5 livres à lire en juin pour s'évader dans l'univers littéraire autochtone

L'initiative Je lis autochtone! bat son plein au cours du mois de juin.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La littérature autochtone des quatre coins du pays se taille de plus en plus une belle place sur les rayons des librairies. Et pour cause : elle s’adresse aux jeunes comme aux adultes, à cheval entre hier et aujourd'hui.
Peu importe la langue dans laquelle elles et ils s’expriment, les autrices et auteurs des premiers peuples sont de plus en plus nombreux à inscrire leur parole sur papier. Non seulement parce que des maisons comme Hannenorak, à Wendake, et Mémoires d’encrier se sont d’entrée de jeu donné pour mission de faire entendre leurs voix, mais aussi parce que d’autres éditeurs (notamment Prise de parole, à Sudbury) ont décidé de les inclure dans leur catalogue, en les traduisant en français au besoin.
Halfbreed : en version française et non censurée

Publié en 1973, censuré, le récit de la Métis Maria Campbell est publié pour la première fois en français, en version intégrale.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Il y a la censure se cachant derrière la première parution, en version originale, en 1973, de ce roman fondateur signé par la Métis Maria Campbell, aujourd’hui âgée de 81 ans. Cette censure tient à moins de deux pages, retranchées par l’éditeur, à l’époque, sans que la principale intéressée, celle qui raconte son histoire, soit consultée ou prévenue. Or, dans ces trois paragraphes, retrouvés en 2017, elle narre comment des agents de la GRC ont un jour débarqué à la maison familiale, alors qu'elle était seule, dans l’espoir d’y trouver la viande braconnée par son père. Ils étaient trois. Elle avait 14 ans. Ils l’ont violée.
Il y a donc, fondamentalement, cette écriture, à la fois intime et universelle, relatant sa trajectoire de fillette, d’adolescente et de femme halfbreed (c'est-à-dire métisse, en français). Une fillette, adolescente et femme qui ne vit rien à moitié, mais qui est tiraillée entre ses responsabilités et son désir d’étudier, sa honte et sa fierté d’être Métis, le décès de sa mère et le point de rupture avec son père, les galopades à travers champs et le racolage dans les rues de Vancouver. Entre les câlins de sa Cheechum et les coups de son mari blanc, qu’elle décide d’épouser, à 15 ans, dans l’espoir d’empêcher les autorités de lui enlever ses frères et sœurs.
Halfbreed se compose de plusieurs petits tableaux, comme autant de tranches de vie par lesquelles Maria Campbell se révèle sans fard, dans toute sa vulnérabilité, sa résilience et sa dignité retrouvée, après qu’elle eut touché le fond. À travers ce récit qu’elle a publié à 33 ans, maintenant réédité intégralement et disponible en français pour la première fois, elle nous donne accès non seulement à son âme, mais aussi à celle de son peuple.
Le Wendat Charles Bender et le Franco-Ontarien Jean Marc Dalpé ont ciselé à quatre mains la traduction de ce texte important, pour ne pas dire essentiel, toujours aussi pertinent près de 50 ans plus tard.
Nish : jeunesse d’ici et de maintenant

