Des chercheurs montrent un lien biologique entre viande rouge et cancer

La modération est toujours de mise pour ce qui est de la consommation de viande rouge.
Photo : La Presse canadienne / J. Scott Applewhite
Manger moins de viande rouge est un conseil médical répandu pour prévenir le cancer colorectal, mais jusqu'ici, tous les experts n'étaient pas persuadés de l'existence d'un véritable lien entre les deux, faute de comprendre la mutation des cellules entraînée par sa consommation.
Une nouvelle étude, publiée cette semaine dans la revue scientifique Cancer Discovery, a permis de déterminer les caractéristiques spécifiques des dommages causés à l'ADN par un régime alimentaire très riche en viande rouge.
Elle incrimine effectivement cette dernière comme cancérigène, tout en ouvrant la voie à la détection plus précoce de la maladie ou au développement de nouveaux traitements.
Il ne s'agit pas d'arrêter de manger de la viande rouge : Je recommande la modération et un régime alimentaire équilibré
, affirme Marios Giannakis, oncologue au Dana-Farber Cancer Institute.
Les études scientifiques avaient jusqu'à présent établi un lien entre le cancer colorectal et la consommation de viande rouge en interrogeant les personnes atteintes de ce cancer au sujet de leurs habitudes alimentaires.
Toutefois, les travaux de ce type dépendent beaucoup des données sur lesquelles ils se fondent. En 2019, une équipe de chercheurs avait créé la controverse en affirmant qu'il était très incertain qu'une réduction de la consommation de viande rouge abaisserait la mortalité par cancer.
« Si nous disons que la viande rouge cause le cancer, [...] il doit bien y avoir un mécanisme qui le provoque. »
Après tout, les scientifiques ont découvert il y a longtemps la façon dont la fumée de cigarette agit pour provoquer un cancer et dont certains rayons UV pénètrent la peau pour entraîner des mutations génétiques contrôlant la façon dont les cellules se développent et se divisent.
Marios Giannakis et ses collègues ont donc séquencé l'ADN de 900 patients atteints d'un cancer colorectal, sélectionnés parmi un groupe de 280 000 personnes participant à des études sur plusieurs années, incluant des questions sur leur mode de vie.
La force de cette approche est qu'ainsi les participants ne pouvaient pas savoir qu'ils allaient développer ce cancer, contrairement à ce qui se produit quand on recourt à un interrogatoire sur les habitudes alimentaires une fois la maladie déclenchée.
Un type de mutation appelé alkylation
Les analyses ont révélé une altération spécifique n'ayant jamais été détectée auparavant et indiquant un type de mutation de l'ADN appelé alkylation.
Toutes les cellules contenant cette mutation ne deviendront pas forcément cancéreuses, et celle-ci était également présente dans des échantillons sains.
Cependant, cette mutation était associée de façon significative à la consommation de viande rouge (transformée ou non) avant le déclenchement de la maladie, alors qu'elle n'était pas liée à la consommation de volaille, de poisson ou d'autres facteurs examinés.
« Avec la viande rouge, des composés chimiques peuvent causer une alkylation. »
Il s'agit de composés pouvant être produits à partir de fer, très présent dans la viande rouge, ou de nitrates, qu'on trouve souvent dans la viande transformée.
Cette mutation était par ailleurs très présente dans le colon distal, une partie du colon dont de précédentes études avaient suggéré qu'elle était fortement liée au cancer colorectal résultant de la consommation de viande rouge.
De plus, parmi les gènes les plus affectés par l'alkylation se trouvent ceux qui, selon des travaux antérieurs, sont les plus susceptibles de déclencher un cancer colorectal lorsqu'ils mutent.
L'ensemble de ces éléments constitue un dossier solide, comme dans un travail de détective, selon Marios Giannakis.
Les patients dont les tumeurs présentaient le plus haut niveau d'alkylation couraient 47 % de risque de plus que les autres d'en mourir.
Seules les tumeurs de patients mangeant en moyenne plus de 150 grammes de viande rouge par jour montraient des degrés élevés d'alkylation.
Repérer les patients prédisposés à l'alkylation
Pour le chercheur, cette découverte pourrait aider les médecins à déceler les patients qui sont prédisposés génétiquement à l'alkylation, afin de leur conseiller spécifiquement de limiter leur consommation de viande rouge.
Par ailleurs, le fait de repérer les gens ayant commencé à accumuler ces mutations pourrait aider à détecter ceux qui ont le plus de risque de développer un tel cancer ou à dépister très tôt la maladie.
De plus, puisque le niveau d'alkylation semble être un marqueur de la gravité de la maladie, il pourrait être utilisé afin de livrer un pronostic sur l'espérance de vie de ceux qui en sont atteints.
Comprendre la façon dont le cancer colorectal se développe ouvre également la voie à la conception de traitements permettant d'interrompre ou d'inverser ce processus, afin d'empêcher que la maladie se déclenche.