Convaincre les 18-34 ans de se faire vacciner : Québec devra trouver le bon ton

En matière de vaccination, c'est « la semaine des jeunes », comme l’a désignée le ministre de la Santé Christian Dubé.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le gouvernement Legault devra adapter ses stratégies de communication aux jeunes adultes pour maximiser ses chances de les convaincre de se faire vacciner contre la COVID-19, estiment des experts questionnés par Radio-Canada, au moment où s'amorce une semaine où l’âge limite pour prendre rendez-vous descendra par étapes jusqu’à 18 ans.
C’est en effet la semaine des jeunes
, comme l’a désignée le ministre de la Santé Christian Dubé.
C’est officiellement lundi que tous les Québécois âgés de 30 à 34 ans pouvaient commencer à prendre rendez-vous en passant par le site Clic santé, bien qu’en réalité, il leur est possible de le faire depuis dimanche après-midi. À partir de mercredi, les 25-29 ans pourront aussi le faire. Et vendredi, ce sera au tour des 18-24 ans.
Leur participation sera cruciale pour permettre à la population générale d’atteindre un taux de vaccination qui apportera l’immunité collective.
Il faut absolument que, dans cette tranche de la population, on atteigne également 75 % de personnes vaccinées
, a souligné Roxane Borgès Da Silva, professeure à l'École de santé publique de l'Université de Montréal, en entrevue à RDI Matin.
Mais la participation des jeunes adultes n’est pas nécessairement acquise.
La décision de se faire vacciner dépend des connaissances et des croyances que chacun a
, a expliqué Mme Da Silva. Et les connaissances et les croyances, chez les jeunes, sont différentes de celles des personnes de 40 ans ou de 60 ans ou de 80 ans.

Roxane Borgès Da Silva est économiste et professeure à l'École de santé publique de l'Université de Montréal
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
« Il va falloir déployer des messages de communication qui touchent les jeunes sur leurs connaissances et leurs croyances, et qui les sensibilisent pour les inviter à aller se faire vacciner. Le gouvernement aura un travail de promotion et d’information sur la vaccination à faire. »
Et il y a là tout un défi
, d’après Marie-Ève Carignan, professeure au Département de communication de l’Université de Sherbrooke.
Ces jeunes-là se sont peut-être moins sentis interpellés par les messages jusqu’à maintenant
, a-t-elle estimé en entrevue à Tout un matin.
Ce qui est vraiment important dans l’information pour que les gens se l’approprient, c’est l’internalisation, [...] quand les gens se sentent concernés par la nouvelle. Et nos données d’analyse de presse, ce qu’elles montrent jusqu’à maintenant, c’est qu’il y a des tranches d’âge qui étaient beaucoup moins concernées ou interpellées par les nouvelles, notamment les jeunes de 20-30 ans
, a expliqué Mme Carignan.
Le cercle vicieux de la désinformation
L’un des grands problèmes, en ce qui a trait aux jeunes adultes, est un problème de perception et de désinformation, d’après cette spécialiste de la communication de crise.
On entendait que c’est une maladie qui frappait moins chez cette tranche d’âge là
, a rappelé Marie-Ève Carignan.
Les jeunes ont néanmoins été très touchés par les restrictions sanitaires; leur moral en a été grandement touché. Il semble y avoir là une poignée à saisir.
L’anxiété est un facteur, et chez les jeunes, on voit qu’elle est très présente. Ils ont besoin de pouvoir exprimer cette anxiété-là. Alors, les rejoindre, notamment en ligne, par exemple, pour leur permettre de parler de ce qui les inquiète, […] ça pourrait être un bon moyen, justement, de venir les chercher
, a suggéré Mme Carignan.
« [Toutefois], l’anxiété est un des facteurs qui font adhérer à la désinformation, aux thèses complotistes. Plus les gens sont anxieux par rapport à la situation, déprimés, [...] plus ils ont tendance à chercher des réponses ailleurs. »
Ailleurs, c’est notamment sur les réseaux sociaux.
