Début de la troisième vague : a-t-on ignoré les signes avant-coureurs?
« Ce ne sont pas les gens qui causent la troisième vague. Elle a été causée par des décisions politiques. » Dr Isaac Bogoch

La troisième vague aurait pu être évitéee si les provinces n'avaient pas assouplies leurs mesures sanitaires, estiment plusieurs experts.
Photo : La Presse canadienne / Lars Hagberg
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le nombre de cas de COVID-19 augmente de nouveau rapidement à travers le Canada et les provinces commencent à ajouter des restrictions. Des experts estiment qu’elles auraient dû agir plus tôt, puisque tous les signes et les données pointaient vers une troisième vague, plus importante que la deuxième, et cela, depuis plusieurs semaines.
« Nous avons vu très tôt les signes [d’une troisième vague]. Et ce n’est pas une analyse a posteriori. Depuis des semaines, les données indiquaient que c’était prévisible », dit le Dr Isaac Bogoch.
Selon ce spécialiste des maladies infectieuses de l'Hôpital général de Toronto, les autorités auraient pu prévenir ou du moins atténuer le début de la troisième vague si elles avaient agi au moment où les cas commençaient à augmenter, plutôt qu'une fois le feu pris.
Nous sommes maintenant au point où il faut utiliser des moyens très durs pour essayer de contrôler la propagation.
Le Dr Bogoch ne comprend pas pourquoi on a pu récemment relâcher certaines mesures, comme l’ouverture des restaurants à Toronto et des gyms dans certaines régions au Québec. On permettait plus de rassemblements et d’activités à l’intérieur, alors qu’on voyait les cas augmenter.
Marie-France Raynault, cheffe du département de santé publique et médecine préventive du CHUM, croit pour sa part que les autorités ont été prises de court par le fait que les flambées se sont d’abord produites en région. La situation a changé dramatiquement en deux semaines. Certaines régions sont très tranquilles, donc il aurait été difficile de resserrer les mesures de façon préventive pour ces régions
, dit la Dre Raynault, qui ajoute que les gouvernements savent mieux réagir à la dernière minute qu’au début de la pandémie.
Ça nous permet de tougher un peu plus avant de tout fermer ou de faire du délestage
, dit-elle, en précisant que les gouvernements doivent jongler non seulement avec les données épidémiologiques, mais aussi avec les questions économiques et de santé mentale.
Par contre, selon Nathalie Grandvaux, directrice du Laboratoire de recherche sur la réponse de l'hôte aux infections virales au Centre de recherche du CHUM, les gouvernements ont pris un risque en assouplissant certaines mesures, ce que le premier François Legault a admis mardi, en conférence de presse.
Mais le Dr Bogoch est catégorique : les signes étaient là et le pari risqué des politiciens a contribué à l’émergence de cette troisième vague.
Il faut arrêter de dire que la troisième vague est causée par les gens qui ne respectent pas les règles. Ce ne sont pas eux qui causent la troisième vague. Elle a été causée par des décisions politiques.
Une explosion de cas partout au pays
En janvier, des experts prédisaient que le Canada pourrait connaître jusqu’à 9000 nouveaux cas par jour lors d’une troisième vague au printemps.
Leurs prédictions se sont avérées. Depuis une semaine, le nombre de nouveaux cas au pays oscille autour de 7000 et continue d'augmenter chaque jour.
Nombre de nouveaux cas par jour au Canada
De plus, au cours du dernier mois, le nombre de cas pour 100 000 habitants en Alberta a presque quadruplé; en Ontario, il a triplé; et au Québec et en Colombie-Britannique, il a doublé.
Au Canada, il y avait environ 30 000 cas actifs au début de mars. En un mois, ce nombre a doublé; il y a présentement près de 64 000 Canadiens infectés par la COVID-19. Au plus fort de la deuxième vague, ce chiffre atteignait 84 000.
L'Ontario s'apprête à battre son record du nombre de cas actifs depuis le début de la pandémie.
L’accalmie observée entre la deuxième et la troisième vague aura été de courte durée, au Québec, et partout au Canada.
