Pendant la pandémie, des festivals créatifs se rapprochent de leur public
Les festivals de musique partout au Québec racontent comment ils ont innové pour passer à travers la tempête.

Clay and Friends a offert un concert au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue en 2020 en formule réduite.
Photo : Dominic Mc Graw
Si l’année a été difficile pour les festivals indépendants partout au Québec, la pandémie a permis la naissance de nouvelles initiatives qui pourraient même devenir permanentes. Évidemment, les différentes organisations ont dû jongler avec l’incertitude, le choc du confinement et les problèmes financiers. Mais en usant de créativité, en proposant des formules intimes pour leurs événements, les festivals se sont, tout compte fait, rapprochés de leur public.
Quand le Québec a fermé
en mars 2020, et que tous les festivals ont été annulés jusqu’en août, ça a d'abord été le choc, amorti par l’aide gouvernementale.
Sans les subventions salariales, ça aurait été la fin, dit Nicolas Cournoyer, cofondateur et vice-président affaires publiques et responsabilité sociétale à Piknic Électronik. Ça nous a permis de survivre.
Annulation et gestion sanitaire
Avant de se réinventer, plusieurs festivals ont dû passer par la case annulation, puis celle de la remise en question. C’était plus difficile pour ceux qui allaient ouvrir le bal de la saison des festivals au printemps 2020. Ma programmation était annoncée, j’avais dépensé de l’argent. Un gros montant était à la poubelle
, explique Patrick Kearney, directeur général du Festival Santa Teresa, qui se tient à la fin de mai.
Outre le casse-tête des annulations, du budget et de la réorganisation, les festivals ont aussi dû composer avec le respect des mesures sanitaires quand les spectacles ont recommencé à être autorisés.
Ça a été un festival énergivore et stressant. Il fallait tout vérifier, c’était très anxiogène, car on avait l’impression d’être responsable de la santé des gens
, explique Magali Monderie-Larouche, directrice générale du Festival de musique émergente (FME) en Abitibi-Témiscamingue, l’un des premiers qui ont pu se dérouler en 2020.
Autre tuile : les commanditaires sont moins présents. À titre d’exemple, la Fête de la musique de Tremblant a perdu la contribution de Sunwing, son commanditaire principal.
Certains commanditaires ne sont pas en mesure de financer l’événement à la hauteur habituelle, car ils ont [aussi] été impactés [par la pandémie]. C’est un défi pour tous les événements. Il y a une inquiétude financière présente pour tout le monde
, explique Clément Turgeon, directeur général et artistique du Festif! de Baie-Saint-Paul.
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Innover en format réduit
Les festivals ont revu leur formule en format restreint. On a vu l’arrivée de zones attitrées et clôturées pour les personnes de la même bulle familiale. Le FME a été le premier au Québec à utiliser cette formule, en septembre 2020.
« On était en version réduite, avec 4500 personnes au lieu des 35 000 habituellement. »
Le FME tenait à offrir quelque chose à son public, mais également à son équipe. On l’a aussi fait pour les travailleurs et pour nous, pour ne pas avoir travaillé un an pour rien. C’était aussi le bon moment. On était très contents de le faire. On a ri de nos cages, mais on a trippé
, ajoute la directrice générale.
Sinon, le concours Le champion du clip, organisé par le Festival Santa Teresa, a quant à lui bien fonctionné en mode virtuel. Six artistes de la relève devaient s’affronter avec leur vidéoclip dans cette compétition animée par Mehdi Bousaidan en direct sur Facebook. Le public votait ensuite, et la personne gagnante obtenait une bourse de 5000 $. Il y a eu de l’aide financière de la SODEC, et des commanditaires m’ont aidé pour proposer ça. Ça a beaucoup pogné, ça va avec notre clientèle, et ça nous permet d’aider les artistes de la relève. On va le garder
, explique Patrick Kearney, ravi de la formule.
