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L’Ontario compte 10 fois plus de magasins de cannabis qu’il y a un an

La province est passée d’une cinquantaine de détaillants autorisés à plus de 500. Mais jusqu’où cette croissance peut-elle être soutenue?

Une femme place des sacs sur un comptoir dans une boutique.

Des dizaines de nouvelles boutiques de cannabis ont ouvert dans les dernières semaines, même en pleine pandémie.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Au moment où des restaurants et commerces durement frappés par la pandémie mettent la clé sous la porte, le secteur du cannabis récréatif, lui, est en pleine croissance en Ontario.

Les magasins de marijuana continuent de pousser partout dans la province, parfois même les uns à côté des autres.

En janvier, Lula Fukur a ouvert sa première boutique de cannabis, Cori, rue Queen Ouest, à Toronto. L'aboutissement de trois ans de préparation et de patience.

Quand le cannabis a été légalisé en 2018, on avait projeté ouvrir 4-5 magasins, raconte-t-elle. Mais après, il y a eu la loterie et on n’a pas eu de succès.

Une jeune femme à l'intérieur d'une boutique de cannabis. Derrière elle, des comptoirs et des panneaux numériques.

Lula Fukur est la fondatrice de la boutique de cannabis Cori, à Toronto.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Cannabis : les effets de la légalisation

Consulter le dossier complet

La feuille d'érable du drapeau canadien est remplacée par un plant de cannabis, avec en arrière-plan, l'édifice principal du gouvernement fédéral.

Comme elle, de nombreux entrepreneurs ontariens ont dû mettre leurs projets sur pause après la légalisation. Jusqu’à ce que le gouvernement Ford décide, fin 2019, de supprimer la limite de magasins dans la province et d'abolir du même coup le système de loterie en place pour attribuer les permis aux points de vente.

La Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (CAJO) a alors commencé à délivrer de plus en plus d’autorisations, atteignant une cadence de 30 autorisations par semaine cet hiver.

En rappel : le modèle ontarien

En Ontario, les magasins de cannabis récréatif sont privés.

Pour ouvrir, ils doivent recevoir une autorisation de la Commission des alcools et des jeux de la province.

Par ailleurs, les magasins ne peuvent s’approvisionner qu’auprès d’une seule source : la Société ontarienne du cannabis. Cet organisme d’État est le seul grossiste et l’unique plateforme de vente en ligne autorisée dans la province.

La province est ainsi passée de 53 détaillants autorisés en mars 2020 à 324 à la fin de l’année 2020, selon les rapports trimestriels de la Société ontarienne du cannabis (OCS), pour finalement dépasser le cap des 500 le mois dernier.

À ce rythme, l'Ontario comptera plus de 1000 détaillants d'ici l'automne.

La préférence des consommateurs

Selon Michael Armstrong, professeur associé à l’école de commerce Goodman de l’Université Brock, il était grand temps que l’Ontario rattrape son retard.

Une chose qu’on a apprise rapidement après la légalisation, c’est que les Canadiens préfèrent acheter dans les magasins plutôt qu’en ligne.

Une citation de Michael Armstrong, professeur et observateur de l'industrie du cannabis

Cette tendance ne semble pas s’essouffler : entre octobre et décembre 2020, 88 % des ventes de cannabis récréatif ont eu lieu dans des magasins physiques en Ontario, selon l’OCS.

Une grande affiche rouge, collée dans une vitrine, qui indique qu'un magasin de cannabis sera bientôt ouvert à cet endroit.

Les affiches qui signalent l'ouverture prochaine de nouveaux magasins de cannabis sont nombreuses dans certains quartiers de Toronto.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Daffyd Roderick, directeur des communications et de la responsabilité sociale pour l’organisme d'État, avance plusieurs raisons. Les gens veulent avoir une conversation, de l'information : parce qu’avec autant de produits disponibles, c’est facile d'être dépassé. Surtout pour ceux qui sont simplement curieux.

Et il y a encore un stigmate associé à la consommation de cannabis, poursuit-il. Quand vous achetez en ligne, vous devez donner les informations d’une carte de crédit, et ce ne sont pas tous les consommateurs qui sont à l’aise avec ça.

Michael Armstrong ajoute à cela le fait que le cannabis est un produit expérientiel, que les gens veulent souvent voir et sentir avant d’acheter.

Bientôt assez de magasins?

Mais jusqu'où cette croissance peut-elle aller? Selon Daffyd Roderick, une chose est sûre : il reste du territoire à couvrir. La distance moyenne qui sépare un Ontarien du détaillant de cannabis le plus proche de chez lui est passée de 18,5 km à 9,5 km, observe-t-il, mais les magasins sont encore trop souvent concentrés dans les grandes villes, en particulier à Toronto.

Plus de détaillants, cela permet aussi à la province de gagner plus de terrain face au marché illégal.

