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Le plan Biden réglera-t-il la question des migrants sans papiers?

Une immense foule marche sur une route.

Les caravanes de migrants originaires du Honduras et du Salvador ont fait la manchette à plusieurs reprises au cours des dernières années.

Photo : afp via getty images / Johan Ordonez

La situation des migrants centraméricains qui se pressent à la frontière des États-Unis et du Mexique devient de plus en plus difficile à gérer pour le gouvernement américain.

L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement démocrate, perçu comme plus tolérant face aux migrants que ne l’était l’administration Trump, semble en avoir poussé plusieurs à tenter leur chance.

Pour tenter d’endiguer ces flots qui mettent à mal les capacités des services frontaliers, le président Biden a proposé un plan prévoyant des investissements de 4 milliards de dollars dans la région d’origine des migrants afin de les retenir chez eux. Est-ce la bonne approche?

Des flux migratoires changeants

Un nombre record de 172 000 personnes ont été appréhendées en mars par les gardes-frontières après être entrées illégalement sur le sol américain. Parmi elles se trouvaient quelque 19 000 mineurs non accompagnés.

Une majorité des migrants arrivés aux États-Unis au cours des derniers mois sont originaires de trois pays d’Amérique centrale : le Guatemala, le Honduras et le Salvador, une région surnommée le triangle du Nord.

Ces flux de migrants sans papiers en provenance du triangle du Nord ne sont pas nouveaux, souligne Daniel Reichman, professeur d’anthropologie à l’Université de Rochester, rappelant que ce mouvement a commencé après l’ouragan Mitch, qui a dévasté l’Amérique centrale en 1998.

Il y a eu des changements dans la composition de la population migrante et dans les nombres, mais la tendance est là depuis les années 90.

Une citation de Daniel Reichman, professeur d’anthropologie à l’Université de Rochester.

On voit de plus en plus de familles et de mineurs non accompagnés parmi les migrants, ce qui pose tout un défi pour les autorités américaines, qui peinent à trouver une réponse adéquate à cette réalité changeante.

Des enfants migrants  marchent près de tentes dans un centre de détention aux États-Unis

Quelque 20 000 mineurs enfants et adolescents sont actuellement détenus par les autorités frontalières américaines.

Photo : Getty Images / RHONA WISE

Lorsqu’il était vice-président de Barack Obama, Joe Biden a été le responsable de l’alliance pour la prospérité, une initiative de 1 milliard de dollars allant dans le même sens et qui avait notamment contribué à la mise en place de mécanismes anticorruption au Guatemala, au Honduras et au Salvador.

Mais, depuis, la situation a encore empiré, créant les conditions pour qu’un nombre record de Centraméricains décident de tenter leur chance aux États-Unis, pense Daniel Reichman.

Malgré l’aide de plusieurs milliards que l'Amérique centrale a reçue au cours de la dernière décennie, les résultats en ce qui concerne la réduction de la migration sont mitigés, estime-t-il.

Un plan ambitieux

Le nouveau président a l’intention d’allouer 4 milliards de dollars américains sur quatre ans aux pays du triangle du Nord pour lutter contre les causes de la migration.

Son plan prévoit notamment d’encourager les investissements privés, d’améliorer la sécurité, d'endiguer la corruption et de mettre l’accent sur le développement économique de la région.

Des criminels du gang de rue MS-13 sont escortés dans une prison à sécurité maximale au Salvador. Les hommes tatoués au visage sont assis en rang.

Si les taux de criminalité ont beaucoup diminué au cours des dernières années, les gangs criminels continuent de sévir dans le triangle du Nord.

Photo : Reuters / Jose Cabezas

Luis Guillermo Solis, directeur intérimaire du Centre pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’Université internationale de la Floride et ancien président du Costa Rica (2014-2018), croit tout de même que le plan peut être porteur de changements. Les États-Unis investissent des sommes considérables dans la région depuis des décennies, mais les sommes que propose le président sont d’une ampleur encore jamais vue en un si court laps de temps, estime-t-il.

Le plan de Biden doublerait le montant de l'aide annuelle, soutient-il. Pour avoir un impact, cependant, encore faut-il que cet argent soit utilisé de la façon adéquate.

M. Solis pense que le projet de travailler non seulement avec les administrations locales, mais aussi d'intégrer la société civile et les organisations du secteur privé devrait donner de meilleurs résultats, tout comme la meilleure répartition des investissements.

Il y aura une analyse plus territoriale des besoins des différents segments de la population, explique-t-il.

Au lieu d’éparpiller les investissements dans tout le pays, l’idée est de regarder d’où partent les migrants et quels sont les besoins spécifiques de ces régions, en ce qui concerne les infrastructures ou les emplois.

Une citation de Luis Guillermo Solis, directeur du Centre pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’Université internationale de la Floride.

Si le plan Biden identifie les enjeux importants, les experts doutent qu’il donne les résultats escomptés. Le principal obstacle auquel il va se heurter ce sont les gouvernements des pays concernés et la résistance de cette classe politique qui, pendant des années, a profité de la corruption et des carences de l’État de droit, estime Lucas Perello, professeur adjoint auxiliaire à la New York University, spécialiste de l’Amérique centrale.

Pour que le plan ait du succès, les gouvernements doivent collaborer; or c’est justement là le problème, que ces mêmes gouvernements ont été impliqués dans des affaires de corruption.

Une citation de Lucas Perello, professeur adjoint auxiliaire à la New York University.
Entourée d'autres manifestants, une femme tient une pancarte qui montre le président du Honduras, Juan Orlando Hernandez, en prison.

