Louis Robert lance une nouvelle alerte contre le ministère de l'Agriculture
Dans un livre, le fonctionnaire reproche à son employeur d'être encore à genoux devant les lobbys et l'UPA.

Louis Robert affirme avoir subi des pressions après la rédaction de son livre.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'industrie est toujours « aux commandes » de l'agriculture québécoise, regrette l'agronome Louis Robert. Dans le livre Pour le bien de la terre, qui sort aujourd'hui en librairie, il dénonce la « mollesse » du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ).
L’ingérence
des compagnies de pesticides et d'engrais dans la recherche publique ne semble pas vouloir cesser, regrette le fonctionnaire, qui accuse les autorités d’entretenir le statu quo
.
« Les gestionnaires et hauts fonctionnaires du MAPAQ peuvent être vus comme des bergers laissant les portes de la bergerie grandes ouvertes. »
Les mots écrits par l'agronome sont durs à l'égard de son employeur : « complaisance », « propagande », « opacité », « servilité »...
En entrevue à Radio-Canada, Louis Robert affirme ne pas vouloir régler des comptes, mais plutôt poser « un diagnostic », comme le fait un agronome qui conseille un agriculteur.
« Ce n’est pas tant que les lobbys sont puissants, c’est la vigilance de nos institutions qui fait défaut, c’est la mollesse des administrateurs qui négligent leurs responsabilités au profit de ces groupes d’intérêts qui nous mettent dans une telle situation. »
Ils ne sont plus puissants que parce que nous sommes à genoux
, écrit-il, en s'inspirant de l'écrivain Étienne de la Boétie.
Des fonctionnaires trop « dociles »
Louis Robert ne ménage pas ses collègues du ministère, à qui il reproche d'éviter certains sujets, comme la mainmise de l'industrie sur la recherche, par crainte de subir le même sort que lui.
Toute remise en question ou discussion, même lors de réunions internes, sont devenues hors propos et même suspectes
, écrit-il.
« Par crainte de représailles, par docilité traditionnelle, des fonctionnaires poussent le devoir de loyauté jusqu’à taire des enjeux qui sont énormément nocifs pour la santé publique et pour l’environnement. »
Louis Robert donne l'exemple du phosphore, que les agronomes des compagnies d'engrais prescrivent en grande quantité aux agriculteurs en échange de promesses de rendement.
Données à l'appui, il explique que les quantités recommandées au Québec sont trois fois supérieures à l'Ontario et six fois plus élevées que dans certains États américains.
Or, au Québec, les représentants de l'industrie siègent et votent au comité chargé des recommandations d'engrais. On ne retrouve ça nulle part ailleurs en Amérique du Nord, affirme M. Robert.
L'affaire Louis Robert, en bref
L'agronome, qui a 34 ans d’expérience au MAPAQ, avait dénoncé l’ingérence du privé dans la recherche publique sur les pesticides. En janvier 2019, il a été congédié pour avoir transmis à Radio-Canada des documents confidentiels.
Dans son rapport sur cette affaire, la Protectrice du citoyen avait sévèrement blâmé le ministère de l’Agriculture pour ne pas avoir respecté la loi et pour ne pas avoir protégé l’identité du divulgateur. C’est parce qu’il avait perdu confiance dans son employeur que Louis Robert s’était tourné vers les médias.
À la suite de la publication de ces conclusions, le 13 juin, le premier ministre du Québec François Legault avait présenté des excuses au lanceur d’alerte, au nom de l’État québécois, et annoncé sa réintégration avec compensation.
Des pressions subies encore aujourd'hui
En entrevue à Radio-Canada, Louis Robert affirme avoir subi des pressions de différents groupes très récemment
, après la rédaction du livre
, pour le faire taire.
Dans le livre, il relate plusieurs épisodes de sa carrière lors desquels il a eu le sentiment d'être muselé par ses supérieurs, à la suite de plaintes de lobbys qui voulaient court-circuiter
son travail.
Il raconte un événement survenu en 2009, alors qu'il devait prononcer une conférence au congrès annuel de l’Association québécoise de spécialistes en sciences du sol.
Des compagnies d’engrais s’inquiétaient du contenu de sa présentation à venir alors qu'il devait partager des solutions pour réduire l’usage du phosphore.
« Quinze minutes avant que je débute ma présentation, mon patron m’a sommé de me désister, sans quoi je serais muté dans un bureau éloigné du ministère (Grandes-Bergeronnes, sur la Côte-Nord) et affecté à des tâches administratives. »
Louis Robert compare les différents paliers de gestionnaires du MAPAQ à un clapet anti-retour
, alors qu'ils s’assurent de faire descendre les directives vers le bas de la hiérarchie, mais ne font pas remonter les problèmes.
