La pandémie est dure pour le moral des victimes de catastrophes naturelles
L’Outaouais, qui a été frappée par une série d’événements météorologiques extrêmes (EME) entre 2017 et 2019, est une des régions les plus affectées sur le plan psychologique, selon une récente enquête.

L’Outaouais, qui a été frappée par une série d’événements météorologiques extrêmes (EME) entre 2017 et 2019, est une des régions les plus affectées sur le plan psychologique, selon l'enquête.
Photo : iStock / tadamichi
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La pandémie semble particulièrement difficile pour les Québécois dont la vie a été perturbée dans le passé par une catastrophe naturelle telle qu’une inondation, une tornade ou un feu de forêt. Une étude menée par une équipe de l’Université Sherbrooke indique qu’ils sont nombreux en cette fin de troisième vague à avoir signalé des symptômes compatibles à une anxiété généralisée, une dépression majeure ou un stress post-traumatique.
L’étude a été réalisée du 21 mai au 13 juin 2021 auprès de 11 321 Québécois âgés de 18 ans et plus.
Elle révèle que les participants qui ont fait face à une catastrophe naturelle dans le passé sont plus nombreux à ressentir les effets de la pandémie sur leur santé mentale que ceux qui n’ont jamais subi de catastrophe.
L’étude note que l’état mental des répondants varie en fonction du nombre d’événements météorologiques extrêmes (EME) auxquels ils ont été soumis antérieurement.
Par exemple, les répondants qui ont fait face à une ou plusieurs catastrophes naturelles dans leur vie sont plus nombreux (22,5 % et 29 %, respectivement) à affronter la pandémie avec des symptômes s’apparentant à une anxiété ou une dépression globale que ceux qui n’ont jamais connu d’événement météorologique extrême (18,8 %).
Ces personnes sont également plus nombreuses à éprouver des symptômes de stress post-traumatique que celles n’ayant été exposées qu’à la pandémie (16 % et 22 %, comparativement à 11 %).
Méthodologie
Cette étude s'appuie sur un échantillon non probabiliste, qui a été tiré de façon aléatoire à partir du panel d’internautes de Léger et de celui de son partenaire Dynata. À titre indicatif, la marge d’erreur associée à un échantillon probabiliste de même taille est de ± 0,92 %, dans un intervalle de confiance de 95 % (19 fois sur 20). Les données ont été pondérées selon l’âge, le sexe, la langue et la région de résidence.
L’Outaouais se distingue
Au chapitre des catastrophes naturelles, l’Outaouais se distingue nettement des autres régions administratives du Québec, remarque la Dre Mélissa Généreux, médecin spécialiste en santé publique qui a effectué l’enquête comparative.
« La région de l’Outaouais est significativement plus affectée par les changements climatiques, du moins selon la perception de ses résidents. »
L’étude indique que 55 % des 751 répondants de l’Outaouais auraient déjà été exposés à au moins un événement météorologique extrême (tempête de verglas 38 %, tornade/ouragan 27 % ou inondations 26 %). Cette proportion est la plus élevée de toutes les régions du Québec.
L’Outaouais a durement été éprouvée, au cours des cinq dernières années. Coup sur coup, il y a eu des inondations en 2017, une tornade en 2018, d’autres inondations en 2019 et une pandémie de plusieurs vagues en 2020 et 2021.
Des données du ministère de la Sécurité publique du Québec indiquent que 690 réclamations d’assistance financière ont été déposées pour plus d’un sinistre dans la région de l’Outaouais, entre 2017 et 2019.
Sur le plan psychologique, cette surexposition
semble avoir eu un impact, indique la Dre Généreux.
Son enquête révèle que 23,8 % des répondants de l'Outaouais présentent des symptômes compatibles avec un trouble d'anxiété généralisée ou de dépression majeure, ce qui en fait la deuxième région la plus touchée sur le plan psychologique, après Montréal (25 %).
Dre Généreux en déduit que le cumul des catastrophes pourrait avoir contribué à fragiliser l’état psychologique de certains résidents de l’Outaouais, déjà mis à l’épreuve pendant cette pandémie.
