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L'organisme qui intervient sans policiers lors de crises de santé mentale

Le centre Gerstein déploie ses propres équipes mobiles sur le terrain pour répondre aux crises de santé sans passer systématiquement par les policiers : « On ne demanderait pas à un dentiste d’aller dans une salle d’urgence pour traiter quelqu’un qui a besoin d’une amputation », explique Kaola Baird, qui a bénéficié du service.

Au premier plan, une affiche aux couleurs de l'arc-en-ciel, posée sur le mur, indique "Welcome". À l'arrière-plan, une femme assise à une table parle au téléphone.

Les travailleurs du centre Gerstein, à Toronto, se relaient pour répondre au téléphone 24 h sur 24.

Photo : Radio-Canada

Entre les tours à condos de la rue Charles, au centre-ville de Toronto, une maison aux volets bleus se détache du lot. C'est là que sont installés les locaux du centre Gerstein, depuis plus de 30 ans.

Ici le téléphone sonne à toute heure et des travailleurs de crise se relaient pour y répondre, sept jours sur sept.

À l’autre bout du fil, les gens qui appellent peuvent se trouver en détresse psychologique ou en situation de dépendance. D’autres s’inquiètent du bien-être d’un proche. Le numéro du centre Gerstein se présente alors comme une autre option que le 911 ou les hôpitaux.

Kaola Baird a fait appel à ce service il y a plusieurs années. À l'époque, je traversais une série de crises qui m’ont menée à un grand tournant. J’ai eu l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds, raconte-t-elle.

Le centre Gerstein propose alors de lui envoyer une de ses équipes mobiles d’intervention. Deux travailleurs spécialisés en situation de crise vont la rejoindre dans un Tim Hortons de son quartier.

Une femme, portant un t-shirt noir, des lunettes autour du cou, debout dans une pièce.

Kaola Baird continue aujourd'hui de participer aux programmes du centre Gerstein, plusieurs années après son appel initial.

Photo : Radio-Canada

C’était très simple, mais très puissant. On s’est juste assis, je leur ai expliqué ce que je vivais. Les travailleurs lui suggèrent ensuite de venir séjourner dans une chambre du centre, le temps de se remettre sur pied. Pour Kaola Baird, ce sera le début d’un long processus de récupération.

Éviter l’intervention policière

Ces équipes mobiles ne sont pas systématiquement dépêchées lorsque le centre Gerstein reçoit un appel. C’est plutôt du cas par cas, explique Sim Shukla, intervenante.

Parfois on va rencontrer l’individu seul, ou bien avec sa famille ou des amis. Ça peut être dans l’entrée d’un immeuble, dans la rue. Et on essaie de ne pas attirer l’attention.

Être en crise peut signifier tellement de choses différentes, ça dépend de la personne. Mais en ce moment, c’est souvent relié à la solitude, l’isolement et l’anxiété, observe-t-elle.

Une femme portant un cardigan jaune, assise dans une pièce, en entrevue.

Sim Shukla est intervenante au centre de crise Gerstein depuis 14 ans.

Photo : Radio-Canada

Quand ils se rendent sur le terrain, toujours par paires, les membres de l’unité d’intervention portent leurs habits de tous les jours et se déplacent dans des véhicules banalisés.

Cette approche les distingue d’emblée de la police de Toronto qui, elle aussi, compte une unité spéciale pour répondre aux appels de santé mentale – mais qui jumelle des infirmières à des agents en uniforme armés, dans des autopatrouilles.

C’est de modèles comme celui du centre Gerstein, communautaires et non policiers, desquels la Ville de Toronto cherche maintenant à s’inspirer.

Un homme et une femme, portant des masques et visières, debout dans un stationnement.

Les intervenants du centre Gerstein se rendent sur le terrain par équipes de deux, habillés en civil.

Photo : Radio-Canada

Face à de multiples demandes de réformes dans la dernière année, après la mort de plusieurs citoyens en détresse lors d’interventions policières, le conseil municipal s’est finalement engagé à créer son propre service d’intervention, entièrement civil. Un projet pilote, sous la forme de quatre équipes, doit voir le jour en 2022.

Kaola Baird pense qu’il est temps de laisser les policiers se concentrer sur les situations pour lesquelles ils sont spécialisés.

On ne demanderait pas à un dentiste d’aller dans une salle d’urgence pour traiter quelqu’un qui a besoin d’une amputation ou qui a été blessé par balle. C’est un peu la même chose. Les policiers sont des agents formés, mais ils ne peuvent fonctionner que dans un certain cadre. Or on parle ici de graves problèmes de santé.

Une citation de Kaola Baird

Quand vous êtes en crise, décrit-elle, même si vous voulez quelque chose, vous ne savez pas nécessairement quoi demander ni comment. Vous êtes apeurés, en colère, c’est une multitude d'émotions.

