Entre popularité et désillusion : les applications de rencontre souvent toxiques pour les femmes

Les applications de rencontre comme Tinder gagnent en popularité, mais déçoivent beaucoup de célibataires.
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Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Bien que la popularité des applications de rencontre ait monté en flèche ces dernières années, en particulier pendant les vagues de confinement, ces plateformes restent un terreau fertile pour le harcèlement et la violence envers les femmes qui les utilisent.
La saison des flirts et de l’amour est officiellement ouverte. Les villes se déconfinent, les cœurs aussi. Après des mois à faire défiler les prétendants sur les applications de rencontre, beaucoup de femmes sont essoufflées. Désenchantées par les interactions futiles et les histoires sans lendemain, elles subissent aussi du harcèlement et de la violence de façon disproportionnée sur ces plateformes. Le jeu en vaut-il encore la chandelle?
Depuis sa création en 2012, Tinder est arrivé comme un sauveur dans l’arène du célibat et semble avoir révolutionné les rencontres pour toute une génération. En promettant l’amour au bout des doigts, a-t-elle aussi plongé les célibataires dans un jeu impossible à gagner et pavé de déceptions?
C’est ce que croit l’auteure et journaliste américaine Nancy Jo Sales. Dans son plus récent livre, publié en mai dernier, Nothing Personal : My Secret Life in the Dating Inferno, elle propose aux femmes et aux hommes de quitter les applications en masse (Nouvelle fenêtre) en raison du sexisme latent qui s’y trouve. Selon ses recherches, l’utilisation de ces plateformes rend les femmes moins heureuses, moins susceptibles de rencontrer un partenaire et plus à risque de subir de la violence
.
Reste que les applications et les sites de rencontre ont la cote. La pandémie n’a fait qu'augmenter leur popularité. En mars 2020, Tinder a marqué un record : 300 milliards de « swipes » en une journée (Nouvelle fenêtre), rapporte le média Fortune. Bumble a noté une hausse de 700% d’utilisation des appels vidéo sur sa plateforme. Ce n’est pas la fin des applications, mais la fatigue s’installe. Déjà en 2016, on parlait d’une « dating fatigue » (Nouvelle fenêtre) ou fatigue des rencontres en ligne dans le magazine The Atlantic. Les expériences de ghosting
(voir l’autre se spectrifier) et les enchaînements de premiers rendez-vous infructueux cultivent le cynisme des célibataires en quête d’amour.
Par exemple, sur les réseaux sociaux, des jeunes femmes célibataires parlent de l’été qui s’en vient comme du Hot Girl Summer
, une expression tirée de la chanson éponyme de l’artiste Meghan Thee Stallion. D’autres misent sur le Hot Vaxxed Summer
. En outre, elles revendiquent un été chaud et libéré, mais les travers des applications ternissent ces souhaits.
Le sexisme en toile de fond des rencontres en ligne
Une étude américaine du Pew Research Center publiée en 2020 (Nouvelle fenêtre), réalisée avant la pandémie, révèle que la majorité des personnes interrogées estiment que leur expérience sur les applications ou les sites de rencontre a été positive. Le portrait est tout autre pour les jeunes femmes. Elles sont plus enclines que les hommes (53% contre 39%) à penser que les plateformes ne sont pas un moyen sécuritaire de rencontrer quelqu’un.
Selon cette étude, 57% des femmes entre 18 et 34 ans rapportent avoir reçu une image ou un message sexuellement explicite sans leur consentement. Et ce sont 19% d’entre elles qui disent avoir été menacées de violence physique par un utilisateur sur une application ou un site de rencontre (le double des hommes du même âge qui disent avoir subi une situation similaire).
Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’UQAM et membre du réseau québécois en études féministes, prévient que les rencontres en ligne ont tous les défauts des rencontres en personne et peut-être plus. L’objectification des femmes et les abus n’y font pas exception.
Des messages non désirés de la part d’hommes, Marianne, âgée de 28 ans, en reçoit tous les jours : sur les applications de rencontre mais aussi sur Instagram. Nous utilisons seulement son prénom pour lui éviter plus d’interactions du genre. Comme toute jeune femme de sa génération, elle vit son célibat entre les plateformes en ligne et la vraie vie. Les rendez-vous en personne étant impossibles pendant la pandémie, son utilisation de Tinder a fait un bond.
Sa boîte de messages sur Instagram aussi. Des dizaines d’hommes lui font des avances. Pour la plupart, elle comprend qu’ils ont vu son profil sur une application de rencontre puis ont trouvé son compte sur le réseau social. N’ayant pas eu de suivi avec elle sur Tinder, ils persistent ailleurs.
