner une autre fois devant la Commission alors que le contrevenant n'avait aucune chance d'être libéré.

La Société John Howard du Canada estime que les deux tiers des prisonniers incarcérés dans les pénitenciers fédéraux au pays ont commis un crime violent.

Mme Latimer pense toutefois que la discrétion dont jouit maintenant la Commission n'est pas rétroactive pour les détenus qui purgeaient déjà une peine avant les changements de 2015 comme Paul Bernardo.

Mais pour les autres prisonniers qui ont été incarcérés au pays depuis six ans, les changements sont pour l'heure suffisants selon elle.

Un marteau de président.

Le bureau du ministre Bill Blair rappelle que la Commission est un tribunal administratif indépendant qui a carte blanche pour décider d'entendre un contrevenant violent au moment qu'elle juge opportun.

Photo : iStock

Mme Latimer souligne que le niveau de récidive d'un criminel n'est pas systématiquement lié à la gravité du crime qu'il a commis avant d'être emprisonné.

« Cette notion qu'il faille adopter une règle absolue selon laquelle les contrevenants violents doivent attendre plus longtemps que les autres avant de refaire une demande de libération conditionnelle n'a pas de sens, parce que les statistiques montrent que les condamnés à perpétuité affichent généralement des taux de récidive plus bas que les autres. »

— Une citation de  Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada

La Commission des libérations conditionnelles n'a toutefois pas répondu par courriel à notre question par écrit sur le fait qu'elle n'a pas utilisé sa discrétion pour attendre trois ans avant d'entendre à nouveau Paul Bernardo.

Réaction du gouvernement

Le bureau du ministre Bill Blair n'a pas répondu spécifiquement à nos questions sur la possibilité de rallonger la période d'inadmissibilité des criminels à la libération conditionnelle.

Son directeur des communications, James Cudmore, reconnaît néanmoins dans un courriel que les audiences sur les libérations conditionnelles sont éprouvantes et revêtent un poids émotionnel important pour les survivants d'un crime et les familles des victimes.

« Nous saluons les efforts et le courage [des survivants et des familles des victimes] parce que leurs témoignages devant la Commission permettent de rendre nos communautés plus sécuritaires. »

— Une citation de  James Cudmore, directeur des communications du ministre Bill Blair

M. Cudmore rappelle que la loi prescrit toujours un délai de deux ans à tout contrevenant qui souhaiterait soumettre une nouvelle demande de libération conditionnelle après un échec, mais que cette prescription n'est pas toujours automatique.

Bill Blair porte un écouteur et suit le déroulement d'un point de presse.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

La professeure Jennifer Quaid croit qu'il faut éviter, dans la mesure du possible, de créer des règles d'application générale en fonction d'un cas, ou d'une situation particulière, parce que le droit pénal a été conçu comme étant un droit qui s'applique à tous.

Il existe, selon elle, un danger que le législateur essaie de modifier le droit applicable à une personne précise, ce qui serait une violation flagrante de l'indépendance du système de justice criminelle.

Droits des prisonniers

Mme Quaid pense de toute façon qu'il serait probablement difficile de rallonger toute période d'inadmissibilité à cinq ou même sept ans. Il me semble que cela serait très problématique et possiblement inconstitutionnel, soit en vertu des articles 7 ou 12 de la Charte, explique-t-elle.

Elle rappelle que des personnes innocentes ont été victimes d'erreurs judiciaires et qu'elles ont malheureusement passé des décennies en prison. Imaginez si une règle devait les priver de la possibilité de faire une demande de libération conditionnelle aux cinq ans ou aux sept ans, s'interroge-t-elle.

Les garanties juridiques de la Charte canadienne :

Article 7 : vie, liberté et sécurité de la personne

Article 12 : protection contre les traitements ou peines cruels et inhabituels

La sénatrice Kim Pate pense pour sa part aux femmes autochtones qui ont été condamnées à la prison pour avoir commis un crime alors qu'elles se trouvaient bien souvent en position de légitime défense.

« On ne les a souvent pas crues, ou prises au sérieux, ou leur avocat n'a pas cru bon d'utiliser la légitime défense à leur procès... Dans une telle situation, il est important de bien peser leurs arguments tous les deux ans devant la Commission, à défaut de revoir leur condamnation devant les tribunaux. »

— Une citation de  Kim Pate, sénatrice indépendante

Mme Pate explique que ces femmes sont souvent des survivantes des pensionnats pour Autochtones, qu'elles ont été élevées dans le système de la protection juvénile, que beaucoup d'entre elles ont été violentées par des hommes à qui elles ont parfois opposé une résistance en utilisant la force contre eux lorsqu'elles avaient un couteau à leur disposition, par exemple.

La cause Bissonnette

Tim Danson compte demander à être entendu devant la Cour suprême du Canada dans la cause d'Alexandre Bissonnette, parce qu'elle soulève la question constitutionnelle de priver un contrevenant de la possibilité de demander une libération conditionnelle pendant plus de 25 ans.

Nous ne sommes pas d'accord avec la décision de la Cour d'appel du Québec, dit-il en laissant entendre qu'il est favorable à l'idée d'imposer des peines cumulatives dans des circonstances exceptionnelles.

Me Danson affirme toutefois que peu importe la décision de la Cour suprême, elle ne pourra s'appliquer à Paul Bernardo de façon rétroactive, parce que les juges au pays n'avaient pas encore la discrétion en 1995 d'infliger des peines consécutives en fonction du nombre de victimes.

Un avocat en conférence de presse.

L'avocat Tim Danson s'adresse aux médias sur une plateforme numérique après l'audience de Paul Bernardo devant la Commission le 22 juin 2021.

Photo : Radio-Canada

Paul Bernardo a été condamné à la perpétuité pour le meurtre prémédité de deux victimes et les deux peines qu'il a reçues ont été purgées de façon concomitante, soit une peine de 25 ans ferme, déclare l'avocat sans prédire si l'assassin pourrait utiliser la prochaine fois le jugement de la Cour suprême à son avantage.

La sénatrice Kim Pate dit qu'il est vital que la cause Bissonnette soit entendue pour que l'on soit fixé une fois pour toutes sur la cruauté des châtiments infligés au pays et pour envisager, le cas échéant, des solutions de rechange.

Elle cite à ce titre le Portugal qui a été le premier pays au monde à abolir en 1976 les peines de prison à vie, parce qu'elles ont été qualifiées d'inconstitutionnelles. Dans ce pays, le châtiment le plus sévère est une peine maximale de 25 ans de prison.

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