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Pénurie de main-d'œuvre : le pire est encore à venir

Une affiche indique «On recrute».

La Mine Canadian Malartic recrute pour son projet Odyssey et affiche au centre-ville de Rouyn-Noranda.

Photo : Radio-Canada / Marie-Hélène Paquin

Au début des années 2000, on annonçait le début de la pénurie de main-d'œuvre, en précisant que les années les plus difficiles auraient lieu entre 2020 et 2030. Les employeurs constatent maintenant que les experts ne se sont pas trompés; à peu près tout le monde a de la difficulté à pourvoir des postes en ce moment, que ce soit dans le secteur privé ou public.

Sur le terrain, le constat est frappant : il suffit de marcher dans les différents centres-villes de la région pour réaliser qu'un grand nombre de commerçants affichent avoir besoin de personnel.

Une affiche dans la fenêtre d'un commerce dit Emploi disponible, 1 temps plein ou 2 temps partiel.

Plusieurs entreprises sont à la recherche d'employés.

Photo : Radio-Canada / Emily Blais

On ne s'en rend pas compte, mais c’est toute la qualité de vie qui est la nôtre qui risque d’être compromise. Toute la qualité de vie, ce n’est pas rien. C’est pour ça qu’il faut réfléchir autrement, affirme la préfète du Témiscamingue, Claire Bolduc, qui estime qu’il est temps de changer notre façon de faire.

Ça ne nous donne rien de crier haut et fort "comment ça se fait qu’on manque d’infirmières" et d’exiger plus d’argent. On manque de monde, ce n’est pas l’argent qui va remplacer des gens. Comment peut-on faire autrement avec les gens qu’on a? Comment peut-on continuer à offrir des soins et des services avec les gens qui sont là en le faisant autrement?, ajoute Claire Bolduc, qui estime que la fiscalité est notamment à revoir afin de permettre aux personnes plus âgées de travailler à temps partiel s’ils le désirent.

Claire Bolduc

Claire Bolduc (archives)

Photo : Radio-Canada

Selon les perspectives d’emploi en région 2021-2023 de Services Québec, plus de 60 titres d’emplois sont touchés par le manque de personnel dans la région. Les métiers du secteur de la santé, de la construction, les mécaniciens, les éducatrices en service de garde et le commerce de détail seraient les plus touchés pour le moment.

Le nombre de personnes en emploi a diminué de 7700 en Abitibi-Témiscamingue entre 2019 et 2020, soit une baisse de près de 10 %, ce qui est énorme.

Les services à la consommation ont été durement touchés, avec une baisse de 20 %. Le secteur de la construction est aussi particulièrement affecté, avec une baisse du nombre de travailleurs de 21,1 % entre 2019 et 2020, selon les données d’Emploi-Québec.

Les chiffres ne laissent envisager rien de mieux pour les prochaines années. En 2020, la population âgée de 15 à 64 ans, soit l’âge de la majorité des travailleurs, est de 93 747 personnes en Abitibi-Témiscamingue. Selon Statistiques Canada, ce nombre passera à 89 404 en 2025 puis à 85 903 en 2030. En 10 ans, nous pourrions donc perdre encore près de 8000 travailleurs.



Considérant la situation actuelle qui est déjà alarmante, ces chiffres ont de quoi en inquiéter plusieurs.

On l’envisage avec une certaine inquiétude. Il faut s’adapter à ça et il y en a qui vont être vraiment affaiblis par ça et en souffrir et dans tous les secteurs il y en a malheureusement qui vont fermer. C’est une crise qui a des impacts réels, ça tue des rêves de démarrage d’entreprise, ça met à terme des entreprises familiales de plusieurs générations, ce n’est pas juste une question de ne plus pouvoir se développer, affirme le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Rouyn-Noranda, David Lecours, qui assure qu’il n’y a pas de solution miracle. Il faudra être imaginatif et proactif pour passer à travers la crise.

Ça fait très peur. Je pense que même si on en parle souvent dans les médias, je pense que les gens n'ont pas encore compris à quel point c’est grave. Le taux de remplacement en Abitibi-Ouest, il est à 55 %. Ça veut dire que quand 100 personnes prennent leur retraite en Abitibi-Ouest, il y a juste 55 jeunes qui arrivent sur le marché du travail pour occuper les emplois, on a un déficit de 45 % à chaque année, donc on est en train de creuser notre trou tranquillement pas vite, affirme le directeur général du Carrefour jeunesse emploi d’Abitibi-Ouest, Sébastien Bélisle.

Je vous dirais que les cinq prochaines années devraient être les plus critiques lorsqu’on regarde les perspectives démographiques de l’Abitibi-Témiscamingue. C’est seulement à partir de 2031 que le marché du travail pourrait retrouver son potentiel de remplacement de la main-d'œuvre, soit un indice de 100, affirme l’économiste à Services Québec, Ann Brunet Beaudry.