« Les gens qui s’en sortent moins bien aujourd’hui : ça peut, entre autres, s’expliquer par leurs traumatismes antérieurs. »
C’est relativement logique de penser que les individus qui ont déjà vécu des expériences traumatisantes — lorsque confrontés à d’autres expériences [faisant ressurgir] les mêmes crises aiguës et les mêmes peurs intenses — soient plus à risque devant de nouveaux stresseurs
, explique la médecin.
Je ne suis pas vraiment surprise par ces résultats
, déclare Ève Pouliot, professeure agrégée au Département des sciences humaines et sociales à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui s’intéresse aux impacts psychosociaux des catastrophes.
Les résultats de l’enquête, constate-t-elle, concordent avec ceux d’autres études scientifiques qui montrent qu'une exposition à un EME, même modérée, peut entraîner des conséquences psychologiques. Ces symptômes peuvent persister pendant plusieurs années à la suite d’une catastrophe
, précise-t-elle.
« Plusieurs facteurs de vulnérabilité et de résilience peuvent influencer l’adaptation d’une population à la suite d’une catastrophe. »
Certains résidents vont être capables de réutiliser les stratégies d’adaptation qui leur ont permis de passer au travers du premier événement traumatisant pour faire face à d'autres situations perturbantes, dit-elle. Mais d’autres, au contraire, vont avoir épuisé toutes leurs ressources lors de la première catastrophe et ne seront pas capables de faire face à une crise supplémentaire telle que la pandémie.
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Zone rouge, anxiété et dépression
Les résultats de l’enquête de l’Université Sherbrooke démontrent aussi que la santé psychologique des répondants semble moins bonne dans les régions toujours en zone rouge au 31 mai, ainsi que dans celles qui sont demeurées en zone rouge plus longtemps et celles qui ont affiché un nombre plus élevé de cas de COVID-19 (par 100 000 habitants) depuis le début de la pandémie.
Montréal demeure la région administrative la plus affectée. Les répondants montréalais sont plus nombreux que n’importe qui d’autres à avoir signalé des symptômes d’anxiété et de dépression probables, selon l’étude.
« C’est vraiment manifeste, l’écart entre Montréal et le reste des régions. »
Les grands écarts que l’on voit durant la pandémie, pour moi, sont sans équivoque liés à la situation épidémiologique, aux mesures sanitaires qui ont été plus strictes sur une période plus longue que partout ailleurs
, avance Dre Généreux.
Voir le bout du tunnel?
Christine Gervais est à même de constater les effets de la pandémie sur le moral des Québécois. Elle mène une étude qui évalue l’impact psychosocial des mesures sociosanitaires sur les familles (Nouvelle fenêtre).
Pour le moment, ce qu’elle observe après trois vagues de COVID, en plus d’une série interminable de confinements et de périodes d’école à la maison, c’est que les parents tout comme les enfants ont été poussés à bout.
« Autant, au début, on a vu que les gens étaient très mobilisés, solidaires et qu’ils croyaient que ça allait bien aller. Autant on n’a plus ça du tout, du tout comme discours. »
Ce qui les préoccupe, c’est de savoir s’il va y avoir une fin. C’est vraiment une réponse fréquente des parents. Quand est-ce et comment on va savoir que c’est fini?
indique Christine Gervais.
Depuis le 28 juin, le Québec en entier est en zone verte. C’est une bonne nouvelle pour les familles qui vont reprendre un train de vie plus normal, mais c’est aussi une période où elles seront très vulnérables, prévient la professeure.
La machine économique repartira à pleine vitesse, prédit-elle, mais la population — surtout celle qui a vécu en zone rouge pendant très longtemps — risque d’être encore épuisée de l’année et demie un peu étrange qu’elle vient de passer.
Les effets de la crise sanitaire sur la santé mentale risquent de se faire sentir encore longtemps, prévient la psychologue. D’où la nécessité, du moins pour la première année du retour à la normale, que les ressources en santé mentale soient une priorité gouvernementale.