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AnalyseProtéger le ministre de la Justice

Le ministre Simon Jolin-Barrette lors d'une conférence de presse. Il est assis à une table et parle dans un petit micro.

Le ministre Simon Jolin-Barrette s'est vu confier par le premier ministre François Legault l'épineux dossier du renforcement de la Charte de la langue française.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Le poste de ministre de la Justice est particulier. Ce n’est pas un ministre comme les autres. D’abord parce qu’il est le premier conseiller juridique du gouvernement et qu’il peut et doit dire à ses collègues s’ils risquent d’entrer en conflit avec la Constitution ou une loi.

De même, parce qu’il est le garant de certains principes essentiels de la démocratie : la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif et la protection des droits des justiciables.

Le ministre de la Justice est aussi un élu. Il est un membre du gouvernement et du Conseil des ministres, ce qui fait qu’il est tenu par la solidarité ministérielle et qu’il appuie donc toutes les décisions du gouvernement. Ainsi, il peut vite se retrouver dans un conflit entre le politique et le juridique.

On essaie donc de toutes les façons de protéger le ministre de la Justice. Au Québec, par exemple, on a créé le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). C’est le DPCP qui décide d’intenter les poursuites et qui mène les procès. C’était pour éviter que le ministre de la Justice soit perçu comme étant en situation de conflit d’intérêts.

L’autre conflit d’intérêts potentiel dont on veut protéger le ministre touche le fonctionnement des tribunaux. Pour bien établir que les juges sont indépendants du politique, on garantit l’indépendance des juges qui s’occupent eux-mêmes de la gestion de leur tribunal.

Long détour pour en arriver à la controverse qui a mis en cause, ces derniers jours, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barette et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau.

La controverse

Celle-ci estime que le ministre Simon Jolin-Barette remet en question l’indépendance de sa cour en s’interrogeant sur la nécessité que les juges de la Cour du Québec soient bilingues, c’est-à-dire qu'ils peuvent entendre une cause en français comme en anglais. Pas partout, mais dans des districts où leur nombre de personnes qui s’expriment d’abord en anglais est le plus élevé.

En particulier, le ministre estimait qu’à ce jour aucune donnée probante ne permet d’expliquer pourquoi, par exemple, dans un district donné où la majorité des dossiers sont traités en français et où les juges en poste sont bilingues pour la plupart, il serait malgré tout requis d’exiger systématiquement la maîtrise d’une autre langue que le français.

Ce qui est quand même particulier puisqu’on ne tient pas de statistiques sur cette question, et que ce serait au ministère de la Justice de le faire…

Bref, pourquoi un avocat compétent, mais unilingue français devrait-il renoncer à un poste à la Cour du Québec parce qu’il ne parle pas l’anglais? La question est pertinente, même si c’est un couteau à double tranchant : c’est exactement l’argument qu’invoquent ceux qui s’opposent à ce que les juges de la Cour suprême du Canada soient bilingues. Dans la bouche d’un ministre québécois de la Justice, disons que c’est assez particulier.

La juge en chef répond que la Cour du Québec est un tribunal de comparutions et donc de volume. Arrêter les procédures parce qu’un juge ne peut comprendre un accusé, un témoin ou un élément de preuve présenté en anglais est plus qu’un simple inconvénient. S’en suivrait alors un arrêt de procédures, des remises et des délais qui seraient préjudiciables à tous, francophones comme anglophones. Ce qui est tout aussi pertinent.

La juge en chef de la Cour du Québec Lucie Rondeau

La juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, estime que le ministre Simon Jolin-Barette remet en question l’indépendance de sa cour en s’interrogeant sur la nécessité que les juges de la Cour du Québec soient bilingues.

Photo : Cour du Québec

Même si c’est le gouvernement qui nomme les juges, une question comme celle-ci relève de l’administration de la cour. Et, on le sait, les juges sont, à bon droit, très chatouilleux sur tout ce qui touche leur indépendance face au politique.

La loi 101

La question devient alors pourquoi M. Jolin-Barette soulève-t-il ce débat à ce moment-ci, alors que même la loi 101 prévoit explicitement que toute personne peut employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux?

La réponse est simple : c’est précisément à cause de la loi 101. C’est à M. Jolin-Barette que le premier ministre François Legault a confié l’épineux dossier du renforcement de la Charte de la langue française.

M. Jolin-Barette a déjà indiqué qu’il voulait effectuer une réforme importante et costaude de la loi 101. On sait aussi que la question de la langue de travail sera un volet important de la réforme.

On comprend alors plus facilement ce qui anime le ministre de la Justice. Il ne veut surtout pas se faire critiquer, lors du dépôt de sa réforme de la loi 101, sur le fait qu’il ne serait pas allé assez loin pour protéger le français chez les juges dont il est responsable.

Voici un cas où les autres responsabilités politiques de M. Jolin-Barrette dictaient une ligne de conduite au ministre de la Justice. Ce qui est précisément ce qu’on essaie toujours d’éviter.

C’est pour éviter cela que les principes de bonne gouvernance suggèrent de ne pas donner au ministre de la Justice des responsabilités hors de son ministère qui pourraient entrer en conflit avec son statut de conseiller juridique du gouvernement.

Cela pourrait mettre M. Jolin-Barette dans une situation délicate puisqu’il sera juge et partie à propos de la constitutionnalité de sa réforme de la loi 101.

Pour protéger son ministre de la Justice, le premier ministre devrait renoncer à lui donner d’autres responsabilités, surtout si elles sont aussi sensibles qu’une réforme des lois linguistiques. Voilà qui aurait évité à M. Jolin-Barette une controverse dont il n’a pas besoin et une situation qui sera nécessairement difficile à gérer une fois qu’il aura présenté sa réforme de la loi 101.

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