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Université au bord de la faillite : le français écope encore en Ontario

L'Université Laurentienne coupe plus de soixante programmes et des dizaines de postes de professeurs.

Une affiche du campus.

Le campus de l'Université Laurentienne, un établissement bilingue du Nord de l'Ontario

Photo : Radio-Canada / Yvon Theriault

Plus du tiers des programmes de l'Université Laurentienne vont disparaître, a appris Radio-Canada. Les professeurs, surtout localisés à Sudbury, dans le Nord de l'Ontario, doivent recevoir leur lettre de licenciement aujourd'hui.

Les cours en français seraient touchés dans une proportion importante et de nombreux étudiants se demandent s’ils pourront finir leur cursus.

L’angoisse est palpable dans la communauté depuis des semaines, car l’Université mène un processus de restructuration pour combler un trou de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Le 1er février, l’institution s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, une première au Canada pour un établissement postsecondaire de cette ampleur.

Le couperet est tombé le 6 avril, lors d’une réunion des sénateurs de la Laurentienne tenue à huis clos. Une liste de plus de soixante programmes à éliminer a été approuvée, selon trois sources présentes dans la salle.

Crise à l'Université Laurentienne

Consulter le dossier complet

Blason bleu et jaune.

C'était comme avoir un fusil sur la tempe, avec l'option d'approuver la restructuration ou d'avoir de pires conséquences, soutient un des sénateurs que Radio-Canada a accepté de ne pas nommer, car il est soumis à la confidentialité du huis clos.

Ça va secouer le monde universitaire et créer un précédent.

Une citation de Un autre sénateur de l'Université Laurentienne présent à la réunion à huis clos

Je suis choquée, c’est horrible, un désastre, réagit la présidente de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), Brenda Austin-Smith, informée par Radio-Canada.

Un coup dur pour les francophones

L'Université Laurentienne

L'Université Laurentienne accueille 5879 étudiants à temps plein dans des programmes en anglais et 1345 dans des programmes en français.

Photo : Radio-Canada / Yvon Theriault

Selon nos informations, les programmes francophones ont été particulièrement ciblés, car ils comptent moins d’étudiants et coûtent donc plus cher à maintenir.

On est en train de dire aux francophones : comme vous êtes minoritaires, vous coûtez trop cher, alors vous n’avez pas le droit de vous éduquer en français, indique un des sénateurs qui se sont confiés à Radio-Canada.

On a travaillé tellement fort et longtemps pour avoir ces programmes [en français]. Je pense à l’orthophonie, je pense aux sciences politiques, explique la députée néo-démocrate provinciale de Nickel Belt, France Gélinas.

Notre seule opportunité d’aller à l’université en français, c’est au travers de la Laurentienne, rappelle-t-elle. Sinon, il faut déménager à Ottawa, à Toronto, au Québec...

On ne peut pas laisser faire ça. Je vous garantis que les francophones, on va remonter aux barricades!

Une citation de France Gélinas, députée NPD provinciale de Nickel Belt

L’élue pense que la résistance devra être aussi importante qu’en 2018, lorsque les Franco-Ontariens se sont levés contre les compressions dans les services en français par le gouvernement de Doug Ford. Elle fait même le parallèle avec la bataille pour sauver l’hôpital Montfort en 1997.

L'Université Laurentienne est un des piliers des institutions franco-ontariennes. C'est sur son campus qu'est né le drapeau vert et blanc de la communauté.

Le drapeau franco-ontarien

Le drapeau franco-ontarien a été créé sur le campus de L'Université Laurentienne.

Photo : Radio-Canada

Dans le Nord-Est de l’Ontario, le quart de la population est francophone, soit près de 120 000 personnes.

Impact économique et social

La perte de dizaines d’emplois de professeurs bien rémunérés aura des conséquences sur la vitalité de la francophonie dans le Nord, mais aussi sur l’économie locale, déclare la députée néo-démocrate provinciale de Nickel-Belt, France Gélinas.

Elle rappelle que de nombreux professeurs d'université consomment de la culture locale et participent à des conseils d'administration d'organismes.