Le Québec semble avoir résisté un peu plus longtemps que les autres provinces. Le nombre de nouvelles infections a recommencé à monter au début de mars en Ontario; au Québec et en Colombie-Britannique, c'est plutôt vers la mi-mars que la courbe a recommencé à monter.
Nos mesures dans les zones rouges sont plus sévères que ce qu’il y avait en Ontario. Là-bas, les gens continuaient de se voir. Les restos étaient ouverts là-bas
, dit la Dre Raynault.
Mais il faut noter qu'exactement deux semaines après avoir permis à certaines régions du Québec de passer en zone orange, le nombre de cas dans la province a commencé à augmenter.
Une transmission accélérée par la multiplication des variants
Depuis maintenant quelques semaines à travers le pays, le taux de reproduction (Rt) dépasse 1, ce qui indique que l’épidémie n’est pas maîtrisée.
Le rythme de transmission partout au Canada est d’au moins 1,1 en ce moment. Sachant cela, même si les choses restent complètement stables, le nombre de cas doublera d’ici un mois
, disait le biostatisticien au Southlake Regional Health Centre en Ontario, Ryan Imgrund, la semaine dernière.
Selon M. Imgrund et le Dr Bogoch, l'augmentation du Rt au cours des trois dernières semaines, même si elle était graduelle, aurait dû être un signal d’alarme.
Ryan Imgrund estime par ailleurs que le rythme de transmission est encore plus élevé dans plusieurs villes canadiennes. Par exemple, en date du 8 avril, le Rt est d'environ 1,4 dans la ville de Québec, 1,25 à Saskatoon, 1,3 à Ottawa et 1,63 dans la région de Guelph.
En Alberta, le Rt est actuellement de plus de 1,2. En Ontario, le Rt a dépassé 1 dès la mi-février et n’a pas cessé d’augmenter depuis.
Cette hausse du rythme de transmission est directement liée à la multiplication des cas liés aux variants. D’ailleurs, l’éclosion dans un gym de Québec, qui est responsable de près de 300 cas directs et indirects, montre à quel point les variants ont changé la donne.
Selon Nathalie Grandvaux, les politiciens ont peut-être sous-estimé l’impact des variants. C’est toujours un équilibre précaire. Je pense qu’au Québec, on avait presque gagné contre le variant britannique si on n’était pas passé en zone orange et jaune
, dit la directrice du Laboratoire de recherche sur la réponse de l'hôte aux infections virales au Centre de recherche du CHUM.
Si on ne peut pas contrôler ces éclosions, on ne peut pas gagner la bataille contre les variants.
Et pourtant, les experts, y compris l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, avaient lancé un cri d’alarme dès le mois de janvier lorsque les premiers cas de variants sont apparus au Canada.
En début d'année, il n’y avait qu’une vingtaine de cas liés à un variant. En date du 7 avril, on recense plus de 17 000 infections au Canada liées à un variant. Nous savions très bien que plus il y aurait de variants, plus l’épidémie serait difficile à contrôler
, dit le Dr Bogoch.
Le variant B.1.1.7 découvert initialement au Royaume-Uni représente actuellement plus de 90 % des 15 000 cas de variants confirmés au pays, mais le variant brésilien (P1) est passé de 460 signalements à 817, rien que la semaine dernière. Et ces chiffres sont probablement encore beaucoup plus élevés, lorsqu'on pense qu'il y a plus de 12 000 cas seulement au Québec au sujet desquels un variant est suspecté et qui font l'objet d'une analyse.
Mme Grandvaux est particulièrement inquiète par le nombre très élevé de cas en Colombie-Britannique liés au variant P1, originaire du Brésil (près de 900 cas). Ce variant serait au moins trois fois plus transmissible, encore plus que le variant B.1.1.7 d’origine britannique.
À la vitesse où s’est propagé le variant britannique en Outaouais et à Québec, j’imagine que si le variant brésilien prend sa place ici, il faudra tout fermer. Si on ne limite pas l’arrivée du variant P1, on n’a pas de chance...
, dit Mme Grandvaux.
