Comment la solitude affecte le cerveau
Des recherches scientifiques démontrent que l’isolement prolongé peut avoir des conséquences néfastes sur le cerveau.

Une scène de rue à Montréal immortalisée par le photographe Jacob Mahfoud.
Photo : Jacob Mahfoud
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Avec les mesures de confinement, de quarantaine et de distanciation sociale, des millions de gens se sont retrouvés entièrement privés de contacts sociaux, une situation qui a des effets tangibles sur notre cerveau.
Comme bien des gens, Jacob Mahfoud a très peu de contacts sociaux depuis un an. Habitant seul et en télétravail, il passe le plus clair de son temps sans voir personne.
Pour s’occuper, ce photographe amateur s’est mis à photographier la vie dans les rues de la ville. Je me suis mis à parcourir les rues de Montréal pour prendre des photos de gens qui étaient seuls, dit-il. En voyant ces gens-là seuls dans la rue, ça me rappelait moi-même.
« C'était la chose la plus dure. Se sentir isolé et juste impuissant et incapable de faire quoi que ce soit par rapport à la situation. »
La souffrance liée à l’isolement n’est pas qu’émotionnelle. Elle laisse des traces tangibles sur notre cerveau, comme l’ont constaté certains chercheurs.
Un appétit de contact social
La chercheuse en neurosciences Livia Tomova, de l’Université de Cambridge, a constaté que le besoin de contact social est presque aussi vital que celui de manger. (Nouvelle fenêtre)Les gens qui vivent de la solitude chronique tendent à avoir plus de problèmes de santé physique et mentale, explique-t-elle. Ils souffrent plus d'hypertension, et ils ont même un taux de mortalité plus élevé. Ça suggère que d’être avec les autres est nécessaire à notre survie.
Dans le cadre de ses recherches, elle a observé le cerveau de participants dans deux situations différentes. Dans le premier cas, les participants passaient 10 heures sans contact humain, puis la chercheuse observait leur cerveau par imagerie par résonance magnétique pendant qu’ils regardaient des images de leur activité sociale favorite. Puis lors d’une autre séance, ils passaient 10 heures dans le laboratoire sans manger, puis leur cerveau était scanné pendant qu’ils observaient des photos de leurs plats favoris.
Bien que l’activation du cerveau n’était pas identique dans les deux situations, elle présentait des similarités. La chercheuse a observé un point en commun important : dans les deux cas, une zone appelée la substantia nigra – ou substance noire – était particulièrement active.
Cette zone est une des principales sources de dopamine dans notre cerveau. Ce neurotransmetteur nous motive à assouvir nos besoins, dans ce cas-ci, soit de manger, soit d’avoir des contacts sociaux.
[La substantia nigra] est le centre du système de motivation, explique la professeure Tomova. Cette région du cerveau répond de façon similaire au jeûne et à l’isolement. Donc, il semble que de passer même 10 heures sans contact avec les autres a le même effet sur notre cerveau que si nous avions été à jeun pendant 10 heures.
« Cela nous dit que la faim et la solitude partagent une signature neuronale similaire dans le cerveau. »
Après des mois de pandémie, Jacob Mahfoud a particulièrement ressenti cet appétit
pour des contacts sociaux. Avant, je ne disais rien aux gens que je ne connaissais pas dans la rue. Mais là, on a l'impression qu'il y a toujours un réflexe d'aller vers l'autre, d'ouvrir une petite discussion, même avec des gens que je ne connais pas
, confie-t-il.
Se tourner vers soi-même
Lorsqu’on ne peut assouvir son besoin de contact social, notre cerveau a un mécanisme de compensation : celui de se tourner vers ses propres souvenirs de contacts passés ou encore de s’imaginer des contacts futurs. C’est ce qu’a observé (Nouvelle fenêtre) le chercheur de l’Institut-hôpital neurologique de Montréal Nathan Spreng.
Il a étudié les examens d'imagerie par résonance magnétique de 40 000 personnes à partir d’une base de données biologiques appelée UK BioBank (Nouvelle fenêtre). Dans cette base de données, le chercheur disposait aussi d’informations sur le niveau de solitude ressenti par les participants.
Il a constaté que les participants qui ressentent de l’isolement ont un réseau par défaut plus actif. Ce réseau comprend les zones de notre cerveau qui sont actives lorsqu’on laisse nos pensées vagabonder. Le réseau par défaut est très impliqué dans la mémoire autobiographique et dans l’imagination
, explique le professeur Spreng.
« Les pensées des gens seuls se tournent vers le monde social dont ils sont privés. À force de se remémorer des contacts sociaux, cela renforce le réseau par défaut de leur cerveau. »
Jacob Mahfoud a particulièrement ressenti cet effet dans les derniers mois. C'est comme si je faisais un voyage constant dans le passé. On dirait que l'effort que mon cerveau faisait pour reconstruire les souvenirs, spécialement des souvenirs d'enfance, était énorme
, raconte-t-il.
Chez les gens seuls, les connexions dans le réseau par défaut deviennent plus solides, et les neurones, qui composent la matière grise, sont plus nombreux. Cela peut toutefois avoir un effet négatif à long terme. Il y a alors un risque pour les personnes âgées de développer de l’alzheimer, car la maladie peut se propager plus rapidement à travers ce réseau
, explique Nathan Spreng.
Le chercheur croit que, pour la majorité des gens, leur cerveau pourra revenir à la normale une fois la pandémie terminée. Toutefois, les personnes âgées sont moins flexibles et, chez ces populations, on risque de ne pas voir ce retour à la normale
, nuance-t-il.
Comment compenser la solitude
En attendant que les contacts sociaux puissent reprendre comme avant, les chercheurs croient que les contacts virtuels peuvent aider à préserver notre santé cérébrale. Les interactions à travers les médias sociaux, comme le clavardage ou le partage de photos, peuvent améliorer le bien-être des gens
, conseille la chercheuse Livia Tomova.
Nathan Spreng, de son côté, insiste sur les bienfaits des contacts par vidéo. Une des choses les plus efficaces que l’on peut faire en ce moment est la vidéoconférence, dit-il. Il se passe quelque chose de spécial lorsque l’on voit des visages humains. Cela nous permet de nous sentir connectés d’une façon particulière.
Pour sa part, Jacob Mahfoud compte continuer à immortaliser son quotidien en temps de pandémie, afin de surmonter son sentiment de solitude. C'est important de documenter ce qu'on vit, dit-il. Ça fait ressortir cette résilience et ça nous prouve qu'on est capable de s'adapter à n'importe quelle situation, même si elle n’est extrêmement pas naturelle pour un être extrêmement sociable, qui a besoin de socialiser.
Le reportage de Bouchra Ouatik et Christine Campestre sera diffusé dimanche à 18 h 30, à l'émission Découverte, sur ICI Radio-Canada Télé.