Québec pressé d’accélérer et de simplifier la régularisation des « anges gardiens »
Très exigeant quant aux documents à fournir, le gouvernement Legault a finalisé peu de dossiers de régularisation des demandeurs d’asile qui ont apporté leur contribution durant la pandémie.

Les « anges gardiens » qui ont travaillé dans le domaine de la santé au plus fort de la pandémie au printemps dernier et qui ont demandé l'asile au Canada peuvent bénéficier d'un programme de régularisation.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« C’est très stressant », confie une préposée aux bénéficiaires originaire d’Haïti qui travaille depuis le début de la pandémie dans des résidences pour aînés du nord de l’île de Montréal.
Depuis plusieurs jours, cette demandeuse d’asile, qui a voulu conserver l’anonymat pour éviter que son témoignage nuise à son dossier, appelle chaque jour
le département des ressources humaines de son employeur. Avec beaucoup d’inquiétude.
Tout le monde me dit la même chose, raconte-t-elle. On me dit que les employés sont en télétravail et que je ne peux pas avoir une lettre signée à la main. Je ne peux rien faire.
Comme tant d’autres demandeurs d’asile vivant et travaillant au Québec, cette trentenaire tente d’obtenir l’un des nombreux documents exigés par le gouvernement Legault pour postuler au fameux programme de régularisation des demandeurs d’asile.
Je voulais faire tout mon possible pour que ça avance rapidement. J’ai fait le maximum.

De nombreux demandeurs d'asile travaillent dans les zones chaudes des hôpitaux et CHSLD depuis le début de la pandémie.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Un même programme, des exigences différentes
Ouvert depuis le 14 décembre dernier, après des mois d’attente et de promesses d’Ottawa et de Québec, ce programme vise uniquement les demandeurs d’asile qui ont travaillé au printemps dernier dans le domaine de la santé. Et il cause bien des tracas aux travailleurs québécois.
Même si ce programme est pancanadien, le gouvernement Legault, en raison d’un accord avec le gouvernement fédéral en matière d’immigration, demande une liste différente de documents à fournir.
Celle-ci est plus exigeante que celle établie par Ottawa, qui s’occupe des demandes de toutes les autres provinces.
Québec exige par exemple des copies de tous les talons de paie, de toutes les pages
du passeport, mais aussi, une attestation de travail
ou une lettre d’employeur
originale, comprenant de multiples renseignements, comme le nombre d’heures travaillées hebdomadairement en moyenne
, la rémunération, la liste des principales tâches et responsabilités
ou encore l’identité du superviseur.
Pour justifier sa décision, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) évoque une nécessité de vérification.
La preuve documentaire qui est demandée a pour but de s’assurer que le Québec sélectionne des personnes qui répondent aux critères du programme.
Pour Juliane, une autre demandeuse d’asile, qui est passée par la plateforme Je contribue au printemps passé, c’est un cauchemar administratif.
C’est difficile d’avoir les bons documents. C’est un grand problème, c’est long. Le CIUSSS ne veut vraiment pas m’aider.
Officiellement embauchée comme aide de service pour moins de 20 $ de l’heure, Juliane accomplit quotidiennement des tâches de préposée aux bénéficiaires. Je donne à manger aux malades, je les nettoie, je les aide. J’ai même eu la COVID après une éclosion
, raconte-t-elle.
Or, officiellement, le métier d’aide de service ne donne pas accès à cette régularisation. Juliane doit donc obtenir, auprès de son employeur, une preuve écrite démontrant que ses tâches correspondent bien à la profession de préposée aux bénéficiaires.
Beaucoup de fois, insiste-t-elle, j’ai demandé une lettre qui décrit mon travail. Mon avocat m’a dit que c’était très important. Mais le CIUSSS ne veut pas nous donner autre chose que nos talons de paie.

Marjorie Villefranche est la directrice de la Maison d'Haïti, un organisme qui vient notamment en aide aux demandeurs d'asile dans leurs démarches administratives.
Photo : Facebook / Marjorie Villefranche
Des employeurs peu collaboratifs
Des exemples, Marjorie Villefranche en a encore à la pelle. La directrice de la Maison d’Haïti, qui aide des dizaines de demandeurs d’asile dans ce processus, déplore des misères
et des situations compliquées
, notamment avec certaines agences de placement.
Ramasser tous les documents, c’est difficile. Les demandeurs d’asile sont perdus
, juge-t-elle, en regrettant le manque de collaboration de certains employeurs.
Ce sont des allers-retours avec des employeurs qui disent avoir autre chose à faire. Des fois, c’est compliqué, les gens n’avaient pas toujours un poste précis.
Un des graves problèmes, c’est la preuve demandée par Québec
, insiste Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats en droit de l’immigration (AQAADI).
Les exigences du MIFI sont inadaptées à la crise actuelle
, soutient-il.
Les critères d’accès au programme
Seuls les demandeurs d’asile qui ont œuvré dans le domaine de la santé durant la première vague de la pandémie au printemps passé peuvent postuler à ce programme de régularisation qui leur permet d’obtenir, avec leur famille, une résidence permanente.
Pour être admissibles à ce programme (Nouvelle fenêtre), ils doivent notamment avoir cumulé au moins 120 heures de travail dans un établissement de santé, entre le 13 mars et le 14 août 2020, comme préposé aux bénéficiaires, infirmier ou encore aide-soignant, et posséder six mois d’expérience dans ces domaines.