L'ethnologue wendat Isabelle Picard signe le premier d'une série d'au moins trois romans jeunesse avec « Nish ».
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Premier roman de l'ethnologue wendat Isabelle Picard, Nish - Le Nord et le Sud met en vedette les jumeaux Éloïse et Léon. Vivant à Matimekush, une communauté innue située à côté de Schefferville, les sœur et frère de 13 ans sont métissés et partagent les héritages wendat de leur mère et innu de leur père. Entourés de leurs amis, parents et familles, ils témoignent éloquemment de la réalité des jeunes grandissant dans les réserves, entre l’importance de connaître l’histoire de leurs ancêtres et de leurs territoires (où l’exploitation minière a laissé des traces), les premiers émois amoureux et le hockey comme source de fierté rassembleuse. Sans oublier la présence d’un carcajou et de la maladie, qui rôdent et menacent de chambouler le petit monde des jumeaux.
Alternant les voix d’Éloïse et de Léon, Isabelle Picard évoque les défis de vivre en région éloignée, l’important taux de décrochage scolaire au sein de certaines communautés, les différences entre la vie à Wendake et à Matimekush (dont le recours à Messenger pour texter entre amis, faute de réseau cellulaire dans le Nord et le prix exorbitant de certains aliments frais), ou encore la journée des trous dans les murs
, c’est-à-dire les samedis de lendemains de veille.
Les situations décrites s’ancrent dans un quotidien où il n’est par exemple pas rare qu’Atikush ait à s’occuper des plus jeunes de sa famille quand son père a trop bu, comme en rend compte cet échange entre ses deux meilleures amies, Éloïse et Mélina :
« - Sa mère en a déjà pas mal à gérer avec son père quand il prend un verre.
- Ouin, je comprends. Mon oncle est déjà allé en cure pour ça à Québec. Ça lui ferait peut-être du bien, au père d’Ati. »
Cet extrait rend bien l’esprit de Nish - Le Nord et le Sud : Isabelle Picard constate avec lucidité, mais sans pour autant souligner à l’excès, les différents problèmes abordés.
Le roman permet ainsi aux jeunes lecteurs autochtones de se reconnaître dans toutes leurs nuances, voire d’en apprendre plus sur leur propre culture au passage, l’autrice parsemant sa trame de courts dialogues en innu-aimun, traduits en français en bas de page. Ce faisant, ce premier titre d’une série d’au moins trois tomes donne également l’occasion aux allochtones de plonger dans l’existence concrète d’Éloïse, de Léon et des membres de leur entourage.
Rougarou : Le Petit chaperon rouge revisité

« Rougarou » est le deuxième roman de Cherie Dimaline traduit aux Éditions du Boréal.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Reconnue pour sa dystopie pour adolescents Pilleurs de rêves, couronnée d’un Prix littéraire du Gouverneur général en 2017, la Métis Cherie Dimaline propose, avec Rougarou, une foisonnante relecture du Petit chaperon rouge. Rouge comme la couleur qui symbolise les femmes autochtones violentées, mortes ou disparues. Car la figure du grand méchant loup prend ici les traits d’un rougarou qui rôde et menace de prendre possession des hommes pour en faire des prédateurs.
Quand son mari, Victor, disparaît, Joan ne peut s’empêcher d’espérer et de le chercher partout. Elle finit par le retrouver un an plus tard sous les traits d’un révérend d’un groupe religieux ambulant, plantant son chapiteau ici et là, le long de la baie Georgienne. Convaincue que Victor est manipulé, voire possédé, Joan suit la troupe de fervents disciples, dont le prosélytisme n’est pas sans rappeler celui des missionnaires lors de la colonisation. D'ailleurs, des coulisses, l’intrigant Thomas Heiser tire les ficelles de toute cette mise en scène par laquelle il n’aspire pas à sauver des âmes autant qu’à faire main basse sur certaines terres ancestrales pour son profit.
L’enquête de Joan prendra dès lors des airs de quête de vérités. Les siennes, d’abord et avant tout, quant à son identité métisse, à son rapport au territoire ainsi qu'à ses liens avec son neveu Zeus, avec sa mère Ajean et avec Victor.
De sa plume aussi tendre envers sa truculente héroïne et les siens, que suavement grinçante quand elle décrit (et décrie) certains faits, Cherie Dimaline ouvre de multiples perspectives et de nombreux niveaux de lecture. Les subtilités de son propos sont d’ailleurs finement rendues en français par le tandem Lori St-Martin et Paul Gagné.
Rougarou regorge de symboles forts, joue avec les codes de la science-fiction et nous plonge dans un monde flirtant avec le surnaturel pour mieux dépeindre une réalité bien d’aujourd’hui.
La course de Rose : roman à deux vitesses

