La CAQ n'a pas l'intention de revoir la Loi sur la santé publique
Les règles encadrant le renouvellement et la sortie de l'état d'urgence sanitaire ne font pas consensus.

Le cabinet du ministre Christian Dubé indique que seule la Loi sur les services de santé et les services sociaux est visée par la consultation qui sera lancée cet été (archives).
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors que les partis d'opposition sont unanimes pour réclamer la fin de l'état d'urgence sanitaire en cette période de déconfinement, le gouvernement caquiste ne démontre pas d'appétit à moderniser la Loi sur la santé publique, qui lui a permis de s'arroger et de reconduire des pouvoirs exceptionnels depuis plus de quinze mois.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, annonçait cette semaine sa volonté de remanier la Loi sur les services de santé et les services sociaux.
En entrevue au Journal de Québec, il a dévoilé le souhait de consolider la banque de données centralisée mise sur pied durant la pandémie et de mettre fin au traitement de l'information en silo dans le réseau de la santé. Ces pratiques ont été rendues possibles grâce à la flexibilité exceptionnelle offerte par la déclaration de l'état d'urgence sanitaire, toujours en vigueur au Québec.
Des consultations particulières seront lancées cet été avec divers experts dans le but de présenter un projet de loi l'automne prochain, confirmait-il lors de cette même entrevue.
Pas prévu
Il n'est cependant pas question d'en profiter pour moderniser la Loi sur la santé publique, a-t-on indiqué à Radio-Canada. Cette loi, distincte, encadre notamment le déclenchement de l'état d'urgence sanitaire et son renouvellement.
C'est à partir de celle-ci que le gouvernement Legault a pu modifier plusieurs règles du jeu durant la pandémie. Contrats de gré à gré, suspension des conventions collectives du personnel de la santé, amendes et couvre-feu font partie des moyens qui ont été déployés pour lutter contre la COVID-19 en vertu de ces pouvoirs spéciaux.
Invité à préciser s'il entendait toucher à cette loi dans le cadre de ses travaux cet été, le cabinet du ministre Christian Dubé a répondu que ce n'est pas au menu.
Nous parlons de notre loi-cadre, la Loi sur les services de santé et les services sociaux
, a écrit Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse du ministre. L’intention du ministre est davantage de pérenniser certains outils de gestion de la pandémie et de la vaccination.
Le gouvernement n'a pas dit s'il souhaitait s'y pencher ultérieurement. Le cabinet du ministre Dubé a toutefois affirmé qu'il respectait rigoureusement
les dispositions de la Loi sur la santé publique depuis le début de la pandémie.
Faille
dans la loi
Or, les critiques sont nombreuses et sévères à l'endroit de l'interprétation qu'en fait la Coalition avenir Québec (CAQ). D'emblée, personne n'est contre le fait que le premier ministre l'ait invoquée pour déclarer l'état d'urgence sanitaire, le 13 mars 2020, quand le coronavirus est arrivé dans la province.
Les doléances concernent plutôt son renouvellement systématique. Par décret, cet état d'urgence a été renouvelé unilatéralement à chaque tranche de 7 à 10 jours, sans arrêt depuis 15 mois.
Le gouvernement se base sur l'article 119 de la loi pour procéder de la sorte. Ce paragraphe prévoit qu'un gouvernement peut renouveler l'état d'urgence sanitaire tous les 10 jours, sans consulter les parlementaires. La CAQ
aurait pu choisir une autre option, laquelle consiste à reconduire l'état d'urgence pour des périodes de 30 jours, mais à condition d'en débattre avec tous les élus de l'Assemblée nationale.L'expert en droit administratif et professeur à l'Université Laval Louis-Philippe Lampron parlait en avril dernier d'une « faille gigantesque » dans la loi, qui ne lui semble pas conçue pour des crises aussi prolongées que celle de la COVID-19.
Il estimait que le gouvernement ne respectait pas l'esprit de l'article, lequel précise pourtant des délais, tout en concédant que celui-ci était rédigé de façon à ce que la CAQ
puisse en faire l'application actuelle.Il invitait les oppositions à y voir et à rétablir des garde-fous
démocratiques. Joint cette semaine, son opinion n'a pas changé.
