Changement de culture dans l'armée : « une opération à cœur ouvert », dit Jennie Carignan
La lieutenante-générale Jennie Carignan a le mandat de changer la culture de l'armée canadienne.
Photo : 2e division du Canada / Cavalier Marc-André Leclerc
L’enquête sur des allégations d’inconduites à l’endroit du major-général Dany Fortin, qui dirigeait encore récemment l'opération vaccin, a ramené à l'avant-plan la crise qui secoue les Forces armées canadiennes. Depuis janvier, trois autres hauts gradés ont été éclaboussés par des allégations d’inconduites. La lieutenante-générale Jennie Carignan s’est vu confier le mandat d’imposer rapidement un profond changement de culture.
Jennie Carignan ne cache pas son émotion lorsqu’il est question des inconduites sexuelles dans l’armée.
Personnellement, comme leader, comme mère de famille, comme sœur et comme fille, j'ai le cœur brisé
, a-t-elle lancé d’emblée en entrevue aux Coulisses du pouvoir.
La lieutenante-générale sert dans les Forces armées canadiennes depuis plus de trois décennies. Durant sa carrière, elle a été témoin de bien des événements dont elle n’est pas fière.
J'en ai vu de toutes les couleurs dans mes 35 ans de service et moi non plus, je ne suis pas parfaite. J'ai fait des erreurs [...] On sait très bien quels comportements sont récompensés et lesquels ne le sont pas. Et il faut naviguer comme il faut
, raconte-t-elle.
Celle qui vient d’être nommée à la tête du groupe Chef – Conduite professionnelle et culture est consciente que la tâche qui lui incombe s’annonce herculéenne.
C'est comme une opération à cœur ouvert sur un patient qui est en train de courir
, illustre-t-elle.

L’enquête sur des allégations d’inconduites à l'endroit du major-général Dany Fortin a ramené à l'avant-plan la crise dans les Forces canadiennes. La lieutenante-générale Jennie Carignan s’est vu confier le mandat d’imposer un profond changement de culture dans cette institution.
On apprend à être silencieux
Les femmes constituent seulement 16 % des effectifs des Forces armées canadiennes. Bien que Jennie Carignan considère que des avancées ont été faites dans les années passées, elle croit que des changements en profondeur sont nécessaires pour endiguer le climat toxique ancré dans l’armée.
C'est dans les écoles d'entraînement individuel ou les écoles de recrues qu'on apprend à être silencieux. C'est là que ça commence
, soutient-elle.
Et la militaire de carrière sait déjà comment elle compte amorcer son travail.
« On va outiller les leaders à tous les niveaux pour faire adopter les bons comportements et pour instaurer un climat où les gens se sentent en sécurité. »
Jennie Carignan croit qu’il est possible de voir des changements au cours de la prochaine année.
Un organisme externe nécessaire?
La chercheuse à l'Institut canadien des Affaires mondiales, Charlotte Duval-Lantoine, voit d’un bon œil la nomination de Jennie Carignan, malgré certaines réserves.
Elle est une femme exceptionnelle, qui a eu plusieurs postes de commandement de haut niveau [...] Après, il faudra voir si elle a les connaissances nécessaires pour ce rôle, puisqu'elle est ingénieure de combat et non une professionnelle de la culture militaire
, nuance-t-elle.
Malgré tout, la chercheuse soutient qu’un organisme externe sera nécessaire afin de changer la culture dans l’armée.
Les forces armées nous ont prouvé depuis plus de 30 ans qu'elles sont incapables de réglementer leur culture et de réglementer leur profession. Mais cela demande un organisme externe qui a le pouvoir de punir ou de récompenser les Forces armées canadiennes
, dit-elle.
Pour sa part, Jennie Carignan croit que cela peut être une solution, mais qui devra être examinée avec la juge Louise Arbour, qui pilote un nouvel examen sur les Forces canadiennes.