« La course de Rose » est le deuxième roman de l'artiste multidisciplinaire crie Dawn Dumont.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Dawn Dumont est une actrice, humoriste et autrice crie, originaire de la Saskatchewan. Les lecteurs ne s’étonneront donc pas du ton pince-sans-rire qui imprègne le portrait qu’elle fait de la vie dans la réserve (fictive) de Pesakestew dans son deuxième roman, La course de Rose.
Rose perd tour à tour son mari (qu’elle surprend un soir, en rentrant du bingo, dans les bras de sa cousine) et son boulot dans une porcherie. Entourée de ses deux filles (dont la plus jeune, Callie, s’avère particulièrement allumée) et appuyée par le nouveau et séduisant chef du conseil de bande, Rose décide de reprendre sa vie en main. La fumeuse invétérée décide notamment de s’entraîner pour le marathon annuel organisé au sein de sa communauté.
L’autodérision dont fait preuve Dawn Dumont dans ses descriptions de soirées de bingo, de l’usage de l’alcool et de la cigarette, des clans familiaux s’opposant au sein du conseil de bande, etc. flirte très souvent avec les nombreux clichés que certains se plaisent à entretenir par rapport aux communautés autochtones. Au point où, par moments, j’ai dû me rappeler que l’autrice est crie, et non une allochtone portant un regard extérieur sur une réalité qu’elle n’a jamais vécu de l’intérieur.
Tout en y allant d’une dose d’ironie parfois déstabilisante, habilement rendue par le traducteur Daniel Grenier, Dawn Dumont soulève divers enjeux porteurs. L'arrivée en poste de Taylor, le nouveau chef du conseil, lui permet notamment de mettre en évidence les connaissances lacunaires de la nouvelle génération à propos de ses propres histoires et coutumes. À ce chapitre, l’autrice parvient à bien jouer de son humour grinçant, et de sa grande tendresse pour ses personnages, pour les rendre attachants.
Or, en parallèle à la trajectoire de Rose, Dawn Dumont développe une trame plus sombre, mettant en scène la Rêveuse, un personnage féminin à l’esprit vengeur qui évoque la figure légendaire du Windigo.
Par le biais de ladite Rêveuse, l’écrivaine crie prend position et semble dénoncer le sort réservé aux femmes autochtones. Il n’en demeure pas moins qu’elle ne réussit pas à intégrer tout à fait cette trame dans son roman et ne parvient donc pas à donner à cet angle de tension surnaturelle tout son impact. On comprend les intentions de Dawn Dumont, mais pas nécessairement celles de la Rêveuse, dont les apparitions demeurent plus ou moins signifiantes. Résultat? On ressort de sa lecture avec l’impression d’avoir parcouru un roman à deux vitesses.
Meurtres avec vue : incursion de Thomas King dans le polar

Premier tome de la série policière de Thomas King, « Meurtres avec vue » met en scène l'ancien policier devenu photographe Thumps DreadfulWater.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Meurtres avec vue est le premier de cinq romans policiers signés par Thomas King enfin traduit en français par Lori St-Martin et Paul Gagné chez Alire. Enfin traduit, parce que le titre original, DreadfulWater Shows Up, a été publié en version originale anglaise en... 2002. Cette première enquête de son personnage Thumps DreadfulWater fera donc sourire en coin par moments, puisqu’elle a plus ou moins bien vieilli, notamment quand l’écrivain y fait référence à la technologie, qui a drôlement évolué en près de 20 ans.
Ce n’est toutefois pas assez pour miner le réel plaisir qu’on éprouve à plonger dans ce roman policier entraînant les lecteurs au cœur d’une réserve du Montana où on se prépare fébrilement à inaugurer un complexe hôtelier de grand luxe incluant un casino. Or, la communauté est divisée quant à ce projet et certains manifestent d’ailleurs ouvertement leur profond désaccord. La découverte du cadavre du responsable du système informatique, retrouvé dans une des unités du complexe, vient exacerber les tensions au sein de la communauté. Et révéler aussi la coexistence pas toujours paisible entre autochtones et allochtones du coin.
S’adonnant à la photographie artistique depuis qu’il a quitté les rangs de la police californienne, DreadfulWater est amené à photographier ledit cadavre (avec un appareil à pellicule!) pour l’identification judiciaire. Il ne se contentera cependant pas d’observer l’affaire à travers ses lentilles et mènera sa propre enquête en parallèle, au grand dam du shérif Duke Hockney et de son assistant.
Les adeptes de Thomas King renoueront ici avec l’humour teintant entre autres L’Indien malcommode : un portrait inattendu des Autochtones. L’auteur maîtrise aussi l’art du dialogue. Tour à tour mordants, empreints de ses préoccupations environnementales et ancrés dans la réalité nuancée de ses personnages et de leur sentiment d’appartenance, les échanges sonnent
toujours vrai.