En attendant les concerts...
Le violoncelliste français Gauthier Herrmann a troqué l’archet contre des chaussures de sport. En 13 jours, il doit parcourir 900 kilomètres entre Paris et Aix-en-Provence. L’équivalent de 21 marathons en moins de deux semaines. Un pari fou pour souligner les difficultés du monde culturel durant cette pandémie.
Le violoncelliste Gauthier Herrmann
Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« Génial! Bravo! » Le comité d’accueil était petit, mais enthousiaste. C’est en boitant légèrement que le violoncelliste Gauthier Herrmann a terminé la 9e des 13 étapes de sa longue course à travers une France de nouveau confinée.
Ça s’est bien passé
, laisse-t-il tomber à la dizaine de personnes réunies devant la cathédrale de Valence. 56 km dans la douceur
, explique-t-il encore un peu essoufflé... et une énorme aide à ma droite!
Le musicien désigne du doigt un partenaire de course qui l’a accompagné dans les 20 derniers kilomètres et qui, visiblement, semble moins éprouvé.
Je n’ai pas fait autant de kilomètres
que les quatre coureurs réguliers de ce périple, explique Alexandre Guy, amateur de courses d'endurance. C’est énorme de pouvoir faire 60-70 kilomètres tous les jours. Le matin, il faut se lever à 7 h, on a des crampes partout. On a mal...
Je ne suis pas un bon sportif
, admet Gauthier Herrmann. Pour moi, l’important, c’est de partir d’un point A, aller jusqu’au point B en restant debout sur mes deux jambes, avec le sourire.
Et le sourire, celui qui est musicien et producteur de spectacles le possède encore en cette fin de journée printanière. Cette course a beau être très difficile, elle semble pourtant lui donner des ailes.
« Je ne fais pas ça pour le plaisir. Mon corps est très affaibli, très martyrisé. C’est ma grève de la faim à moi. C’est une révolte positive. Une façon de pouvoir interpeller les gens. »
Le message est tout simple : la réouverture des salles de concert ne signalera pas la fin des ennuis pour le monde du spectacle français. Au contraire. C'est là que la catastrophe va commencer
, croit Gauthier Herrmann.
La catastrophe
, c’est ce qui pourrait se produire une fois que la France cessera de financer les artistes sans pièce à jouer, les producteurs sans spectacle à peaufiner, les intermittents sans décor à bâtir.
C’est là que ça va devenir compliqué. Il faut l’anticiper
cette catastrophe. Le sens de cette course à pied, c’est justement d’avoir un éveil du public
, dit-il, une prise de conscience des besoins du monde du spectacle.
Se dire enfin, on revit!
Tout le périple est bâti autour de cette idée : que le public français participe, reprenne goût à la rencontre de l’autre, à l’échange. Le genre d’interactions si fréquentes en marge des spectacles vivants, qui n’ont plus lieu depuis des mois maintenant.
C’est pour ça que cette course à travers la France est aussi un périple culturel. Ce soir, à Valence, des spectateurs ont été discrètement conviés à la cathédrale. Peut-être une trentaine. Des amateurs de musique classique, des amis, de la parenté.
Ce n’est pas un concert, explique le père Guillaume Tessier, c’est un moment musical et spirituel impromptu
. La nuance est importante : les restrictions sanitaires interdisent toujours les spectacles. Aucune publicité n’a été faite. Un risque a été pris.
Nous sommes sensibles au fait que ces artistes n’ont pas pu s’exprimer et partager avec leur public
, explique celui qui est aussi le vicaire général du diocèse. On se dit qu’il y a besoin de toutes les ressources, la culture, la religion, pour aider les hommes à faire face à cette crise.
L’organiste de la cathédrale et une violoniste joueront durant une heure. Un moment musical
très apprécié. Ça remue, c’est extraordinaire
, explique un homme qui ne trouve pas les mots justes pour décrire ses émotions.
Un ami lui vient en aide : Ça nous re-gonfle, c’est comme de l’air dans nos poumons. Ça y est! On revit! Enfin, on revit!
après des mois de privations.
Gauthier Herrmann lui aussi a apprécié la pause musicale. Et pas seulement parce qu’elle lui a permis de se reposer un peu dans la fraîcheur de l’église.
Le musicien a aussi noté avec bonheur comment des inconnus ont échangé après le concert et sont restés après la fin, malgré l’heure du couvre-feu dépassée.
On est tous affamés, tous assoiffés de musique vivante
, lance une dame, aussi chanteuse. Et le risque d’une amende en circulant après l’heure permise? Tant pis si on se fait coiffer en rentrant; il y a des priorités dans la vie!
Le carburant pour terminer la course
Comme une troupe itinérante, Gauthier Herrmann et son équipe (chargée de la logistique, des repas, de l’assistance d’urgence et des communications) doivent rapidement reprendre la route.
Le lendemain matin, Valence semblait encore endormie lorsque la bande s’est retrouvée devant la cathédrale. Le violoncelliste ne boite plus, les blagues fusent. On prend une dernière photo avant le départ.
Deux hommes se joignent au groupe. Un coureur et un cycliste. Des sportifs de la région qui veulent épauler le projet à leur manière. Trop bien!
, s’exclame le musicien. Génial! Merci beaucoup! Merci.
Ce genre d’appuis est fréquent, assure-t-on. Et il est apprécié. Souvent, le matin, c’est un peu plus dur
, admet Gauthier Herrmann, prêt à s’élancer.
Allez, zou!
Le signal est subtil et soudain. Toute une troupe se met en branle. Elle doit d’abord quitter le centre-ville de Valence avant de gagner un parc et des chemins de campagne.
Des paires de coureurs se forment, le rythme est assez lent pour partager quelques réflexions. Notamment sur les difficultés à entrevoir la fin des restrictions bloquant tout le monde du spectacle.
C’est ce qui décourage le violoncelliste ces jours-ci. On ne parle plus de reports [de spectacles], on parle d’annulations. Ce sont autant de spectacles qu’on aurait dû monter et qui ne le seront pas.
De ce périple de 900 kilomètres, Gauthier Herrmann retiendra d’abord pas mal de courbatures et des petits bobos
, blague-t-il. Plus sérieusement, il convient que cette course lui a redonné un sentiment de légèreté qu’il avait perdu avec l’arrivée de la COVID-19.
« Ça fait tellement de bien de pouvoir bouger. C’est un sentiment de liberté qui est exceptionnel. Exceptionnel! »
Ces heures à courir, ce sont des heures sans discussion sur les masques, les vaccins ou les variants.
Des heures de réflexions qui mènent à une conclusion : Il faut que tout le monde réussisse à passer à autre chose. Il faut se calmer, voir plus loin
, explique Gauthier Herrmann.
Il souhaite que d’autres aussi l’aident à réfléchir à comment relancer ces différentes machines
qui apportent de la joie à l’humain.