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Brouillard autour de la recherche sur le cannabis médicinal

Un homme fumant du cannabis.

Un homme fumant du cannabis.

Photo : Getty Images / CasarsaGuru

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Deux décennies après la légalisation du cannabis à des fins médicinales au Canada, la communauté scientifique semble toujours aussi divisée sur l’efficacité thérapeutique de cette substance dans le traitement de la douleur.

Au Canada, environ une personne sur cinq souffre de douleur chronique, le plus souvent en lien avec une blessure ou de l’arthrose. Même si vivre cette douleur au quotidien peut anéantir la qualité de vie de celles et ceux qui en souffrent, il existe très peu de traitements pour soulager ces symptômes.

Dans ces circonstances, il est peu surprenant de voir que les personnes atteintes se tournent vers le cannabis. Souvent, les gens veulent s’automédicamenter, et dès qu’on cherche sur Internet, on voit une tendance à suggérer le cannabis pour ce type de douleur, explique la chercheuse et pharmacienne Edeltraut Kröger, lors d’un colloque organisé autour de ce thème dans le cadre du 88e congrès de l’Acfas.

Or, il existe très peu d’éléments de preuve et de données probantes permettant d'affirmer que le cannabis est utile pour le traitement de ce type de douleur chronique.

« Les articles scientifiques qui ont compilé les données de plusieurs études montrent que les effets observés ne sont pas très forts. Et, en l’absence de données claires, certains médecins basent leur opinion sur des observations anecdotiques. »

— Une citation de  Edeltraut Kröger, chercheuse et pharmacienne

Ce manque de preuves ne semble toutefois pas diminuer l’intérêt du cannabis comme option médicinale.

Les données québécoises remontant à 2019 montrent qu’environ 16 % des personnes âgées de plus de 18 ans auraient fait usage de cette drogue, explique le Dr Robert Perreault, responsable du développement des politiques publiques en matière de cannabis, à la Direction de santé publique de Montréal.

De ce nombre, 34 % disent l’avoir fait pour traiter un problème de santé. Cela représente 358 000 personnes. Pourtant, au Québec, seulement 21 000 personnes possèdent une autorisation médicale pour consommer du cannabis.

Robert Perreault, médecin psychiatre, est responsable du développement des politiques publiques en matière de cannabis à la Direction de santé publique de Montréal.

Robert Perreault, médecin psychiatre, est responsable du développement des politiques publiques en matière de cannabis à la Direction de santé publique de Montréal.

Photo : Radio-Canada

À cet intérêt du public, il faut aussi ajouter une forte offensive d'entreprises productrices de cannabis.

« Certaines compagnies offrent des dépliants qui affirment que leur produit peut aider contre les migraines, la fibromyalgie, la maladie de Crohn, ce qui est surprenant puisqu’il y a très peu de contextes dans lesquels l’utilisation du cannabis est reconnue. »

— Une citation de  Dr Robert Perreault, Direction de santé publique de Montréal

Une recherche difficile

Pour la professeure Kröger, si on n’est pas encore en mesure d’avoir de réponses claires sur le rôle que pourrait avoir le cannabis dans le traitement de la douleur chronique, c’est à cause de la difficulté de faire de la recherche sur cette substance.

Les études qui pourraient répondre à nos questions sont très complexes. Il faut impliquer plusieurs centres de recherche afin de faire des études randomisées à grande échelle. Non seulement il est difficile pour des groupes de recherche d’obtenir les permis requis pour les travaux, mais ces derniers sont aussi très dispendieux, indique-t-elle.

« Et avec le cannabis, on n’est pas face à un nouveau médicament qui peut être breveté et pour lequel l’industrie pharmaceutique est prête à payer ces montants. »

— Une citation de  Edeltraut Kröger, chercheuse et pharmacienne

Vu ces contraintes, la plupart des études faites sur le cannabis étaient limitées à de petits groupes, avec une courte durée de suivi. À cela, il faut ajouter un problème de standardisation, c’est-à-dire que chaque étude n’utilisait pas nécessairement la même substance, le même dosage ni la même voie d’administration.