Ann Brunet Beaudry sourit à la caméra, à l'extérieur.

Ann Brunet Beaudry, économiste régionale à Services Québec

Photo : Audrey-Ann Beaulé Photographe

Ce potentiel de remplacement de la main-d'œuvre est en fait le nombre de jeunes de 20 à 29 ans qui feront leur entrée sur le marché du travail pour chaque personne de 55 à 64 ans qui pourrait partir à la retraite.



Avons-nous sous-estimé la crise?

Dans l’Enquête sur les besoins de main-d’œuvre et de compétences des établissements de l’Abitibi-Témiscamingue d’Emploi Québec parue en 2006, on constate que les employeurs ne semblaient pas prêts à vivre une telle crise.

Seul le tiers des répondants avaient en main un plan de relève; autant avaient mis en place des mesures de transmission des connaissances. À peine 1 sur 10 avait aménagé l’organisation du travail en conséquence, et 2 sur 10 avaient mis en place d’autres moyens pour assurer le remplacement des départs à la retraite.

Dans son bulletin d’information publié en 2009, l’Observatoire de l’Abitibi-Témiscamingue arrivait aussi à la conclusion que les entreprises de la région sous-estiment le nombre de départs à la retraite à venir, qui serait beaucoup plus élevé.

On est immobile depuis trop longtemps face à une situation annoncée depuis plus de 10 ans, moi ça me préoccupe. Il est temps de revoir notre façon de penser, réitère Claire Bolduc.

Comment peut-on maintenant mieux se préparer à faire face à cette crise? Plusieurs solutions nous ont été présentées par différents intervenants.

Une affiche indique Une boîte gratuite de 10 timbits sur une table où un formulaire d'application est disponible.

Le restaurant Tim Horton du centre-ville de Rouyn-Noranda offre une boîte de 10 timbits gratuite lors d'une demande d'application pour un emploi.

Photo : Radio-Canada / Marie-Hélène Paquin

1) Recruter à l’international

Au quatrième trimestre de 2020, malgré la pandémie, 3010 postes étaient vacants en Abitibi-Témiscamingue, selon les données de Statistiques Canada. C’est une augmentation de 56 % par rapport à l’an dernier. Le salaire moyen de ces postes à combler est de 20,90 $ de l’heure. Dans la province, le nombre de postes vacants a augmenté de 17 % pendant la même période.

Comme la pénurie de main-d'œuvre touche maintenant pratiquement tout le Québec, plusieurs entreprises n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’international. Le CLD de Rouyn-Noranda en a récemment fait sa priorité, mais constate déjà certaines embûches, notamment du maraudage de la part d’entreprises ontariennes.

L’enjeu, c’est la disparité des programmes d’immigration économique entre le nord de l’Ontario et le Québec, c’est ça la véritable bataille à laquelle les entreprises de la région sont confrontées. Le projet-pilote immigration rurale et nordique permet aux petites communautés de pourvoir des postes qui sont en forte pénurie. Ça permet aux travailleurs d’obtenir automatiquement leur résidence permanente sans devoir atteindre un délai de 3,5 années, c’est tout le contraire de ce qu’on a ici au Québec, affirme la directrice générale Marie-Ève Migneault, qui souhaite que la région puisse faire partie de ce projet-pilote.

Marie-Ève Migneault pose dans son bureau.

Marie-Ève Migneault, directrige générale du Centre local de développement de Rouyn-Noranda (archives)

Photo : Radio-Canada / Piel Côté

Claude Thibault, qui a récemment été embauchée par le CLD pour attirer des immigrants, ajoute que les bassins d’immigrants que souhaite accueillir le Québec sont aussi beaucoup moins grands que les autres provinces.

J’ai des concessionnaires ici qui ont eu des travailleurs étrangers, qui après deux ans et demi, étaient toujours sur un statut temporaire et se sont vus offrir une résidence permanente chez un concessionnaire du Nord de l’Ontario. On a vu également l’impact de la redéfinition du programme Expérience Québec, qui à partir de juillet 2020, exige aux étudiants étrangers d’avoir deux ans de travail dans leur domaine avant de pouvoir déposer une demande de résidence permanente, alors que ces mêmes étudiants avaient automatiquement leur résidence permanente à la fin de leurs études, ajoute Claude Thibault.

Un étudiant sur neuf à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue est issu de l’immigration, selon Claude Thibault, qui craint qu’ils choisissent d’aller travailler en Ontario.

2) La diversité et l’inclusion

Certaines tranches de la population sont actuellement moins actives sur le marché du travail et l’objectif est d’en attirer le plus possible. On peut penser à certains immigrants et aux membres des Premières Nations.

Selon Lindsay Tremblay, Agente de développement à l’emploi pour la Commission de développement des Ressources humaines des Premières Nations du Québec, ils souhaitent pourtant faire partie de la solution.

