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Peut-on se fier aux projections sur la COVID-19?

L’une des premières projections publiées au début de la pandémie avertissait que jusqu’à 2,2 millions d’Américains et 500 000 Britanniques risquaient de mourir de la COVID-19. À ce jour, le nombre de morts est environ le quart de ce qui avait été estimé. Malgré tout, ces projections demeurent utiles, selon des experts.

Howard Njoo et Theresa Tam sont assis derrière une table et regardent leurs notes. Sur un écran, au fond de la salle, sont projetées des données sur la COVID-19 au Canada.

La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, fait le point sur la situation en compagnie de son adjoint, le Dr Howard Njoo.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Si nous ne sommes pas arrivés aux projections de morts les plus pessimistes, c’est parce qu’il y a des interventions pour freiner le SRAS-CoV-2, explique Marc Brisson, professeur d’épidémiologie mathématique et directeur du Groupe de recherche en modélisation mathématique et en économie de la santé liée aux maladies infectieuses à l’Université Laval.

Il y a des gens qui regardent en arrière et disent : "Ah bien, regardez, ce n’est pas arrivé; ils n’avaient pas raison." Mais les gens oublient que le nombre de cas ou de décès est moins élevé que ces prévisions catastrophiques, parce qu’on a imposé des restrictions, on a fermé des pays en entier, ajoute Ryan Imgrund.

Ce biostatisticien au Southlake Regional Health Centre à Newmarket, en Ontario, ajoute que les projections faites par les experts ont justement poussé les gouvernements à intervenir et à éviter les scénarios les plus pessimistes.

Un modèle n’est pas fait pour être exact. Il est là pour faire réagir, dit M. Imgrund. En fait, ça serait terrible si nos prévisions s’avéraient exactes. Ça voudrait dire qu’on n’a rien fait pour l’empêcher. Il n’y a pas un expert qui voulait voir ça.

Les projections sont d’abord et avant tout un excellent outil pour montrer ce qui risque d’arriver si rien n’est fait ou si on retire certaines restrictions, précise-t-il.

Les projections seront exactes seulement si c’est le statu quo. Mais les modèles ne sont pas là pour le statu quo; ils existent pour montrer qu’on doit imposer des restrictions ou pour montrer l’impact d’une réouverture.

Une citation de Ryan Imgrund, biostatisticien

Un degré d’incertitude

Pour produire des projections, les experts doivent tenir compte de nombreux éléments d’incertitude dans leurs calculs, dont la transmissibilité du virus, le nombre de contacts, le rythme de vaccination, l’apparition de variants, etc.

Le virus est un nouveau pathogène; au début, on avait plusieurs hypothèses qui ont depuis évolué. Maintenant, on comprend mieux comment le virus interagit avec l’humain et comment l’humain réagit à cette pandémie, dit le Dr Yoav Keynan, chef de la section des maladies infectieuses de l'Université du Manitoba et directeur scientifique du Centre national de collaboration des maladies infectieuses.

Par exemple, le fait que plusieurs personnes infectées par la COVID-19 soient asymptomatiques a ajouté un degré de complexité à la modélisation.

Par ailleurs, moins les experts ont de données, moins les projections sont fiables, dit M. Keynan. Et c’est pourquoi les premières projections au début de la pandémie n’étaient pas exactes à 100 %.

Mais elles n’étaient pas non plus complètement fausses, rappellent les trois experts.

Les modélisateurs ont rapidement - et continuellement - adapté leurs modèles aux nouvelles connaissances à propos du virus, à l’imposition de restrictions, à l’apparition de variants et à l’arrivée du vaccin. On a complexifié ce modèle, basé sur l'information qu’on avait. Au fur et à mesure que la pandémie avançait, on avait plus de données de la santé publique, on avait plus de données scientifiques, dit Marc Brisson, qui ajoute que les modélisateurs n’auraient jamais imaginé la vitesse à laquelle ils ont dû s'adapter pour fournir des prévisions de façon régulière, selon les aléas de la pandémie.

Puisque les modèles utilisent les données disponibles à un moment précis, les projections à long terme sont plus difficiles à faire, précise Ryan Imgrund.

Si vous me demandez combien il y aura de cas au mois d’août, je ne pourrais pas vous le dire. Je peux estimer combien il y aurait de cas si rien ne change - si le nombre de cas augmente de façon constante ou si le rythme de vaccination est le même qu’aujourd’hui. Mais ce n’est pas la réalité. On va imposer et enlever des restrictions, le rythme de vaccination va changer, on va peut-être tester plus ou moins..., dit-il.