Une rue du centre-ville de Sudbury. Les voitures sont en mouvement. Au loin, le château d'eau de Sudbury.

Sudbury est le moteur économique du Nord de l'Ontario

Photo : Radio-Canada / Yvon Thériault

L’université bilingue emploie plus de 1000 personnes, dont 361 professeurs à temps plein et 280 chargés de cours. Elle offre des cours à 5879 étudiants à temps plein dans des programmes en anglais et à 1345 autres dans des programmes en français.

La Laurentienne propose aussi des programmes d’études autochtones et dessert des étudiants des Premières Nations du Nord.

L’Université offre par ailleurs une éducation à de nombreux étudiants dont les revenus ne leur permettent pas l'accès aux universités des grands centres urbains, loin de chez eux.

Une université « insolvable »

L’Université Laurentienne, qui s’est déclarée « insolvable », reste muette depuis le début du processus de restructuration. Sur son site web, on peut toutefois lire que cette procédure est le meilleur moyen de restructurer la gestion financière et opérationnelle de l’Université.

Le but premier de la procédure [...] est de garantir aux étudiants actuels et à venir la possibilité de continuer à avoir accès à un enseignement postsecondaire de qualité supérieure.

Une citation de Université Laurentienne, sur son site web

L’ampleur du déficit n’a jamais été rendue publique avec précision, mais selon un rapport préliminaire du conseiller spécial du gouvernement, la Laurentienne a demandé à la province 100 millions de dollars, suggérant qu'elle en dépense la moitié pour financer les activités en cours et l'autre moitié pour des indemnités de licenciement et de cessation d'emploi.

Selon l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, les difficultés financières ne proviennent pas d’une baisse d’inscriptions, puisqu’elles sont stables, ni du salaire des professeurs, dont le nombre a baissé depuis 10 ans.

De mauvaises décisions relatives à la modernisation du campus se sont soldées par des hypothèques énormes sur des bâtiments à moitié vides, dit Brenda Austin-Smith, présidente de l’ACPPU. Des administrateurs devront être tenus responsables de leur manque de transparence et de leurs bévues financières.

Ottawa surveille la situation

Mélanie Joly prend la parole, debout, en Chambre.

La ministre fédérale du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Selon nos informations, la ministre responsable des Langues officielles Mélanie Joly suit la situation de près et s'en inquiète.

Les établissements d’éducation postsecondaire sont au cœur des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces lieux de rassemblements sont essentiels à la survie de nombreuses communautés partout au pays.

Une citation de Catherine Mounier-Desrochers, attachée de presse de la ministre Mélanie Joly

Le gouvernement fédéral n’écarte pas la possibilité d’offrir de l’aide financière, mais aucune demande n’est encore parvenue ni de l’Université ni de la province, responsable de la gestion de l'éducation.

La province et la Laurentienne devraient demander de l’aide, estime Brenda Austin-Smith. L’Ontario accorde le plus bas financement par étudiant des universités de tout le Canada, déplore-t-elle, tout en critiquant l’insuffisance du soutien financier venant du fédéral.

En 2019, le gouvernement ontarien de Doug Ford a réduit le financement des universités de 360 millions de dollars en réduisant les droits de scolarité de 10 %, puis en les gelant jusqu’à 2021.

Que la Laurentienne nous serve de mise en garde. Des décennies de sous-financement public de l’éducation ont miné la stabilité financière des universités et collèges du Canada.

Une citation de Brenda Austin-Smith, présidente de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université

C’est un enjeu plus grand que Sudbury et l’Université Laurentienne. Ça peut arriver n’importe où, a écrit sur Twitter une étudiante de science politique de l’établissement, Katlyn Kotila.

Le recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ouvre la voie à d’autres universités dans une situation similaire, selon Gilles Levasseur, professeur de gestion et de droit de l’Université d’Ottawa.

C’est ça le danger : aller tout de suite vers cette démarche-là, car elle va donner des résultats rapides, plutôt que de prendre le temps de faire un plan stratégique, de revoir, et de gérer la crise à long terme, s’inquiète-t-il.

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