Prévention des inondations : changement de philosophie majeur au Québec
La zone d'intervention spéciale pourra être levée graduellement dès les prochains mois.

Photographie aérienne prise lors des inondations du Québec, en 2019.
Photo : Pierre Lahoud
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le Québec est aux portes d'un changement de philosophie majeur en prévention des inondations. Exit les cotes de récurrence 20 ans ou 100 ans; les riverains et les municipalités devront bientôt se familiariser avec un vocabulaire simplifié. Risque faible, moyen, élevé : les nouvelles zones inondables seront progressivement mises en place d'ici 2023, marquant le début de la fin pour la zone d'intervention spéciale.
L'État québécois s'était promis de revoir de fond en comble ses stratégies de protection du territoire contre les inondations, après l'expérience douloureuse de la crue printanière de 2017. Une volonté renforcée par de nouveaux sinistres majeurs survenus en 2019.
En collaboration avec les villes et un comité scientifique, le gouvernement a accouché d'un plan de résilience il y a un an, assorti d'une enveloppe de 480 millions de dollars.
L'une des pièces maîtresses consiste en une refonte de la cartographie des zones inondables, laquelle permettra ensuite de réviser les schémas d'aménagement à la grandeur de la province. Huit organismes municipaux y travaillent méticuleusement, dont les communautés métropolitaines de Québec et de Montréal.

Un drapeau du Québec flotte au vent dans un quartier résidentiel de Saint-André d'Argenteuil, inondé en 2019.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Risque élevé, moyen, faible
À l'heure actuelle, la fiabilité des cartes de zones inondables est variable d'une région à l'autre. À certains endroits, elles n'existent tout simplement pas.
Dans le cadre des travaux en cours pour les réviser ou les créer de toutes pièces, les cartes seront constituées selon une méthodologie similaire partout en province. Leur conception tiendra compte de nouvelles variables introduites à partir de données récoltées sur le terrain.
Pour le commun des mortels, elles adopteront un principe plus simple que les cotes de récurrence 0-20 ans ou 20-100 ans, utilisées depuis le milieu des années 70.
Plutôt que de référer aux probabilités d'être inondé, les nouvelles zones feront plutôt référence à un risque élevé, moyen ou faible de subir, plus ou moins sévèrement, les humeurs de Dame Nature. Le niveau maximal que peut atteindre un cours d'eau sera un élément clé pour déterminer ce risque.

À Sainte-Marie, en Beauce, le niveau d'eau a atteint un niveau critique en 2019.
Photo : Radio-Canada
Le changement majeur, c'est de travailler sur la notion de risque plutôt que la récurrence uniquement. [...] Il y a cette question d'intégrer la profondeur et peut-être, éventuellement, la vitesse des cours d'eau dans certains secteurs
, explique Pascale Biron, géomorphologue et membre du comité scientifique ayant conseillé le gouvernement.
En intégrant de nouveaux critères aux cartes, on souhaite anticiper le risque réel
auquel les riverains sont exposés. Ce n'est pas du tout la même chose avoir 10 centimètres d'eau sur son terrain qu'un mètre et demi
, poursuit Mme Biron. La récurrence continuera d'être prise en considération, mais ne sera plus mise de l'avant.
Confusion
Selon cette professeure à l'Université Concordia, les cotes de récurrence étaient, de toute façon, mal comprises
par la population en général. La cote 100 ans, par exemple, signifie qu'une zone a une chance sur 100 d'être inondée chaque année. Certaines personnes, selon Mme Biron, pouvaient se croire à l'abri s'ils avaient subi une inondation récemment. Or le risque revient à tous les ans.
C'est un message beaucoup plus facile à faire passer quand on parle de risque élevé, moyen, faible.
L'experte se réjouit également du fait qu'avec cette nouvelle classification, une révision régulière de la cartographie est prévue tous les 6 à 10 ans. La procédure pour générer des cartes dépend beaucoup des événements passés
, dit-elle. L'événement qui n'est jamais survenu change les statistiques
et doit être pris en compte.
En tenant pour acquis que le risque n'est pas fixe dans le temps
, les autorités pourront moduler les stratégies de prévention en fonction des nouvelles données acquises lors de futurs événements climatiques extrêmes.