Le marché noir, qui représentait 75 % du secteur du cannabis récréatif il y a un an, compte maintenant pour environ 60 %, selon l’OCS. La société évalue que l’Ontario va continuer de faire des progrès, même si elle rappelle que d’autres facteurs – les prix, la disponibilité de certains produits, l’accessibilité – jouent aussi sur la place du marché noir.

Un homme, dans son salon, en vidéoconférence.

Daffyd Roderick est le directeur des communications et de la responsabilité sociale de la Société ontarienne du cannabis.

Photo : Zoom

Pour Michael Armstrong, difficile de prédire un nombre de magasins pour la province. Mais il croit qu'il y a encore place à une expansion.

On peut regarder le modèle du Colorado, aux États-Unis, qui gère des magasins privés depuis 2014 : là, ça s’est stabilisé à environ un magasin par 10 000 habitants. En Ontario, ça voudrait dire près de 1500 magasins.

On peut aussi regarder l’Alberta, qui a un an et demi d’avance sur l’Ontario. Ils sont rapidement montés à 500 magasins. Mais maintenant la croissance a ralenti : on en ajoute encore quelques-uns, d’autres ferment. Donc si on transpose ça en fonction de la population, ça donnerait environ 1700 magasins en Ontario.

Enfin, l’industrie du cannabis a encore du chemin à parcourir pour rattraper celle de l’alcool, évalue le professeur.

En Ontario, près de 670 succursales de la Régie des alcools (LCBO) vendent de l’alcool, mais aussi quelque 200 « comptoirs express » en régions rurales, plus de 360 épiceries et 450 Beer Stores – sans compter les milliers de bars et restaurants et les vignobles et brasseries.

À l'image des autres secteurs

À un certain point, le développement ne peut pas être exponentiel, tranche pour sa part l'avocate torontoise Caryma Sa'd.

Je ne sais pas quand exactement, mais on va voir un plateau. Peut-être que si les gens commencent à perdre de l’argent, que ce n’est plus un investissement qui est perçu comme garanti, on va voir moins d'applications.

Le marché va se réguler. Là où il y a trop de magasins et pas assez de demande, on va certainement voir des magasins qui vont devoir fermer leurs portes.

Une citation de Caryma Sa'd, avocate
Une femme, portant des lunettes, à l'extérieur dans un quartier achalandé de Toronto. En arrière-plan, un tramway passe.

Caryma Sa'd est avocate à Toronto. Le cannabis compte parmi ses champs d'expertise.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Les magasins qui resteront seront donc ceux qui peuvent se démarquer, comme dans n’importe quel secteur de vente au détail, juge Daffyd Roderick. Pour faire une analogie, même si elle est très simplifiée : il ne peut y avoir qu’un nombre limité de cafés dans un quartier.

L’équipe du magasin Cori, elle, croit que cette compétition grandissante force les entrepreneurs à vraiment définir leur identité sur le marché.

On a eu les dernières années pour penser à qui nous voulions être, souligne Kiernan Patenaude, directrice des ventes. Cori, décrit-elle, veut s’imposer comme une boutique de bien-être, pour les clients plutôt novices ou curieux.

Une femme, devant un micro de Radio-Canada, dans une boutique de cannabis.

Kiernan Patenaude est directrice de la vente au détail chez Cori.

Photo : Radio-Canada / Dean Gariepy

Parce que c’est une plante qui peut être utilisée de tellement de différentes façons, c’est bien d’avoir un éventail de détaillants divers. Ça permet aux gens d’explorer ces différentes avenues, dans des conditions différentes

Une citation de Kiernan Patenaude

Ça nous permet d’être plus innovants, renchérit Lula Fukur. Avant, les gens allaient juste dans n’importe quel magasin. Mais maintenant, les gens viennent chez nous parce qu’ils sont en accord avec notre message. C’est vraiment l’expérience qui compte.

L’avenir du modèle ontarien

Mais même si les détaillants apportent chacun leur propre touche, Caryma Sa’d estime qu’il reste difficile pour eux de se distinguer réellement les uns des autres, tant que leurs produits proviennent d’un seul et même grossiste : l’OCS.

Une autre chose à considérer, c'est que l'OCS peut aussi vendre directement aux consommateurs, alors ça ajoute un autre niveau de compétition, rappelle-t-elle.

Les avis divergent sur l'utilité de cette société d’État à plus long terme. Kiernan Patenaude pense que les plus petits magasins, comme Cori, en bénéficient. Pour nous, parce qu’on est une entreprise familiale, avoir un seul grossiste ça met tout le monde sur un pied d’égalité. On a accès à tous les produits, plutôt qu’avoir à établir des liens avec les différents producteurs.

Mais je crois que quand on va commencer à voir de plus en plus de grandes chaînes de magasins, celles-ci vont voir l’OCS comme un obstacle et plus de coûts, conclut Michael Armstrong.

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