Fenêtre sur l'horreur de la pandémie au CHSLD Sainte-Dorothée de Laval

Une employée et une résidente du CHSLD Sainte-Dorothée de Laval.
Photo : Radio-Canada
Plusieurs patients du CHSLD Sainte-Dorothée n'ont « presque pas été hydratés » et n'ont « presque pas mangé » avant leur mort, selon une ergothérapeute venue témoigner lundi à l'enquête publique de la coroner Géhane Kamel sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus en milieux d'hébergement lors de la première vague de COVID-19.
L'ergothérapeute, dont l'identité est protégée par une ordonnance de non-publication, craint que, chez les patients, il y en a probablement qui sont morts de déshydratation
malgré les efforts du personnel, qui n'avait pas le temps
de faire plus.
Elle s'est aussi souvenue d'un nombre important de repas dont seulement le quart était mangé
, faute d'aide suffisante à l'alimentation.
En tout, 102 résidents de Sainte-Dorothée, à Laval, ont succombé à la COVID-19 lors de la première vague. Durant le mois d'avril 2020, les deux tiers des employés étaient absents à cause de la maladie.
Le manque de personnel a aussi eu des conséquences sur la propreté des résidents.
« Il y a une dame qui est partie à pleurer parce qu'on l'a lavée, tellement elle était heureuse de se faire laver. »
Une autre dame a passé des heures avec plein de selles
dans sa culotte d'incontinence et une plaie de lit non traitée, car personne n'avait eu le temps de la changer.
D'autres ont dû être attachés pour être empêchés de déambuler. L'ergothérapeute s'est remémoré un patient avec des troubles cognitifs qui sortait chaque jour de sa chambre parce qu’il voulait téléphoner
. J'ai été obligée de l'attacher à son fauteuil parce qu'il voulait parler à sa femme
, a-t-elle déploré.
Les patients du CHSLD, confinés dans leurs chambres, ne bougeaient plus
, ce qui a détérioré leur état physique. Certains n'arrivaient plus à se tourner dans leur lit
. Ceux qui étaient en réadaptation ont perdu tellement de forces
qu'ils n'étaient plus capables de marcher
.
L'ergothérapeute faisait partie des volontaires arrivés en renfort en CHSLD au mois d'avril. Alors que ses collègues et elle n'avaient aucune expérience dans le milieu, elles n'ont pas eu de formation
. De plus, durant la première semaine de son arrivée, il n'y avait pas de consignes claires
au sujet de l'équipement de protection.
« On changeait constamment d'unité, donc il fallait toujours connaître de nouveaux patients. Le niveau d'autonomie des gens n'était pas identifié [devant les chambres]. »
Il était donc impossible pour elle de connaître les besoins des résidents, ou d'être prévenue s'ils étaient agressifs. Je me suis fait cracher au visage
par une personne atteinte de la COVID-19, s'est-elle souvenue. Elle portait heureusement une visière en plastique.
Un bateau sans capitaine
Une technicienne en diététique, chargée de déterminer les repas des patients selon leurs besoins, a décrit Sainte-Dorothée comme étant un bateau sans capitaine
. Son identité est également protégée par une ordonnance de non-publication.
« Tout le monde faisait n'importe quoi. »
Elle a été témoin d'une cadre complètement dépassée, en train de crier, en train de pleurer au personnel venu aider
.
Plusieurs jours pouvaient passer avant que la cuisine ne soit informée de la mort de certains patients et arrête de leur envoyer des repas. L'ergothérapeute, qui avait comme tâche d'apporter lesdits repas, a fait la même constatation.
« On rentrait le matin pour porter le déjeuner, et câline, il était mort, le patient. »
Au département de la cuisine, où la technicienne en diététique travaillait, les employés étaient, selon elle, peu formés au port de l'équipement de protection. J'ai vu des cuisiniers qui faisaient des boulettes de steak haché avec des masques pleins de sang
parce qu'ils les touchaient avec leurs mains, a-t-elle affirmé.
De plus, ceux qui lavaient la vaisselle étaient obligés de manipuler les cabarets sales des résidents et ils ont tous attrapé la COVID-19
.
Seule, la nuit
Une préposée aux bénéficiaires qui travaillait de nuit a témoigné s'être plusieurs fois retrouvée seule sur un étage
de 34 patients, dont plusieurs font de l'errance
et doivent être ramenés à leur chambre. Je leur prenais le bras ou la main
, a-t-elle expliqué, alors qu'elle n'avait pas de masque
.
Selon elle, la coordonnatrice de nuit restait souvent dans son bureau. On ne la voyait quasiment pas
, car elle disait qu'elle n'avait pas le temps
d'aider.
La directrice générale adjointe par intérim du CISSS de Laval, Geneviève Goudreault, ainsi que la directrice adjointe en soutien à l'autonomie des personnes âgées, Marie-France Jobin, avaient toutes deux affirmé dans leurs témoignages de la semaine passée que tous les employés de Sainte-Dorothée avaient été testés pour la COVID-19 au début d'avril 2020.
Pourtant, parmi l'équipe de nuit, personne n'était au courant qu'il y avait eu un dépistage
, a déclaré la préposée aux bénéficiaires.
Le contexte de l'enquête
L'enquête de la coroner Géhane Kamel se penche sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus dans des milieux d'hébergement au cours de la pandémie de COVID-19, qui comptent pour la moitié des victimes de la première vague.
Son objectif n'est pas de désigner un coupable, mais bien de formuler des recommandations pour éviter de futures tragédies.
Six CHSLD et une résidence pour personnes âgées ont été désignés comme échantillon. Un décès est examiné pour chaque établissement.
Les audiences de cette semaine portent sur la mort de Mme Anna José Maquet, le 3 avril 2020, au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. Ensuite, un volet national sera aussi examiné.