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Des enseignants franco-ontariens exténués par la pandémie

Un écran montre les élèves qui dansent, chacun dans sa résidence.

L'enseignement virtuel épuise les enseignants, selon un questionnaire de CBC.

Photo : Radio-Canada

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

La pandémie nuit à la santé mentale de nombreux enseignants en Ontario, qui composent difficilement avec l’enseignement virtuel. Ils craignent par ailleurs que la situation n’engendre de grands retards d’apprentissage chez leurs élèves.

L’enseignante de musique à Timmins Joëlle-Renée Éthier n’y va pas par quatre chemins pour décrire comment elle se sent cette année.

Je pense que dans les 14 dernières années, cette année fut probablement la plus difficile, affirme-t-elle.

Elle est retournée au travail en septembre 2020 après un congé de maternité et n’a donc pas personnellement vécu la transition vers l’enseignement virtuel au tout début de la pandémie.

« C’est cette année que j’ai vraiment compris le désastre qu’était notre nouvelle carrière d’enseignement en ligne [...], j’ai eu de gros moments de bas, j’ai pleuré, j’ai été frustrée. »

— Une citation de  Joëlle-Renée Éthier, enseignante de musique à l’École secondaire catholique Thériault

Ça a été très difficile, ça a été une grosse période d’adaptation, et je ne suis même pas certaine que je suis adaptée encore, surtout à cause de la matière que j’enseigne, note l’enseignante qui gère en ce moment une classe de 32 élèves de 9e année.

Elle souligne qu’une grande partie d’entre eux n’ont pas d’instruments de musique personnels et que l’école où elle travaille n’en a pas assez non plus pour en fournir un à chaque élève.

Des jeunes chantent et jouent de la musique sur scène.

Des jeunes de l'École secondaire catholique Thériault sur scène (archives)

Photo : Radio-Canada / Jimmy Chabot

Or, le cours de musique de neuvième année est un cours d’introduction à la musique, précise Mme Éthier, où, en temps normal, les étudiants peuvent pour la première fois ramasser un ukulélé, jouer la batterie, la guitare basse; mais là, on leur donne un cours de musique sans instrument.

La majorité de notre travail consiste à remonter le moral de nos élèves, de s’assurer que tout va bien, confie l'enseignante.

« Leur désir, c’est de jouer d'un instrument et je ne suis pas capable de leur fournir cette petite joie là, donc c’est super frustrant et c’est super difficile de donner un enseignement de qualité qu’ils méritent. »

— Une citation de  Joëlle-Renée Éthier, enseignante de musique à l’École secondaire catholique Thériault

Je veux qu’ils veuillent poursuivre en musique en 10e, en 11e et en 12e, mais je trouve ça très, très difficile de leur bâtir un cours de grand intérêt en ligne, fait savoir l’enseignante.

Et à l’incapacité d'offrir les meilleurs cours possibles à ses élèves s’ajoute une myriade d’autres défis.

Par exemple, l’enseignante est souvent contrainte de donner ses cours en même temps que son conjoint, également enseignant de musique, ce qui crée une interférence de sons instrumentaux.

Et même si sa mère qui vit avec elle l’aide à garder son jeune enfant, qui n’a pas encore pu obtenir de place en garderie, elle doit elle-même s’occuper de lui par moments parce qu’il est frustré et ne comprend pas pourquoi ses parents sont à la maison, mais ne peuvent passer de temps avec lui.

« C’est un gros ajustement, ça nous demande beaucoup et c’est épuisant. Je suis épuisée. »

— Une citation de  Joëlle-Renée Éthier, enseignante de musique à l’École secondaire catholique Thériault

Et Mme Éthier est loin d’être la seule enseignante à se sentir ainsi.

CBC a récemment envoyé un questionnaire à plusieurs milliers d’enseignants de partout au pays pour s’enquérir de leurs expériences d’enseignement en temps de pandémie.

Plus de 2300 enseignants ontariens y ont répondu, dont au moins 90 francophones.

De nombreuses réponses font état d’un grand stress ressenti par les étudiants et d’un grand impact négatif de la pandémie et de l’enseignement virtuel sur la santé mentale des enseignants.

Méthodologie

CBC a envoyé son questionnaire à 52 351 courriels de travailleurs de l'éducation dans huit provinces canadiennes et environ 200 régions scolaires.

Les courriels ont été trouvés sur les sites web des écoles. Le questionnaire a été envoyé à l'aide de SurveyMonkey.

CBC a choisi les provinces et les régions scolaires en fonction de l'intérêt des stations de CBC et de la disponibilité des courriels. Le questionnaire n'est donc pas un sondage représentatif des travailleurs de l'éducation dans l'ensemble du pays.

Aucune des questions n'était obligatoire et les répondants n'ont pas nécessairement répondu à toutes les questions.

Un fardeau extrêmement lourd, selon le syndicat

Ce constat ne surprend pas du tout la présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), Anne Vinet-Roy. Le syndicat a d’ailleurs déjà fait deux sondages de la sorte à l’automne et au retour des fêtes de fin d’année, et le même genre de réponses ressort.