5 choses qui ont changé (en partie) depuis l’affaire Louis Robert
- Les agronomes employés de l’industrie des pesticides ont toujours le droit de prescrire leurs propres produits aux agriculteurs, mais, depuis le 1er avril 2021, ils doivent déclarer leur intérêt;
- Les agronomes ont l’obligation de dévoiler leur mode de rémunération, qui ne doit pas être incitatif à vendre plus de produits (exemple : boni, ristournes…);
- Les représentants de l’industrie sont toujours présents au conseil d’administration du Centre de recherche sur les grains (CEROM), mais ne sont plus majoritaires;
- Le sous-ministre du MAPAQ Marc Dion a remis sa démission le jour de la publication du rapport de la Protectrice du citoyen;
- Les pesticides « tueurs d'abeilles » doivent obligatoirement être prescrits par un agronome et leur utilisation, justifiée. Mais l'industrie s'est déjà tournée vers des produits de remplacement tout aussi nocifs, mais pas soumis à la même réglementation.
La toute-puissance de l'UPA dénoncée
Le fonctionnaire regrette que les autorités aient, consciemment ou non, délégué et abandonné une partie significative de leurs responsabilités
.
Louis Robert écrit que l'Union des producteurs agricoles (UPA), monopole syndical, ne doit pas être le décideur, le maître d'œuvre de l’agriculture du Québec de demain
.
« Pour le ministère, les positions de l’UPA sont souvent considérées de facto comme des désirs légitimes, et sont d’emblée reçues comme ce qui doit être accompli pour le développement de l’agriculture. »
En principe, le rôle de maître d'oeuvre revient au MAPAQ, d'autant plus que le ministère dispose des ressources et des professionnels nécessaires, rappelle Louis Robert.
Mais la direction du ministère ne les écoute pas, ne les consulte pas
, regrette-t-il, ajoutant que les responsabilités du gouvernement en recherche sont elles aussi déléguées.
« Nous [...] avons laissé les intérêts corporatistes (l’UPA et les commerçants de pesticides) s’ingérer, interférer avec nos efforts à toutes les étapes de la diffusion de l’information, dans chacun des maillons de la chaîne de transfert de connaissances. »
Il réclame la mise sous tutelle de l'Ordre des agronomes
Louis Robert est encore plus dur à l'égard de l'Ordre des agronomes du Québec (OAQ), dont il est membre. Il l'accuse d'être une association de renards
, entrée dans la bergerie
.
Selon lui, l'OAQ est contrôlé par les agronomes du privé et il échoue lamentablement dans sa mission première, la défense de l’intérêt public
.
L'Ordre refuse d'interdire à un agronome qui conseille des agriculteurs dans l’utilisation de pesticides ou d’engrais d’être rémunéré par une entreprise engagée dans la fabrication, la distribution ou la vente de ces produits.
Au Québec, la majorité des agronomes spécialisés dans les pesticides sont dans cette situation.
Il affirme que cette négligence complice
a contribué à la dégradation de l’environnement et de la santé humaine.
« Peut-être la seule issue réside-t-elle maintenant dans la mise sous tutelle de l’OAQ. »
En 2019, Louis Robert avait échoué de peu à se faire élire à la présidence de l'Ordre. Il avait perdu avec 49,6 % des voix.
Depuis le 31 mars 2021, l’OAQ a nommé une nouvelle présidente. L’agronome Martine Giguère a été durant 10 ans journaliste pour La Terre de chez nous. Louis Robert reproche à ce journal, organe de l’UPA, d’être membre associé de l’Association professionnelle en nutrition des cultures (APNC), un groupe de pression.
L’Ordre des agronomes tient à préciser que Martine Giguère n’a jamais eu de lien d’emploi avec l’APNC.
Dans un communiqué publié vendredi, l’OAQ réaffirme l’importance qu’il attache à l’indépendance professionnelle.
Députés, agriculteurs et consommateurs ne sont pas épargnés
La commission parlementaire sur les pesticides, tenue dans la foulée de l'affaire Louis Robert, a accouché d'un rapport insipide
aux yeux de l'agronome.
J’ai eu des doutes sur l'honnêteté de la démarche
, écrit Louis Robert, critiquant au passage certains députés néophytes en matière d’agriculture
.
Le fonctionnaire se désole que, durant les travaux de la commission parlementaire, la Coop fédérée [aujourd'hui nommée Sollio Groupe Coopératif], principal vendeur de pesticides au Québec et principal employeur d'agronomes, a mené des activités de lobbyisme en ciblant quatre députés membres de la commission.
Louis Robert rappelle que des solutions de remplacement aux pesticides et engrais existent, issues de nombreuses recherches appliquées, mais que les agronomes employés du ministère sont trop peu nombreux pour transférer largement ces connaissances sur le terrain.
« Je ne suis pas prêt à blanchir totalement les producteurs agricoles, ils devraient démontrer un sens critique plus aigu vis-à-vis du discours des conseillers et des représentants commerciaux. »
En conclusion de son livre, le lanceur d'alerte dénonce un paradoxe
. Il regrette que le grand public, si avide de recettes et d'émissions de cuisine, soit dans le même temps si indifférent devant les enjeux agricoles
.
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