Puisque ses spectacles se déroulent normalement à l’extérieur, le Festival en chanson de Petite-Vallée a de son côté ajouté à sa programmation des spectacles au coucher du soleil, à l’extérieur, au bord du fleuve. Et on va poursuivre [cette formule]. L’éclairage était assez beau
, soutient Alan Côté, directeur général et artistique de ce festival.
Du côté de la Fête de la musique de Tremblant, la fondatrice et violoniste Angèle Dubeau a imaginé un concert sur l’eau. J’ai organisé beaucoup de spectacles dans ma vie, et ça a été l’un des plus compliqués. Il a fallu bâtir deux scènes sur l’eau et y amener l’électricité, sans compter le financement et [le fait de] devoir convaincre la Ville de le faire. Mais ça a été un gros hit
, explique François Mario Labbé, président d'Analekta et coproducteur de la Fête de la musique.
Des formules plus intimes
Pour sa part, le Festif! a testé La tournée des portes, une formule proposant des concerts intimes devant les portes des résidentes et résidents de la municipalité. On en a fait avec des artistes locaux et certains plus connus avec un kiosque mobile chauffé. L’important pour nous était de respecter notre ADN, c’est pour ça qu’on a été très peu dans le numérique
, explique le directeur général Clément Turgeon.
Il ajoute qu’une telle formule est financièrement intéressante, car un commanditaire y est attaché. Il y a une façon de rentabiliser des spectacles quand le public est restreint.
C’est drôle à dire, mais avec La tournée de portes, on n'a jamais autant [atteint] notre clientèle
, affirme Clément Turgeon.
Selon lui, même si c’est un moment difficile et pénible, la pandémie a permis de beaux moments musicaux surréalistes qui n’auraient jamais existé en temps normal.
« En tant qu’organisateur, faire jouer les Cowboys Fringants ou Patrick Watson devant 100 personnes avec des feux de camp, c’est incroyable. »
Les artistes étaient partants, car ils voulaient voir du monde, donc on en a profité pour faire des expériences qu’on ne refera plus
ajoute-t-il.
En 2020, Pop Montréal a aussi organisé quelques événements avec un public très réduit à l’extérieur et à l’intérieur. Plusieurs lieux ont été utilisés, dont les toits d’édifices ou les balcons, avec des spectacles de Martha Wainwright diffusés en direct sur les réseaux sociaux.
Toutefois, selon Éric Cazes, directeur des opérations de Pop Montréal, des spectacles de 25 à 250 personnes, sans revenus autonomes, ne sont pas viables à long terme.
On doit avoir des concerts-locomotives pour pouvoir faire une place enviable à la relève et à la découverte. Par chance, nous avons pu compter sur nos partenaires gouvernementaux durant cette crise, et j'espère qu'ils seront de la partie pour le déconfinement et la relance
, précise-t-il.
Le Festival musique du bout du monde de Gaspé, a carrément décidé de garder la formule développée pendant la pandémie : des spectacles en nature. Le parcours pour s’y rendre fait aussi partie de l’expérience des spectateurs et spectatrices.
On développe un produit de niche qui plaît à une certaine tranche de la population et à des touristes
, explique le directeur général, Steve Pontbriand.
Le numérique, oui mais...
Parallèlement, si l’offre numérique des festivals qui s’est développée cette année a permis à ceux-ci de garder un lien avec leur communauté, ce n’est pas un modèle viable, estime Nicolas Cournoyer, de Piknic Électronik. C’est coûteux, et en plus, les gens vont s’en lasser.
« Le virtuel ne remplacera jamais un événement physique. Quand on a commencé le virtuel, on pensait qu’il y aurait une reprise et que c’était pour quelques mois. Les gens ont moins le goût d’être devant un ordinateur et veulent être dehors »
Finalement, la dernière année a aussi permis à la population de découvrir des festivals à plus petite échelle. En région ou dans les ruelles de Montréal; beaucoup de monde ne sait pas qu’il y a un festival de ruelles super chouette. Les gens ont découvert la culture autrement
, conclut Patrick Kearney, de Santa Teresa.