Marianne partage parfois sur son compte Instagram les messages non désirés qu’elle reçoit, sans révéler l’identité de leurs auteurs. Ses abonnés s’enflamment à chaque fois : comment est-ce possible que ces hommes l’approchent de façon si frontale et irrespectueuse?
C’est fou à quel point les gens réagissent quand je publie les messages que je reçois. Ce qui m’étonne le plus, c’est que plusieurs sont sidérés. C’est comme si je leur apprenais ce que les femmes vivent avec les hommes sur les applications.
Chiara Piazzesi comprend le découragement vécu par les femmes célibataires. Elle s’avance même à penser que cela engendrera peut-être une réaction à plus large échelle des femmes qui commenceront à déserter les applications et que cela devra inévitablement forcer une réflexion de la part des compagnies privées qui administrent ces plateformes.
Un peu de sérieux, s'il vous plaît!
Ce sont seulement 12% des utilisateurs habituels d’applications (Nouvelle fenêtre) comme Tinder ou Bumble qui se sont mariés ou qui ont été dans une relation sérieuse avec une personne rencontrée à travers ces outils. Bon nombre de personnes se lancent dans l’arène des applications pour y trouver l’amour.
Marion Bertrand-Huot, présidente de l’organisme de bienfaisance Les 3 sex, qui lutte pour les droits sexuels et la santé sexuelle, croit que les périodes de confinement ont créé un contexte où les utilisateurs se sont mis à jouer à Tinder
.
Pendant la pandémie, on a vu naître un phénomène de surutilisation des applications de rencontre, ce qui a causé une écoeurantite aiguë en plus d’une ludification de l’outil.
Elle observe que les utilisateurs et utilisatrices, sachant qu’une rencontre en personne ne serait pas possible en raison des règles sanitaires, se sont mis à prendre l’outil moins au sérieux.
C’est d’ailleurs une tendance qu’observe Geneviève, jeune femme dans la trentaine. Selon son expérience, rencontrer un partenaire qui veut du sérieux, ce n’est pas une mince affaire.
Je suis fatiguée de dater et j’ai juste envie de quitter toutes les applications.
Après de nombreuses rencontres décevantes, l’idée de devoir recommencer le cycle avec une nouvelle personne à chaque fois l’épuise profondément.
Le masque séduisant que l’on porte
C’était d'ailleurs la promesse des applications : beaucoup de partenaires potentiels, donc plus de chances de trouver l’amour. Beaucoup l’attendent toujours, cet amour. La sexologue Marion Bertrand-Huot note que la possibilité de rencontres s’est accrue. Cependant, un filtre s’est enlevé.
C’est beaucoup plus facile de protéger qui on est en ligne et de se vendre. Ça peut rapidement mener à une déception. On peut effectivement classer rapidement les critères que l’on veut d’un partenaire. Mais en même temps, c’est plus facile de faire semblant de correspondre à ces critères-là.
- Marion Bertrand-Huot
D’après elle, plusieurs rencontres sont nécessaires pour distinguer la personne vendue en ligne de sa réelle identité. Dans le quotidien, les lieux de la rencontre ou les amis en commun forment un filtre déjà plus fidèle aux intérêts et aux valeurs de la personne.
Les valeurs guident maintenant les choix de partenaires. Ce qui était moins vrai avant. C’est devenu le filtre principal. On le comprend puisqu’à moyen et long terme, cela détermine beaucoup de choses dans la relation.
Selon l’étude du Pew Research Center (Nouvelle fenêtre), près de 7 personnes sur 10 qui utilisent les applications en ligne considèrent qu’il est très commun pour ceux qui sont sur ces plateformes de mentir pour être plus désirables.
Les derniers mois de confinement ont permis à plusieurs célibataires d’explorer la solitude. Et peut-être de se libérer de la pression omniprésente d’être en relation amoureuse. Quelques mois avant la pandémie, l’actrice et activiste Emma Watson a affirmé « être heureuse dans son célibat », décrivant son état comme « self-partnered » (« en couple avec elle-même »).
Marion Bertrand-Huot y voit une option à explorer pour les célibataires.
La pandémie [leur] a permis de comprendre qu’ils pouvaient survivre à la solitude et on voit apparaître cette notion de ne pas vouloir retourner dans un modèle où on doit dépendre d’une autre personne et que c’est la finalité.
- Marion Bertrand-Huot