Finalement, il faut souligner que le cannabis est une substance pour laquelle plusieurs personnes ont des idées préconçues. Les opinions favorables ou défavorables en lien avec cette molécule peuvent faire en sorte que les personnes qui s’engagent dans une étude clinique peuvent être partiaux. Pour toutes ces raisons, il reste très difficile de savoir si le cannabis peut avoir un effet dans le traitement de la douleur.

Un suivi personnalisé

Malgré l’incertitude, certaines données peuvent quand même apporter un début de réponse. C’est le cas des travaux du Dr Antonio Vigano, de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill.

Lors du congrès de l’Acfas, ce dernier a présenté une première analyse des données du Registre Cannabis Québec, un programme de recherche qui a collecté des données auprès de presque 3000 utilisateurs de cannabis tout en maintenant un suivi auprès de plusieurs centaines de participants, entre 2015 et 2019.

« Le problème avec beaucoup d’études est qu’on offre du cannabis à un patient et on attend de voir si ça marche. Ce n’est pas la bonne façon, on doit avoir un encadrement strict par des professionnels, une dose initiale claire, un protocole pour ajuster ces doses, et un suivi à des intervalles réguliers. »

— Une citation de  Dr Antonio Vigano, Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill

Parmi les constats de cette étude, le chercheur a montré qu’il y avait une réduction de la douleur ressentie par le patient en plus d’une amélioration de la qualité de vie chez les patients prenant du cannabis médicinal, et que cette réduction était maintenue au cours des quatre années de l’étude.

De l'huile versée au compte-gouttes.

Le cannabidiol, soit de l'huile de cannabis, est largement disponible en ligne et dans certains magasins.

Photo : Radio-Canada / Tyson Koschik

Autre constat, la forme de cannabis la plus employée était la forme orale, par exemple de l’huile de cannabis, et la quantité consommée était bien inférieure à celle du cannabis récréatif. Finalement, moins de 4 % des patients suivis ont affirmé avoir eu des effets secondaires, peu importants dans la vaste majorité des cas.

Ce dernier résultat est toutefois à prendre avec prudence, car plusieurs participants ont quitté l’étude en cours de route. Il est donc possible que certains effets néfastes puissent ne pas avoir été observés par les chercheurs.

Études complémentaires nécessaires

Malgré tout, selon le Dr Vigano, il semble qu’entre les mains des professionnels de la santé, l’utilisation de cannabis thérapeutique serait sécuritaire et aurait même une certaine efficacité dans le traitement de la douleur, de l’anxiété et même de l’insomnie.

Le Dr Antonio Vigano.

Le Dr Antonio Vigano, du Centre universitaire de santé McGill

Photo : Radio-Canada

L’effet que nous avons observé reste toutefois complémentaire à l’utilisation d’autres médicaments, ajoute le Dr Vigano. L’utilisation de cannabis comme traitement alternatif n’est pas ce qu’on doit tirer de l’étude. Il faut aussi rappeler qu’il s’agit d’une démarche, il faut réussir à trouver le type de cannabis et la dose qui permet de mieux répondre au patient individuellement.

Malgré ces données encourageantes, plusieurs autres études de ce type seront nécessaires pour avoir une image claire des effets du cannabis médicinal contre la douleur.

Pour y arriver, ajoute le Dr Perreault, il faut non seulement faciliter la recherche, mais aussi la standardisation des méthodes, si on veut produire des études de meilleure qualité, et tout ça sont des choses que la santé publique peut améliorer.

La chose la plus importante pour les médecins, c’est avoir des données probantes claires qu’on met à jour régulièrement, conclut la professeure Kröger. Une fois qu’un tel système sera mis en place, on peut espérer qu’il y aura de nouvelles évidences en faveur du cannabis… ou qu’on réalise que l’effet n’est pas aussi grand qu’on le souhaite.

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