Hausse du nombre de féminicides : « C’est du jamais vu », s’alarment des organismes
Au Canada, 160 femmes sont mortes des suites d'un acte violent en 2020, ce qui correspond à une femme tuée tous les deux jours et demi.

Un féminicide est commis tous les deux jours et demi au Canada.
Photo : Reuters / Regis Duvignau
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les organismes qui viennent en aide aux femmes victimes de violence conjugale tirent la sonnette d'alarme sur les conséquences de la pandémie et les risques que comporte le déconfinement à la suite de la multiplication des féminicides ces dernières semaines au pays.
Six meurtres liés à la violence conjugale en à peine plus d'un mois au Québec, c'est du jamais vu
, tranche Claudine Thibaudeau, une travailleuse sociale chez SOS Violence conjugale, qui note que la province en dénombre habituellement en moyenne une douzaine par année.
La pandémie a été utilisée par des partenaires violents comme prétexte pour amplifier le contrôle dans la relation. On craignait ça, on l'a vu. On a aussi vu beaucoup de victimes de violence conjugale remettre à plus tard la réflexion concernant une rupture.
Mme Thibaudeau craint notamment qu'il y ait une seconde escalade de violence lorsque les mesures sanitaires prendront fin et que les milieux de travail rouvriront, et que les victimes envisageront de nouveau d'annoncer une rupture à leur conjoint.
Quand le partenaire s'en rend compte ou quand cette rupture lui est annoncée, il y a un risque très grand d'augmentation de la violence et ça peut aller jusqu'au meurtre
, précise-t-elle.
Dans presque toutes les situations où il y a des meurtres conjugaux, c'est dans des contextes de rupture ou après la rupture, ou au moment où la relation est remise en question.
L'organisme réclame des élus qu'ils fortifient le réseau des services d'accompagnement et d'hébergement pour les victimes de violence conjugale afin qu'elles y aient accès rapidement et à une distance raisonnable de leur domicile. Il est aussi essentiel qu'ils permettent d'assurer la sécurité des enfants, des personnes à charge qu'elles hébergent et des animaux impliqués dans la situation.
L'augmentation du nombre de meurtres conjugaux était malheureusement prévisible
, note pour sa part Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes (FMHF). Et elle demande aux hommes d'envoyer un message clair que, pour eux, c'est aussi inacceptable, la violence faite aux femmes, et qu'ils sont là s'il y a des femmes de leur entourage à soutenir
.
Mme Monastesse a soutenu qu'il est démontré que ce qui marche
, c'est lorsque des figures marquantes masculines de l'entourage des conjoints violents leur disent que ce qu'ils font est inacceptable et qu'il doivent changer. Au début de mars, le premier ministre François Legault s'était ainsi adressé aux hommes d'homme à homme
en début de conférence de presse.
Il n'y a rien de masculin, il n'y a rien de viril à être violent avec une femme
, avait-il déclaré. Au contraire, je trouve ça lâche.
L’endroit le plus dangereux : la maison
Au Canada, 160 femmes sont mortes des suites d'un acte violent en 2020, ce qui correspond à une femme tuée tous les deux jours et demi, selon le dernier rapport de l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation publié mercredi.
Il semble y avoir une augmentation du nombre de féminicides au pays depuis les cinq dernières années
, souligne Carmen Gill, professeure de sociologie à l'Université du Nouveau-Brunswick et membre de l'Observatoire, en entrevue à l'émission Les faits d'abord, qui rappelle que 90 % de ces femmes tuées le sont par un homme.
L’endroit le plus dangereux pour les femmes et les filles, c’est à la maison. [...] Le rapport le démontre bien : elles sont généralement tuées dans un espace privé. Elles sont tuées par des hommes qu'elles connaissent : ce sont des partenaires ou des membres de la famille.
Carmen Gill accueille positivement les campagnes de sensibilisation déployées au Québec, mais selon elle, ce n'est pas suffisant. Il faut travailler à des initiatives de prévention, mieux répertorier les données et documenter rigoureusement les situations de violences relatives à l’ethnicité, au genre et aux comportements coercitifs contrôlants.
Ces comportements sont normalisés et supportés dans une société patriarcale où on considère que certains rôles traditionnels masculins sont normaux, alors que ce n’est pas le cas.
Besoin d'aide?
Appelez SOS violence conjugale au 1 800 363-9010.
Ou sur le web : sosviolenceconjugale.ca(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre)
Le rapport de l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation dévoile par ailleurs que plus d’une victime sur cinq était autochtone. Celles-ci représentent en effet 20 % des femmes tuées en 2020, alors qu’elles ne représentent que 4,3 % de la population au pays. Celles-ci sont plus susceptibles d'être tuées par un étranger, d'être agressées sexuellement et d'être victimes de la violence d'un partenaire intime que les femmes et les filles non autochtones, conclut le rapport.
Changer la perception des relations amoureuses
Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, propose quant à elle de changer instamment les mentalités sur le moyen et le long terme.
Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Mais il faut changer maintenant les mentalités, les stéréotypes, la façon dont les hommes entrent en relation avec les femmes et toute la perception des relations amoureuses, [par exemple] la jalousie comme preuve d’amour.
Selon Mme Arseneault, en plus d’investir massivement dans des campagnes de sensibilisation, notamment auprès des jeunes, il est primordial de croire une victime qui appelle pour des faits de violence sans demander de preuves lorsqu'elle dit craindre pour sa sécurité
.
La présidente de l'organisme rappelle également qu'au-delà des féminicides, il y existe un grand nombre de femmes vivant dans un climat de violence, sous le contrôle et dans la peur de quitter un conjoint. Elles ont le droit de quitter ce conjoint. On a tous droit à la liberté
, lance-t-elle.
De nouvelles agressions
Ces cris d'alarme sont lancés dans la foulée de deux nouvelles agressions au cours des derniers jours.
Une femme âgée de 29 ans luttait samedi pour sa vie à Montréal après avoir été rouée de coups par son conjoint, selon les policiers. C'est un appel au 911, vers 6 h 50, qui a alerté les policiers du drame qui venait de se produire dans un appartement d'un immeuble à logements, situé rue des Oblats, dans l'arrondissement de LaSalle.
La femme était inconsciente lorsque les policiers sont arrivés sur les lieux, a raconté Jean-Pierre Brabant, un porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Elle a été transportée vers un centre hospitalier où son état est considéré comme critique. Un homme âgé de 32 ans et connu des policiers a été arrêté sur les lieux et devait être rencontré par les enquêteurs du SPVM.
Les policiers ont également confirmé samedi que la femme d'une quarantaine d'années découverte morte dans un taxi la veille, dans l'arrondissement Saint-Léonard, a été victime d'un meurtre conjugal. Son conjoint s'est ensuite suicidé, a conclu le SPVM. Il s'agit du septième homicide à survenir sur l'île de Montréal en 2021.
À Montréal, la violence conjugale a représenté le quart des crimes contre la personne et 17 % des homicides en 2019, selon une compilation du SPVM.
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Avec les informations de La Presse canadienne