Plusieurs manifestations ont été organisées l'an passé pour mettre sur pied un tel programme de régularisation.
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Une trentaine de demandes finalisées par Québec
Selon les statistiques obtenues par Radio-Canada, les demandes de régularisation avancent lentement du côté du gouvernement du Québec, qui emploie 10 fonctionnaires affectés à cette tâche.
Au 26 février dernier, d'après les plus récentes données disponibles, 33 demandes ont été finalisées, donnant lieu à la délivrance de 51 certificats de sélection du Québec. Ce document, délivré aux travailleurs de la santé et à leur famille, permet d’obtenir ensuite la résidence permanente, qui est octroyée par le gouvernement fédéral.
À l’heure actuelle, seulement trois dossiers provenant de travailleurs québécois sont arrivés au terme du processus, sur plus de 700, nous a fait savoir Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.
Dans le reste du Canada, près de 500 dossiers, gérés par le gouvernement fédéral, ont déjà été approuvés, soit près de la moitié des demandes.
Selon le MIFI, cette différence serait due à un effet d’entonnoir
. En effet, la demande d'un travailleur québécois doit d’abord être envoyée à Ottawa. Si celle-ci est jugée admissible, le candidat contacte Québec, puis fournit et remplit les documents exigés, pour obtenir un Certificat de sélection du Québec (CSQ). Cette étape n’est pas requise pour les candidats venant des autres provinces.
Voir si peu de dossiers traités au Québec, c’est alarmant
, juge l’avocat Guillaume Cliche-Rivard (Nouvelle fenêtre).
Ce programme, qui était très attendu, a été discuté et négocié depuis juin 2020. Mais les conditions d’accès sont trop restrictives.
Quand tu rajoutes une bureaucratie, tu rajoutes de la misère
, regrette Marjorie Villefranche, de la Maison d’Haïti.
Selon elle, au Québec, il y aurait tout au plus un millier de travailleurs
concernés, avec les critères actuels, par ce programme de régularisation.

Le gouvernement de Justin Trudeau souhaite élargir l'accès à ce programme, ce qui n'est pas dans les plans, actuellement, de celui de François Legault.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Ottawa veut élargir l’accès, Québec refuse
Depuis plusieurs mois, Ottawa se dit prêt à revoir et à élargir l’accès à ce programme de régularisation à l’ensemble des travailleurs des établissements de santé. Cette mesure viserait notamment les agents de sécurité et le personnel responsable de l’entretien ménager.
Peu de choses ont changé
, soutient le ministre fédéral de l’Immigration, Marco Mendicino, par le biais de son attaché de presse.
Cette proposition initiale est toujours notre idée, et nous en discutons avec Mme Girault et le gouvernement du Québec.
Aux yeux de la Maison d’Haïti, il faudrait minimalement penser aussi à ceux qui ont débuté dans le réseau de la santé à partir de l’automne dernier, alors que la pandémie atteignait à nouveau des sommets au Québec.
Actuellement, il y a une bonne vague [qui permet une régularisation] et une mauvaise vague, lance Marjorie Villefranche. Il y en a qui n’y ont pas droit et c’est embêtant. M. Legault avait pourtant incité les gens à s’engager. Mais tous ceux qui ont été embauchés pour la seconde vague ne bénéficient pas du programme.
Toutes les personnes qui ont travaillé durant la deuxième vague ont pris des risques énormes. Il n’y a pas de raison, si quelqu’un travaille dans le système de santé depuis septembre, de ne pas l’accepter
, reprend Guillaume Cliche-Rivard.
De son côté, le gouvernement Legault ne laisse filtrer aucune ouverture.
Ce programme spécial n’a pas pour objectif de remplacer le processus régulier d’octroi du statut de réfugié.
Notre volonté est de respecter l’engagement que nous avons pris envers les demandeurs d’asile qui ont donné des soins directs aux malades et aux aînés au plus fort de la pandémie, sur la première ligne
, répond la porte-parole de la ministre de l'Immigration Nadine Girault.