Quelqu’un qui est très présent sur les réseaux sociaux commente, partage, est plus exposé à cette désinformation
, a-t-elle dit.
S’informer par les médias traditionnels comme la radio, la télé ou par les sites gouvernementaux, c’est là qu’on a le moins de désinformation et qu’on est le mieux informé. Mais par contre, pour décider d’aller s’informer par les médias traditionnels et par les sites gouvernementaux, ben il faut faire confiance à ces sources-là. Et le problème c’est que, souvent, ceux qui sont désinformés, ce sont ceux qui ont le moins confiance
, a expliqué Mme Carignan.
Différentes options
Le Dr Alain Poirier, directeur régional de santé publique de l’Estrie – une région aux prises avec une telle résurgence des cas de COVID-19 qu'elle est passée lundi au palier rouge –, a souligné de son côté que les jeunes suivent davantage les recommandations d'influenceurs et de vedettes qui les rejoignent déjà.
Si on peut capitaliser notamment sur des gens bien connus dans chacune des régions, on va y arriver
, a-t-il avancé, lui aussi à Tout un matin.
C’est une solution intéressante
, selon Marie-Ève Carignan. Je pense que ça peut rejoindre une certaine partie des jeunes, comme on l’a vu quand le premier ministre a interpellé des personnalités connues. [...] À quel point est-ce que ça va être efficace? Faut voir.
La professeure de communication à l’Université de Sherbrooke a cependant lancé une mise en garde : il ne faudrait pas répéter les erreurs passées. Je ne suis pas certaine que, par exemple, quand on a mis des vedettes dans des points de presse, ça a vraiment eu un effet sur les jeunes, qui ne suivent pas les points de presse. Donc, ça dépend de comment on le fait.
Et les cadeaux offerts par certaines entreprises à ceux qui se font vacciner?
Je trouve que ça envoie parfois un drôle de message, c’est-à-dire que ça rend un peu la vaccination anecdotique, comme si on veut en faire une fête, alors que c’est quelque chose de sérieux
, a dit Mme Carignan. Je ne suis pas sûre que c’est le bon moyen de montrer aux jeunes qu’ils doivent se sentir concernés.
Le plus important, c’est de leur parler, donc d’être à l’écoute et de trouver des façons de les rejoindre pour qu’ils puissent s’exprimer aussi
, a-t-elle aussi estimé.
L’un des arguments les plus forts pour convaincre les plus jeunes – des créatures souvent très sociales, voire grégaires – repose sur ce qui les a le plus dérangés au cours de la dernière année, a rappelé Roxane Borgès Da Silva.
« Ce sont des gens qui ont beaucoup souffert de l’isolement social et des mesures qui ont été mises en place. Donc, pour ces raisons-là, je suis très confiante que les jeunes vont vouloir aller se faire vacciner. »
Marie-Ève Carignan était du même avis. De vouloir qu’on en finisse, ça peut inciter des gens à se dire : "Bon, ben, je vais me faire vacciner pour espérer qu’on reprenne les voyages et la vie normale"
, a-t-elle mentionné.
Le Dr Alain Poirier abondait lui aussi dans ce sens. Il faut revenir sur des choses bêtes comme : "C’est ben efficace, ça va vous permettre de reprendre votre vie, de voir vos amis et surtout de ne pas avoir de problèmes à long terme, qu’on pense à l’essoufflement, à la bière qui goûte le caoutchouc"
que peut causer la perte de l'odorat et du goût souvent associée à la COVID-19.
Selon lui, il faut miser sur des choses très simples. [...] Les gens vont dire : "Wô, ça vaut la peine, c’est un vaccin efficace, sécuritaire. C’est pour moi!"
Et si la campagne démarre bien, il pourrait y avoir un effet d’entraînement. De voir que d’autres se font vacciner peut inciter les gens à aller se faire vacciner
, selon Mme Carignan.