Les inondations des printemps 2017 et 2019 ont marqué les esprits au Québec.
Photo : Radio-Canada
Début de la fin de la ZIS
En parallèle des travaux de cartographie, le gouvernement doit produire un nouveau règlement, appelé le cadre normatif
dans le jargon, qui va définir l'application des cartes. L'échéance pour terminer la rédaction est fixée à 2023 dans le plan de protection présenté l'an dernier.
Pendant ce temps, le territoire québécois est toujours assujetti à la zone d'intervention spéciale (ZIS), mise en place en 2019 et basée sur les niveaux d'eau atteints lors des crues records de 2017 et 2019. Cette dernière s'accompagne d'un moratoire décrété par le gouvernement visant à freiner toute construction ou reconstruction en attendant la nouvelle cartographie.
Mais bien qu'il n'ait pas terminé l'écriture de son cadre normatif, Québec n'attendra pas deux autres années avant d'amorcer la transition. Le gouvernement veut tranquillement se débarrasser des ZIS, une mesure qui se voulait temporaire.
En adoptant à l'unanimité, mercredi dernier, la Loi instaurant un nouveau régime d’aménagement dans les zones inondables des lacs et des cours d’eau
, le projet de loi 67, les caquistes peuvent procéder à certains changements dans les prochains mois
.
À présent, nous pourrons mettre en place les règlements permettant la levée graduelle de la zone d’intervention spéciale
, indique-t-on au cabinet de la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest.

La ministre Andrée Laforest.
Photo : Radio-Canada
Dans les régions où le travail de cartographie est plus avancé, comme dans la région de Montréal, la nouvelle classification gouvernementale pourra être instaurée. Elle sera inscrite dans un règlement transitoire qui fera le pont
entre les règles actuelles et le cadre final à venir d'ici 2023.
En attendant la conclusion du travail de révision de la cartographie, le gouvernement adoptera un règlement de transition [...] introduisant une meilleure gestion du risque
, ajoute Bénédicte Trottier-Lavoie, attachée de presse de Mme Laforest. Ce qui se retrouvera dans ce règlement, qu'on prévoit plus rigoureux, devrait être reconduit dans la version finale.
Dans la foulée, la dizaine de nouveaux bureaux de projets chargés de déployer le plan de protection commenceront leurs travaux au cours du mois d'avril. Chacun d'entre eux est attitré à un bassin versant spécifique pour tenir compte des particularités régionales.
Adhésion variable
Concrètement, les municipalités touchées par la ZIS ou sans cartographie auront bientôt une meilleure idée des possibilités de développement et d'aménagement sur leur territoire. Quant aux propriétaires immobiliers, ils sauront à quel risque ils s'exposent ou s'ils auront à se relocaliser.
Pascale Biron constate que l'adhésion au changement de philosophie préconisé par le gouvernement est variable
. Des maires comme ceux de Sainte-Marie, en Beauce, ou de Saint-André d'Argenteuil, qui ont subi coup sur coup des inondations majeures, l'ont rapidement adoptée, témoigne-t-elle.

Le premier ministre Francois Legault et le maire de Gatineau Maxime Pedneaud-Jobin, sur le terrain pour constater ls dégâts, en 2019.
Photo : The Canadian Press / Justin Tang
Lorsqu'on a été affecté par deux inondations rapprochées, ça change la perspective
, affirme Mme Biron. Après 2017, la réaction était de dire : ''Ça va, on n'avait pas connu ça depuis plus de 30 ans, on se retrousse les manches"
.
Mais quand la crue de 2019 a frappé, juste deux ans après le premier choc, ça a complètement changé la donne
. Ça a été la même chose pour Gatineau. [...] C'est clair que si on regarde la carte du Québec, les secteurs qui ont subi les inondations de 2017 et 2019 sont les plus prêts à adopter un changement de paradigme
, constate Mme Biron.
D'autres villes et régions n'ont pas eu la même leçon. Le problème, c'est que d'autres secteurs sont moins prêts
, s'inquiète l'experte. Le sort ne les a pas frappées, mais ça ne les met pas plus à l'abri
.