À Tegucigalpa, des membres de l'opposition fêtent l'emprisonnent du frère du président du Honduras, Juan Orlando Hernandez, et demandent que ce dernier soit jugé lui aussi et emprisonné pour ses liens avec des narcotrafiquants.

Photo : Getty Images / ORLANDO SIERRA

Au Honduras, le frère du président Juan Orlando Hernandez, Tony Hernandez, a été jugé coupable de trafic de drogue par un tribunal de New York en 2019 et condamné à la prison à vie. Le chef d’État, dont la réélection, en 2017, a été entachée de nombreuses irrégularités et d'allégations de fraude, est également ciblé par les procureurs américains pour ses liens avec le narcotrafic.

Mais il est loin d’être le seul, souligne M. Perello, qui rappelle que le fils et la femme d’un de ses prédécesseurs, Porifirio Lobo, ont respectivement été condamnés pour trafic de drogue et malversations de fonds.

Ce n’est pas un problème qui trouve son origine dans certains individus ou certaines familles, mais il est plutôt transversal et touche toute la classe politique.

Une citation de Lucas Perello, professeur adjoint auxiliaire à la New York University.

Ces problèmes sont également présents, bien que dans une moindre mesure, au Guatemala et au Salvador, qui font surtout face, ces dernières années, à un recul de l’État de droit et à une montée de l'autoritarisme, remarque M. Perello.

Le président du Salvador, Nayib Bukele, s’est fait élire en 2019 grâce à son discours anticorruption, mais sa tendance à outrepasser les institutions, en particulier le pouvoir judiciaire, préoccupe plusieurs observateurs de la région. Dans le classement mondial de l'organisation Freedom House, le Salvador a perdu des points, notamment en raison de l'ingérence de M. Bukele. Reporters sans frontières (RSF) lui reproche également ses attaques à la liberté de presse.

Le président du Salvador s'exprime devant un auditoire.

Les relations du président du Salvador, Nayib Bukele, avec l'administration Biden sont plutôt tendues.

Photo : Reuters / Jose Cabezas

La faiblesse des États inquiète Kevin Casas Zamora, secrétaire général de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), à Stockholm, qui doute que le plan de Joe Biden réussisse à changer grand-chose en quatre ans. L’ampleur des problèmes est bien trop grande pour qu’un programme tel que celui-ci fasse vraiment une différence, pense-t-il.

Dans ces trois pays, les systèmes politiques souffrent d’un manque flagrant de crédibilité, affirme M. Casas Zamora.

Ce sont des États captifs d'intérêts licites et illicites. Ils ne sont pas là pour transformer la société, ils ne sont pas là pour faire ce qu’on suppose que doivent faire les États : fournir des biens et des services publics. Ils sont surtout là pour protéger les intérêts d’une élite rapace.

Ce n’est pas un accident géographique si ces pays sont aussi vulnérables au narcotrafic. Ils le sont parce que leurs institutions judiciaires et policières, les institutions qui doivent faire vivre l’état de droit, ont été démantelées.

Une citation de Kevin Casas Zamora, secrétaire général de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance.

Il serait vital, estime M. Casas Zamora, que les sommes investies par les Américains soient égalées par les États du triangle Nord, qui s’impliqueraient ainsi activement dans le processus.

Le pouvoir du rêve américain... et de la diaspora

Réduire l’immigration sera difficile tant que les États-Unis demeureront attrayants pour les migrants du triangle du Nord, pense Daniel Reichman. Certains travailleurs, qui vivent aux États-Unis sans papiers et ne peuvent donc retourner temporairement dans leur pays, payent pour faire venir leur famille. Que la situation s’améliore dans leur pays d’origine n’y changera rien.

Les causes de la migration sont complexes, souligne le chercheur, qui explique qu'il s'agit parfois de réunification familiale, dans d'autres de migrants économiques ou de demandeurs d'asile, qui fuient la violence et les gangs.

Le fait que les États-Unis soient si proches géographiquement et culturellement et que les gens soient constamment en contact avec leur famille grâce aux médias sociaux et aux téléphones cellulaires fait en sorte que le voyage n'est plus aussi inimaginable qu’il l’était il y a 10 ou 15 ans.

Quand vous avez un pays riche à proximité d'un pays pauvre qui souffre de catastrophes naturelles et d’une instabilité politique, pourquoi les gens n'envisageraient-ils pas de faire le voyage? Cela semble une décision sensée.

Une citation de Daniel Reichman, professeur associé d’anthropologie à l’Université de Rochester.

C’est également l’avis de Lucas Perello, qui estime que les raisons qui poussent les Centraméricains à migrer ne disparaîtront pas de sitôt. Il y a de la pression sur le gouvernement Biden pour qu’il agisse rapidement, mais c'est un processus à moyen et à long terme. La transformation qui doit se faire dans ces trois pays est profonde.

Lutter contre la corruption et promouvoir le développement est un long processus qui prendra plusieurs générations.

Une citation de Lucas Perello, professeur adjoint auxiliaire à la New York University.

Surtout, remarque Kevin Casas Zamora, la solution doit venir des habitants du triangle du Nord eux-mêmes. Les problèmes de la région sont d’une telle ampleur que seuls les Centraméricains peuvent les résoudre, personne d’autre. La solution doit venir de l’intérieur, tout comme dans les années 80, ce sont les Centraméricains qui ont mis fin aux guerres qui ravageaient leurs pays.

Ils doivent assumer le contrôle de leur destinée. Personne d’autre ne peut résoudre les problèmes qui sont à la base de cet exode.

Une citation de Kevin Casas Zamora, secrétaire général de l’International IDEA.

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