Ça nécessite une autre lentille, d’autres aptitudes et les travailleurs de crise ont cette vue d’ensemble, cette façon de se mettre à votre niveau pour vous parler, vous mettre à l’aise.

Grand besoin, manque de ressources

Pour Sim Shukla, c’est l’écoute et l’empathie qui font le succès de la méthode de Gerstein, et elle souligne qu’il n’arrive que très rarement que les intervenants demandent l’aide de la police.

Nos interventions ne sont ni coercitives ni médicales, et on propose un environnement non menaçant, non institutionnel, résume Susan Davis, directrice générale du centre.

Elle a pu constater, des débuts du centre à aujourd’hui, à quel point le besoin reste immense. L’organisme a répondu à plus de 40 000 appels dans la dernière année, contre environ 24 000 l’année précédente. Une demande exacerbée par la pandémie, à laquelle le centre a tenté de remédier en ajoutant plus de personnel.

Une femme assise derrière un bureau, en conversation au téléphone.

Une travailleuse du centre Gerstein au téléphone.

Photo : Radio-Canada

Mais on ne peut pas aller partout, et la demande est bien plus grande que nos ressources.

Si elle se réjouit que la Ville ait décidé d’établir son propre modèle, Susan Davis prévient qu’il faudra y mettre les investissements nécessaires.

Elle doute que le financement envisagé par Toronto pour son projet pilote – environ 7 millions de dollars annuellement – soit suffisant et durable, une préoccupation qu’elle et d’autres ont déjà exprimée à la Ville.

En comparaison, le centre Gerstein compte sur un budget de 5 à 6 millions pour l’ensemble de ses programmes.

Si on veut vraiment bâtir un système de remplacement pour répondre aux crises, il faut bâtir une infrastructure assez solide pour le soutenir.

Une citation de Susan Davis

Au-delà du simple appel

Et si vous voulez éviter que les gens se retrouvent aux urgences ou qu’ils appellent le 911, il faut aussi avoir un endroit vers qui les envoyer, poursuit Susan Davis.

Car l’intervention en cas de crise ne s’arrête pas après un appel, souligne-t-elle : il s’agit d’assurer un suivi auprès des personnes aidées. Un autre élément que la Ville, selon elle, devra garder en tête.

Notre but c’est la résolution de problème de façon collaborative. On travaille avec d’autres organisations, en partenariat, note Nicki Casseres, coordonnatrice de la formation et de l’éducation à Gerstein.

Une maison plutôt ancienne, avec une cour et un stationnement en avant, au centre-ville de Toronto.

Le centre Gerstein est logé sur la rue Charles à Toronto depuis plus de 30 ans. Plus récemment, l'organisme a ouvert un deuxième local, sur la rue Bloor.

Photo : Radio-Canada

Après avoir appelé, les gens veulent qu’on les mette en lien avec d’autres services. Alors on a besoin d’un système interconnecté. Cela peut être voir un conseiller ou un psychiatre, rester quelques jours au centre, rejoindre des groupes de soutien ou se faire référer à d’autres organismes, détaille-t-elle.

Parmi ses services, le centre Gerstein offre aussi depuis quelques années un programme d’exercice physique, F.R.E.S.H. – une initiative moins conventionnelle, mais qui peut être une pièce clé dans la récupération selon Michael Aucoin, le coordonnateur.

L’idée est de créer un sentiment de communauté, que les gens se sentent engagés, lient de nouvelles relations.

Une citation de Michael Aucoin

Quand vous faites face à un client qui a des problèmes de santé mentale ou de dépendance, plus vous pouvez lui offrir, et plus grande la diversité des options, le mieux c’est. Parce qu’il n’y a pas de solution unique. Mais tout le monde devrait pouvoir y trouver son compte, conclut-il.

Quatre femmes assises autour d'une grande table, dans une pièce lumineuse, portant des masques.

Autour de la table, dans le sens des aiguilles d'une montre : l'intervenante Sim Shukla, la directrice du centre Susan Davis, Nicki Casseres, coordonnatrice de la formation et de l’éducation, et Kaola Baird, participante.

Photo : Radio-Canada

Malgré la pandémie, Gerstein tente de maintenir autant que possible toutes ces options, mais a dû aussi s’adapter aux mesures sanitaires et au virtuel.

Pour sa part, Kaola Baird est restée associée au centre depuis son appel initial et a participé à plusieurs programmes, entre autres F.R.E.S.H. pour qui elle travaille maintenant comme instructrice.

Peu à peu, elle dit avoir retrouvé confiance en elle.

Je vois encore ces travailleurs qui étaient venus me rencontrer, nos chemins se croisent souvent et je les remercie encore. Ça montre que parfois, dans les moments où vous êtes au plus bas, les gens peuvent avoir un impact très fort.

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