Les prévisions à court terme - une ou deux semaines - sont beaucoup plus précises que des projections de plusieurs mois. Plus on avance dans le temps, moins les projections sont exactes. Beaucoup de choses peuvent changer, dit M. Imgrund.

C’est un peu comme les prévisions météorologiques, dit-il. Si les prévisions météo annoncent cinq jours de mauvais temps, on peut s’attendre avec une grande certitude à avoir de la pluie (peut-être moins, peut-être plus). Pareillement, si on prédit une augmentation de cas, quel que soit le scénario, on doit anticiper une augmentation du nombre d'infections.

D’ailleurs M. Brisson pense que les prochaines semaines seront déterminantes quant à l’évolution de la troisième vague au Canada. Les dernières projections du gouvernement du Canada (Nouvelle fenêtre) (26 mars 2021) estiment que le nombre de cas en avril au pays oscillera entre 3000 et 7000 cas (jusqu’à 12 000 dans les scénarios les plus pessimistes). Mais on précise que des mesures plus strictes feraient en sorte que les scénarios les plus catastrophiques ne deviendront pas réalité.

Par exemple, si le taux de reproduction (Rt) à travers le Canada est d’environ 1,1 en ce moment (signe que le rythme de transmission augmente), ce taux pourrait diminuer d’ici deux semaines si les provinces ajoutent des restrictions et encouragent les gens à réduire leurs contacts, explique M. Imgrund.

De plus, les dernières projections de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) ne prévoient pas de dépassement des capacités hospitalières au cours des deux prochaines semaines, mais on précise que ces projections peuvent être sous-estimées en raison de l’augmentation récente des cas et des variants qui ne s’est pas encore traduite par des hospitalisations.

Cette imprévisibilité ne rend pas les prévisions obsolètes, dit Marc Brisson. C’est pourquoi toutes les projections sérieuses montrent des intervalles d’incertitude et présentent parfois plusieurs scénarios qui évoluent de l’optimisme au réalisme puis au pessimisme.

C’est important de montrer qu'il y a de l'incertitude. Ceci veut dire qu’il y a des choses sur lesquelles on peut travailler pour s'assurer qu'on tombe dans le côté plus optimiste des projections.

Une citation de Marc Brisson, Université Laval
Graphique.

Les projections des experts montrent toujours différents scénarios : ici, on montre l'impact du nombre de nouveaux cas selon l'adhésion aux mesures sanitaires et la présence de variants.

Photo : Agence de santé publique du Canada

Si l’on souhaite avoir un modèle parfait, il faut savoir exactement comment les gouvernements, le public et le virus agiront. Mais la réalité est tout autre…

Il n’y a aucune façon de prédire comment le gouvernement ou le public réagira aux projections et aux restrictions. Si on savait exactement comment tout évoluerait, on n’aurait pas besoin de modèles!, dit M. Brisson.

Pourquoi et pour qui les projections sont-elles utiles?

Le premier ministre montre un tableau avec des barres de différentes hauteurs.

Francois Legault explique un graphique qui montre la répartition des cas selon l'âge.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Marc Brisson insiste pour dire que l'objectif des projections n’est pas de faire peur aux gens. Les experts souhaitent plutôt permettre au public et aux décideurs de mieux comprendre l’état de la situation et de leur donner l'occasion de changer le cours des choses.

Les projections montrent aux politiciens ce qui se passerait sans intervention, ajoute M. Keynan.

Ces projections ont été fort utiles pour aider les gouvernements à prendre des décisions avant que la situation ne devienne incontrôlable. Si on attend que les hospitalisations augmentent, il est déjà trop tard, dit M. Imgrund.

Elles aident aussi à expliquer pourquoi certaines mesures sanitaires sont nécessaires et pour montrer qu'elles ont bel et bien eu un effet sur la courbe des nouvelles infections, dit-il. Quand on ajoute des restrictions, il faut avoir des preuves pour expliquer au public pourquoi.

C’est pourquoi Ian Imgrund pense que les modèles constituent un outil puissant pour convaincre les élus d’intervenir. Si on fait des projections disant qu’il va y avoir 5000 nouveaux cas par jour dans un mois et que rien n’est fait et qu’on arrive à ces chiffres, les élus devront expliquer pourquoi ils n’ont rien fait sachant qu’ils avaient été avertis...

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