C’est très très préoccupant [...], c’est très difficile ce qu’on vit, souligne-t-elle.

On comprend que tout le monde est dans un bateau très semblable, il n’y a pas beaucoup de gens qui se la coulent douce en mode pandémie, il n’y a pas que le monde de l’éducation, admet Mme Vinet-Roy.

Mais c’est certain que le contexte dans lequel se trouvent nos membres [...], c’est difficile de s’ajuster constamment, c’est très compliqué de faire un changement de l’enseignement en présence versus virtuel, explique la présidente de l'AEFO.

Une femme pose pour la photo.

Anne Vinet-Roy est la présidente de l'Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO).

Photo : Radio-Canada / Pierre-Olivier Bernatchez

Elle ajoute que, même si certains conseils scolaires sont un peu plus flexibles depuis le début et un peu plus à l’écoute de ce que les membres de leur personnel expriment comme défis, frustrations et difficultés, d’autres s’en tiennent malheureusement aux exigences du gouvernement qui ne sont pas toujours claires et manquent de cohérence, et s’attendent à ce que les choses se fassent comme d’habitude, alors qu’il n’y a rien d’habituel.

« C’est un fardeau extrêmement lourd en plus de tout ce qui concerne la santé et la sécurité, de toutes les exigences pédagogiques au niveau de l’enseignement, qui a été mis sur les épaules du personnel scolaire et, malheureusement, il y a un certain nombre de conseils scolaires qui s’acharnent à continuer d’exiger la même chose sinon plus, ce qui est absolument déraisonnable. »

— Une citation de  Anne Vinet-Roy, présidente de l'Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens

Des équipes syndicales de l’AEFO ont accentué leurs discussions avec les conseils scolaires pour, d’une part, plaider en faveur des enseignants, avance la présidente de l’AEFO, et, d’autre part, expliquer pourquoi une telle approche n’est pas bonne pour les élèves, mais leurs tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès.

Les enseignants franco-ontariens qui sont aussi parents ressentent particulièrement le poids de l’enseignement virtuel, confirme Mme Vinet-Roy.

« C’est comme si on leur demande d’enseigner comme s’ils n’avaient pas d’enfants et d’être parents comme s’ils n’avaient pas d’emploi. C’est très difficile de jongler [avec] les deux. »

— Une citation de  Anne Vinet-Roy, présidente de l'Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens

Commentaire d'enseignant

Le manque de soutien et le fait que nous sommes rarement ou jamais consultés dans l'élaboration de stratégies, sécurité ou autres décisions affectant mon travail, sont dégoûtants et déprimants pour l'accomplissement de ma tâche. Le conseil scolaire et le gouvernement dans leur bulle n'ont aucune idée du stress imposé par leurs incertitudes, leur manque de gérance et leur désir de prétendre d'être la solution, grâce au professionnalisme et à l'acharnement des enseignantes et enseignants, et cela au prix de notre propre santé physique et mentale.

Au gouvernement d’agir, estiment les conseils scolaires

L'Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO) est complètement d’accord avec ce que les enseignants disent, selon son président Denis Chartrand, qui ajoute que le regroupement s’inquiète beaucoup de la santé mentale du personnel.

« La pandémie a mis une pression incroyable sur les épaules des cadres supérieurs, des directions d’écoles, des enseignants. Toutes leurs responsabilités ont été chambardées et ça a créé une surcharge de travail qui affecte leur santé mentale, ce qui est une question absolument fondamentale. »

— Une citation de  Denis Chartrand, président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario

Il assure que les conseils scolaires publics franco-ontariens font tout pour répondre aux besoins des enseignants, mais il note qu’on doit suivre les instructions du ministère de l’Éducation, on n’a pas le choix.

Il indique aussi que son regroupement souligne constamment au ministre de l’Éducation qu’il faut arrêter de surcharger les enseignants et les cadres supérieurs, et arrêter de changer son fusil d’épaule tous les deux mois.

« Il faut une stabilité, il faut savoir où on s’en va. Je sais que ce n’est pas facile, mais essayons de travailler ensemble. »

— Une citation de  Denis Chartrand, président de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario

Il déplore notamment l’instauration cette année d’un nouveau programme de mathématiques, car il estime que ce n’est pas nécessaire de faire ça cette année dans une année de pandémie.

Repenser la façon d’enseigner

La majorité des enseignants ontariens qui ont répondu au questionnaire de CBC ont aussi indiqué qu’ils étaient soit un peu en arrière ou très en arrière dans leur plan de cours par rapport à une année sans pandémie.

De moins en moins d’étudiants atteignent leurs objectifs d’apprentissage cette année, estiment aussi une majorité de répondants ontariens.

Marie-Thérèse Awitor, qui enseigne le français et l’histoire au Conseil scolaire catholique du district d’Halton, admet que, dans le contexte d’enseignement actuel, il a fallu sélectionner les éléments des cours les plus importants à transmettre aux élèves.

