Protéines végétales : l'Alberta se prive-t-elle d’une poule aux oeufs d'or?

L'Alberta est à la traîne pour conquérir le marché des produits à base de plantes, selon plusieurs acteurs du milieu agricole.
Photo : CBC
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Plusieurs milliards de dollars pourraient enrichir l’économie albertaine si la province investissait dans les protéines végétales comme les fameux produits Beyond Meat. Le gouvernement albertain doit toutefois se réveiller rapidement, s’il veut se faire une place dans ce marché en pleine croissance, disent ses partisans.
À Edmonton, l’entreprise GrainFrac aimerait s’engouffrer dans ce secteur. Née de recherches en technologie à l’Université de l’Alberta, la compagnie extrait la fibre des céréales. Sa prochaine étape est d'extraire les protéines.
Le président de GrainFrac, Brad Shapka, a songé plus d’une fois à s'installer hors de la province.
Nous avons une quantité énorme de ressources naturelles et nous savons qu’il y a une demande énorme pour des protéines végétales. Pourtant, nous faisons très peu ici pour stimuler cet environnement
, explique M. Shapka.
Voir qu'on en fait si pour soutenir les initiatives en protéines végétales est surprenant.
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D’autres autorités, comme certains États américains, offrent des terres gratuites et d'importants incitatifs financiers pour attirer des investissements, ajoute Brad Shapka. L’offre de l’Alberta fait pâle figure à côté de la leur.
Trouver la mention protéines végétales
sur le site du ministère de l’Agriculture de l’Alberta relève de la chasse au trésor.

Le ministre albertain de l'Agriculture, Devin Dreeshen, dit travailler sur neuf projets d'investissements dans les protéines végétales.
Photo : Radio-Canada
Au printemps, le Ministère a même annulé le renouvellement du financement de l’Alliance des protéines végétales de l’Alberta, un organisme qui travaillait à étendre ce marché.
Selon l’ancien président d’Ag-West Bio, Wilf Keller, la province se tire dans le pied avec cette décision. La fin de l’Alliance est vraiment une perte pour l’Alberta parce qu’elle avait établi un réseau
, souligne-t-il.
On a besoin d’un groupe de pression de l’industrie pour faire avancer ces questions. [...] C’est difficile de dire que l’Alberta a raté le coche, mais, plus la province s’impliquera tôt, plus elle sera compétitiv .
Un nouvel or
La décision a rendu la présidente de l’Alliance, Allison Ammeter, perplexe parce qu’elle ne voit que des avantages à investir dans le secteur.
Le marché mondial des protéines végétales représente plus de 9,6 milliards de dollars et devrait doubler d’ici 2023, selon les chiffres compilés par le gouvernement fédéral.
En plus d'être utilisées comme substituts de viande, les céréales transformées le sont de plus en plus dans les produits de beauté, l’emballage alimentaire ou même la construction.

Les productions des pois chiches, de lentilles et de pois sont concentrées dans les trois provinces des Prairies, à l'exception des haricots, qui sont aussi produits dans le sud du Québec et de l'Ontario.
Photo : Radio-Canada
L’Alberta pourrait se tailler une place grâce à ses cultures de légumineuses existantes. Selon Mme Ammeter, si un tiers des pois cultivés en Alberta était transformé ici au lieu d’être exporté, cela représenterait 1 milliard de dollars en retombées économiques.
C’est moins une perte qu’un manque à gagner. On nous paye pour la matière brute, alors qu’on pourrait y ajouter de la valeur ici, garder des emplois, garder notre propriété intellectuelle et accroître notre produit intérieur brut
, explique-t-elle.
Le directeur du commerce de la Fondation Canada West, Carlo Dade, souligne aussi que, en investissant dans ce secteur, l’Alberta pourrait diversifier ses marchés et diminuer sa dépendance envers la Chine, qui lui a causé bien du souci par le passé.
Pourquoi ces arguments n’aboutissent-ils pas? Aucun des intervenants ne comprend. Cela me laisse perplexe, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de volonté politique et de compréhension générale des avantages
, explique l’entrepreneur Brad Shapka.
Interrogé sur le sujet, le ministre de l’Agriculture, Devin Dreeshen, n’était pas disponible pour une entrevue. Dans un courriel, il a indiqué que la province avait déjà soutenu quatre investissements dans le secteur pour un total de 29 emplois créés et de 16 millions de dollars.
Neuf autres projets sont en discussion pour des investissements de 500 millions de dollars, selon le ministre.
Une compétition féroce
Ces chiffres font toutefois pâle figure par rapport aux investissements ailleurs, notamment à l'est de l'Alberta.
Sur le site du ministère de l’Agriculture du Manitoba, la province vante sa stratégie établie en 2019 pour le développement des protéines animales comme végétales.
La politique est payante. Le géant français des ingrédients d’origine végétale Roquette y construit la plus grande usine de transformation de pois au monde pour 600 millions de dollars.
La Saskatchewan, elle, abrite la supergrappe fédérale des industries des protéines du Canada. La compagnie Cargill y a aussi annoncé une usine de transformation du canola pour 350 millions de dollars.

Transformer les légumineuses en substitut de viande ou en emballage compostable pourrait être une nouvelle source de diversification économique.
Photo : iStock
Selon Mme Ammeter, la province devrait s’inspirer de ses voisins en commençant par établir une stratégie de développement des protéines.
Le simple fait de montrer son soutien fait avancer les choses. Mais cela envoie aussi le message aux municipalités qu'elles doivent changer leur règlement pour faciliter l’installation d’usines. Cela envoie un signal en matière d'infrastructures pour une coordination entre l’électricité, l’eau, les routes… pour que tout tende vers le même but
, explique-t-elle.
Une stratégie provinciale aiderait également à unifier l’industrie plutôt que de garder les divisions actuelles entre protéine animale et végétale, selon M. Dade.
Des crédits d’impôt ciblés pourraient également être plus efficaces que la réduction actuelle de l’impôt sur les sociétés, ajoute Mme Ammeter.
Il devient urgent d'agir parce que, selon elle, dans moins de cinq ans, l’Alberta aura perdu une bonne occasion.