Ceux-ci sont parfois réticents à faire confiance aux entrepreneurs allochtones. Les blessures du passé, notamment en lien avec les pensionnats autochtones, sont encore bien présentes pour plusieurs.

Une récente campagne nommée Embauche une Première Nation a notamment eu un certain succès. Le simple fait pour les commerçants d’afficher qu’ils engagent aussi des membres des Premières Nations dans leur vitrine en a incité quelques-uns à postuler sur les emplois.

Il y en a beaucoup qui sont réticents à aller postuler, donc en ayant une affiche, ça brise une certaine barrière, dans le fond, affirme Lindsay Tremblay, qui constate aussi de plus en plus d’ouverture des employeurs.

Population autochtone en Abitibi-Témiscamingue

  • 2015 : 7795
  • 2020 : 8459

Hausse de 8,5 % en 5 ans

Les employeurs sont ouverts en ce moment non seulement pour combler un manque de main-d'œuvre, mais aussi parce qu’ils sont ouverts et veulent en apprendre plus sur les Premières Nations. Ça crée une nouvelle dynamique d’échanges culturels dans leur entreprise, ça amène plein de positif, assure Lindsay Tremblay, qui constate que la nouvelle génération semble plus encline à aller sur le marché du travail.

La génération de jeunes, ils sont vraiment dévoués, oui il y a encore des blessures intergénérationnelles qui restent, mais maintenant, c’est de grandir avec ça puis d’utiliser ces forces qu’ils ont à l’intérieur d’eux pour être aussi des modèles pour leurs enfants. De briser ce cercle avec des étudiants et des jeunes qui veulent foncer et être des modèles pour leur communauté, conclut Lindsay Tremblay.

Le Centre de service en emploi et formation de Val-d'Or de la Commission de développement des Ressources humaines des Premières Nations du Québec tient d'ailleurs un Forum régional pour favoriser l'employabilité des autochtones le 15 et 16 juin.

La robotisation et les différentes innovations technologiques seront aussi primordiales si l’on souhaite passer à travers cette crise, selon plusieurs experts.

Si tu es incapable de recruter des gens, ça peut se faire ailleurs au Québec ou ailleurs dans le monde peut-être. Ça, honnêtement, ça s’en vient beaucoup plus vite qu’on le pense. Je ne veux pas dire qu’on va opérer une mine à distance avec des Suédois la nuit, mais ce n’est pas exclu, au niveau technologique ça avance vraiment vite, ça explose vraiment depuis 2018. C’est notamment l'objectif de Ressources Falco d’être à la fine pointe de la technologie, affirme David Lecours.

4) Des initiatives qui ont fait leurs preuves

Plusieurs initiatives mises en place au cours des dernières années ont démontré un certain succès. C’est le cas notamment de la mission Place aux jeunes, qui permet à des jeunes travailleurs de venir visiter notre région et de participer à plusieurs activités. Il s’agit en quelque sorte d’une grande séduction que l’on fait à ces potentiels futurs résidents de la région.

Un commerce de chaussures avec une affiche Offre d'emploi.

Il faudra user d'imagination pour créer des campagnes de recrutement.

Photo : Radio-Canada / Emily Blais

Le programme permet d’accueillir une quinzaine de travailleurs avec leur famille par MRC, donc environ 75 personnes par année, mais le projet a un bien meilleur potentiel.

Ce qui est dommage, c’est qu’on avait eu davantage de financement depuis trois ans et on avait doublé notre capacité d'aller chercher des gens et de les accueillir, mais malheureusement le financement n’est pas récurrent, alors depuis le début du mois d’avril, on a perdu ce financement en raison de critères administratifs qui relèvent du Ministère. C’est très décevant pour nous, affirme le directeur général du Carrefour jeunesse emploi d’Abitibi-Ouest, Sébastien Bélisle, qui assure que son organisation et les préfets de la région tentent de trouver une solution.

Le site internet Gnak.ca a aussi permis à plus de 500 entreprises de recruter de la main-d'œuvre de l'extérieur de la région. Le site offre maintenant de réaliser des entrevues directement avec les travailleurs intéressés puis de les faire parvenir aux employeurs. Selon le propriétaire, Hans Pelletier, la plateforme est un véritable succès.

Ce sont des gens qui ont un emploi à l’extérieur de la région et qui souhaitent venir faire carrière ici ou encore pour des étudiants que l’on souhaite ramener ici, affirme Hans Pelletier, qui indique que parfois plus de 1000 CV sont actifs sur la plateforme. Il croit toutefois que les secteurs public et privé devraient collaborer davantage.

On sent que les gens veulent venir ici. Il faudrait des mécanismes communs, mais tout le monde tire de son bord en ce moment. On a une mobilisation commerciale en ce moment, mais si on mélangeait tout le monde avec les forces des Carrefour jeunesse, CLD, SADC, ce serait vraiment fou et ce serait toute une locomotive régionale. On serait les premiers au Québec à faire ça, affirme Hans Pelletier.

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