Article 119
L’état d’urgence sanitaire déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de 10 jours, à l’expiration de laquelle il peut être renouvelé pour d’autres périodes maximales de 10 jours ou, avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, pour des périodes maximales de 30 jours.
Enquête publique
Chez les partis d'opposition, qui ont repris la balle au bond ces dernières semaines, il y a actuellement consensus sur le fait que l'état d'urgence sanitaire doit être levé, surtout que la province est en plein déconfinement. La CAQ
répète qu'elle n'envisage pas d'y mettre un terme avant la fin de l'été, lorsque la majorité de la population aura reçu deux doses de vaccin.Le Parti libéral du Québec réclame depuis des mois une enquête publique indépendante sur la gestion de la pandémie afin d'en dégager des constats
. Sa chef Dominique Anglade déplore que Christian Dubé veuille déposer un projet de loi avant même d'avoir procédé à cet exercice.
Quant à la Loi sur la santé publique, Mme Anglade avait dénoncé l'interprétation de l'article 119 par la CAQ , plus tôt ce printemps. Relancée sur le sujet mercredi, la pilote libérale était toujours d'avis que le texte devrait être revu pour éviter des renouvellements systématiques sans débats parlementaires
.
Grotesque
Chez Québec solidaire, on propose à court terme de créer une loi transitoire afin de sortir le Québec de l'état d'urgence sanitaire tout en conservant quelques outils.
Son leader parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois, croit en effet qu'il peut être utile de maintenir certains pouvoirs exceptionnels puisque la pandémie n'est pas terminée, mais pas tous les pouvoirs
.
Il y a plein de pouvoirs dont il est vrai de dire que le gouvernement a besoin. Mais ces pouvoirs-là ne devraient pas être conditionnels au fait qu'il y a un état d'urgence sanitaire total
, a-t-il expliqué en entrevue, citant en exemples le port du masque en certaines circonstances et l'encadrement des rassemblements privés.
Plus largement, la deuxième opposition ferait de l'article 119 une bataille prioritaire
si la Loi sur la santé publique était revue, le qualifiant d'anomalie démocratique
.
« Ce n'est pas normal qu'un gouvernement puisse se donner, à lui-même, carte blanche. C'est grotesque comme situation. »
Au Parti québécois (PQ), le sentiment est tout aussi vif sur le fait que l'état d'urgence sanitaire a assez duré. Son prolongement malgré le déconfinement représente un mépris de la démocratie
, a dit le chef Paul St-Pierre-Plamondon en point de presse, mercredi.
Conscient que l'heure est aux vacances et aux terrasses, le chef péquiste dit noter l'enjeu au procès-verbal
pour la suite. Un gouvernement qui maintient l'urgence sanitaire, alors qu'il n'y a objectivement pas d'urgence, ce n'est pas un détail
, a-t-il martelé.
« Ça devrait être une source d'inquiétude pour tout le monde, en ce moment. »
Sur l'encadrement de l'état d'urgence, le PQest incontestable qu'il faut revoir la Loi sur la santé publique
.
Sans partisanerie
Non seulement il voit des lacunes sur le renouvellement de l'état d'urgence, mais il ajoute que des balises sont nécessaires pour encadrer la sortie de ce système de gouvernance exceptionnel. Le PQ
demande d'ailleurs depuis près de trois semaines l'établissement de critères objectifs pour déterminer la fin de l'état d'urgence.Si M. Arseneau estime que le gouvernement a le devoir
de se pencher sur une révision de la loi, il croit tout de même que les élus devront se donner un minimum de recul
avant de procéder à des changements. Mais il ne faudra pas attendre non plus la prochaine crise
, nuance-t-il.
Le député péquiste appelle l'ensemble des élus à s'élever au-dessus de la partisanerie dans ce débat, rappelant qu'il s'agit de préserver la santé de la population. Reste qu'il faudra rapidement préparer la prochaine [pandémie]
.