Le mot d’ordre lui a d’ailleurs été donné par sa directrice, qui se montre soucieuse de la santé mentale du personnel enseignant et des élèves.

J’ai préféré plus [cette année] la qualité que la quantité. Si mes élèves maîtrisent deux unités sur trois ou sur quatre, moi, je suis satisfaite. L’important, c’est de communiquer ça avec l’enseignant s’il y a un suivi de la matière, signale-t-elle.

Une enseignante en entrevue Skype.

Marie-Thérèse Awitor, enseignante au Conseil scolaire catholique du district d'Halton

Photo : Radio-Canada

D’ailleurs, malgré ses efforts pour stimuler l’intérêt de ses élèves de français, Mme Awitor craint que la pandémie et les cours virtuels n’aient créé de grands retards d’apprentissage de la langue chez eux.

Elle rappelle qu’ils sont majoritairement anglophones et ne vivent pas nécessairement dans un environnement où ils sont capables de continuer à pratiquer la langue.

D'après la professeure en éducation à l’Université d’Ottawa, Phyllis Dalley, cette inquiétude pourrait d’ailleurs se manifester chez les élèves francophones qui vivent dans des endroits où le français est moins parlé.

Elle encourage donc les enseignants à davantage mettre l’accent sur des compétences de production langagière plutôt que sur des compétences de réception langagière.

« La production orale et l’écriture, plus elles sont développées, mieux l’élève est préparé pour les compétences de réception qui sont la lecture et l’écoute. Actuellement, on place beaucoup les élèves en situation de réception et trop peu en situation de production. »

— Une citation de  Phyllis Dalley, professeur en éducation à l’Université d’Ottawa

Commentaire d'enseignant

J'enseigne depuis 1996 et, en tout ce temps, j'ai toujours adoré ma profession. Ce n'est plus le cas maintenant.

Je ne suis pas une technophile, je suis la prof engagée pour qui les connexions positives avec les élèves sont primordiales. Ceci est très difficile à faire en ligne. Il y a plusieurs élèves qui nous préoccupent par rapport à leur réussite et leur bien-être.

De plus, j'enseigne les sciences sociales et humaines qui entraînent de grandes discussions qui sont maintenant assez limitées, car les élèves communiquent moins en ligne. Aussi, j'enseigne les arts dramatiques, ce qui n'est pas du tout évident en ligne.

Le montant d'activités coupé du curriculum afin de livrer le cours en ligne est pas mal incroyable. Ce n'est pas du tout la même expérience qu'auparavant. Le stress que je ressens est élevé.

Des modifications à apporter à la pédagogie

La professeure Dalley croit aussi que la pandémie pourrait contribuer à accroître les retards d’apprentissage, surtout chez les élèves qui ont déjà des difficultés scolaires.

Elle pense toutefois que la pandémie constitue une occasion d'apporter des modifications importantes à la pédagogie, à la façon d’aborder l’enseignement lui-même afin d’assurer l’engagement des élèves.

Plutôt que de parler de matière scolaire, et cela même au secondaire, si on avait une approche par problème par exemple, une approche interdisciplinaire, transdisciplinaire [...]. Je ne pense pas qu’on puisse rattraper ce qui est perdu, je pense qu’il faut se concentrer davantage sur la construction de ce qu’on veut que les élèves aient, avoir des apprentissages qui vont répondre à des besoins des élèves, explique la professeure.

Une femme porte un veston rouge.

Phyllis Dalley est professeure à la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa.

Photo : image: Phyllis Dalley

Pour illustrer ses propos, elle suggère un exercice de réflexion d’élèves du secondaire sur les moyens de sauver l’Université Laurentienne, aux prises avec de grands problèmes financiers.

Avec ce problème, on peut aller chercher des connaissances, des compétences dans plusieurs matières. Si on veut continuer à enseigner les matières de manière séparée, je pense qu’on ne pourra pas atteindre les buts qu’on se fixe comme société. Il faut vraiment repenser la façon d’enseigner pour arrêter d’enseigner les différentes matières en silos, note-t-elle.

« Mon espoir serait qu’on prenne le temps de la pandémie pour réfléchir vraiment à ce à quoi devrait ressembler l’école au retour plutôt que d’attendre que l’école soit de retour pour retourner à ce qu’on connaissait déjà. »

— Une citation de  Phyllis Dalley, professeure en éducation à l’Université d’Ottawa

Pour sa part, Anne Vinet-Roy croit que beaucoup d’élèves, et pas juste ceux qui avaient des besoins particuliers avant la pandémie, vont avoir des besoins particuliers dans la suite des choses.

Ça va nécessiter des ressources supplémentaires, peut-être du personnel supplémentaire, du temps, il va falloir vraiment être à l’écoute, être raisonnable et raisonné dans les décisions qui vont être prises prochainement. On espère qu'on va être consultés [par le gouvernement], conclut-elle.

Avec les informations de Roberto Rocha

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