Elle croit que les provinces doivent dès lors penser à fermer les frontières entre elles, à l'instar de la bulle atlantique. On est rendu là.
Le taux de positivité augmente rapidement
Le taux de positivité, c’est le pourcentage de tous les tests effectués (certaines provinces calculent plutôt le pourcentage des personnes qui ont été testées) qui sont réellement positifs.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un taux de positivité inférieur à 5 % pendant au moins deux semaines avant de relâcher les restrictions. Un taux de positivité qui dépasse ce seuil dénote une épidémie non maîtrisée.
Au Québec, le taux de positivité était sous la barre des 3 % au début de mars, avant de repartir à la hausse au cours des trois dernières semaines. Il est actuellement de 5 % pour l’ensemble de la province, soit au même niveau qu'avant le début de la deuxième vague. Il est toutefois de 6,6 % dans la Capitale-Nationale et de plus de 18 % en Outaouais.
En Ontario, le taux de positivité a atteint presque 9 % cette semaine, soit le plus haut taux depuis le 5 janvier dernier.
En Alberta, le taux de positivité est d'environ 10 %. Dans la région de North Vancouver, en Colombie-Britannique, il est d'environ 15 %.
Le nombre d’hospitalisations presque à des niveaux records
Récemment, le premier ministre québécois François Legault a dit qu’il ne croyait pas que les hospitalisations augmenteraient significativement, même si le nombre de cas augmentait. Plus de jeunes sont en ce moment infectés et ils sont moins susceptibles d’être hospitalisés
, a dit M. Legault.
Mais il faut préciser que les variants du SRAS-CoV-2 sont de plus en plus dominants partout au pays. Ils accroissent le risque d'hospitalisation et de décès de 60 % chez les personnes infectées - jeunes et moins jeunes -, selon un rapport préparé pour le gouvernement ontarien par les experts du Groupe pour le consensus en matière de modélisation et de conseils scientifiques. Selon leur étude, les 40-60 ans sont particulièrement à risque face à cette nouvelle vague de COVID-19.
Lors de la première vague, un enfant pouvait être infecté, mais ne pas contaminer toute la maisonnée. Maintenant, avec les variants, il contamine toute la famille. Et ce sont les parents qui risquent de se retrouver à l’hôpital.
Déjà, en ce début de troisième vague, le nombre de personnes aux soins intensifs a atteint 510 personnes, un record depuis le début de la pandémie. En fait, cette semaine, les patients COVID comptent pour le quart de tous les patients aux soins intensifs dans la province. Par ailleurs, en Ontario, le nombre de personnes hospitalisées en raison de la COVID-19 a augmenté de 85 % en un mois.
En ce moment, il y a environ 900 personnes aux soins intensifs au Canada. Au plus fort de la deuxième vague, il y a eu 899 Canadiens aux soins intensifs. Près de 3000 personnes sont hospitalisées, soit le même nombre qu’au début de la deuxième vague.
Le 18 mars, le Dr David Fisman lançait un avertissement sur Twitter : Je le prédis : nous finirons en confinement. Ce sera un confinement précipité par une augmentation exponentielle du nombre de jeunes hospitalisés et aux soins intensifs. Nous retarderons le confinement, avec la fausse impression que ça aidera l’économie. Mais cette nouvelle vague et ce nouveau confinement feront encore plus de dommages qu’une fermeture proactive et responsable. C’est pourtant prévisible...
Si les données montraient clairement qu’une troisième vague se formait, pourquoi n’a-t-on pas agi plus tôt avant de voir les hospitalisations exploser? Je vous avoue que je ne comprends pas
, dit le Dr Bogoch.
On n’a pas encore assez vacciné
Mme Grandvaux et le Dr Bogoch croient fermement que la vaccination aidera à aplatir la courbe de cette troisième vague, mais ils rappellent que seulement 2 % des Canadiens ont reçu deux doses et près de 15 % ont reçu leur première dose.
La vaccination ne va pas régler le problème aujourd’hui
, dit Isaac Bogoch. Ça va aider, mais on en a encore pour deux à trois mois.