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Immigration francophone hors Québec : le bilinguisme canadien est-il un mirage?

Une femme sur le trottoir, sous la neige

L'immigration francophone hors Québec figure parmi les stratégies du livre blanc sur les langues officielles, présenté par le gouvernement Trudeau en février.

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’immigration francophone en milieu minoritaire est une voie prometteuse pour la protection du français au Canada. L’intégration de nouveaux immigrants francophones à l’extérieur du Québec représente toutefois un défi de taille alors que la Belle Province demeure le principal eldorado de l’immigration francophone au pays.

Lorsqu’on entend "Canada", on entend "deux langues". On entend "l'anglais et le français". C'est toujours deux langues!, insiste Youssouf Sammi. Bercé par le bilinguisme canadien depuis son pays natal francophone de la Côte d'Ivoire, il a immigré à Toronto en 2019 avec sa femme et ses trois jeunes filles.

Youssouf Sammi pose devant la caméra lors d'une entrevue.

Youssouf Sammi et sa famille ont immigré au Canada en juillet 2019.

Photo : Radio-Canada

Nous avons choisi de nous installer en Ontario, parce que c'est la plaque tournante du Canada, mentionne-t-il. Nous nous sommes rapidement rendu compte que la barrière de la langue était présente et posait un problème d'intégration.

Un risque d’assimilation

Depuis son arrivée au Canada, M. Sammi confie avoir eu de la difficulté à trouver un emploi dans sa langue maternelle, lui qui évolue dans le milieu des finances.

J’ai postulé à plusieurs emplois, mais je me heurte toujours à la langue, se désole-t-il. J’arrive à m’exprimer en anglais, mais je me heurte au fait que les compétences linguistiques demandées sont au-delà de mes compétences.

« Bien que l’Ontario prétende respecter les deux langues, dans les faits, ce n’est pas évident pour les francophones. Le taux de prédominance de l’anglais est très important. »

— Une citation de  Youssouf Sammi, immigrant francophone à Toronto

M. Sammi raconte avoir initialement inscrit ses fillettes dans une école anglophone dans l’espoir de faciliter leur intégration. Il a fait marche arrière au milieu de l'année scolaire.

Tous ceux que j’ai rencontrés venant de l’Afrique francophone m'ont déconseillé de mettre mes filles dans une école anglophone, pour la simple raison que leurs enfants ont perdu leur français au profit de l’anglais, dit-il. Aujourd’hui, ces enfants ont perdu leur culture.

Pourtant, dans le cadre de son livre blanc sur les langues officielles, le gouvernement fédéral compte sur plus de familles à l’image de celle de M. Sammi pour redresser le poids démographique de la population francophone à l’extérieur du Québec.

Mélanie Joly est assise durant une conférence de presse.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pour des francophones qui arrivent en Ontario, ce sera très difficile de conserver le français, pense M. Sammi. C’est une lutte. Il faut se battre, parce que vous êtes vraiment submergés [par l’anglais].

Alain Dobi, directeur du Réseau en immigration francophone du centre-sud-ouest de l’Ontario, s’inquiète du risque d’assimilation que représente l’immigration francophone en milieu minoritaire. Le risque est permanent et constant lorsqu’on est dans un environnement aussi anglophone, explique-t-il.

« Les immigrants francophones sont obligés de pouvoir travailler en anglais [...] afin de s’intégrer dans le tissu économique et se trouver un emploi dans des régions comme Toronto. »

— Une citation de  Alain Dobi, directeur du Réseau en immigration francophone du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario

Bien qu’il se réjouisse des mesures mises en place lors des dernières années pour bonifier les candidatures d'immigrants francophones hors Québec, notamment avec le système Entrée express, M. Dobi considère qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants en français.

Malheureusement, il n'y a pas de baguette magique. [...] Il faut avoir le courage et l’audace politique d’innover, affirme-t-il, en précisant que les immigrants francophones sont des acteurs clés du mouvement de préservation de la langue française au Canada.

Un travail de conscientisation

Au-delà de la question d’intégration, Aïssa Nauthoo du Centre francophone de Toronto croit qu’un effort de conscientisation doit également être mis en branle afin de favoriser l’immigration en milieu minoritaire au Canada.

Elle rappelle que la cible de 4,4 % d’immigration francophone hors Québec existe depuis 2003, mais n’a jamais été atteinte par le gouvernement fédéral. Elle admet qu'il y a un gros travail à faire pour sensibiliser, conscientiser et informer les immigrants des occasions d'établissement à travers le pays.

Aïssa Nauthoo pose devant un tableau où sont affichées des photos.

Aïssa Nauthoo, directrice des services d’aide juridique, d’emploi et d’établissement au Centre francophone de Toronto.

Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle

Il y a une mécompréhension de l’existence de ressources francophones en Ontario et ailleurs au Canada, soutient Mme Nauthoo. Il y a parfois cette perception que le Québec est la seule province où il est possible de vivre en français.

Contrairement à la famille Sammi, Mohamed Younouss n’a pour sa part pas été mis au fait de l’existence d’une francophonie hors Québec au moment de planifier son projet d’études et d’immigration depuis le Cameroun.

Pour moi, la porte d’entrée était vraiment le Québec, se rappelle l’étudiant au doctorat en science politique à Montréal. Je voulais d’abord me retrouver dans un espace culturel francophone.

« Il ne me semble pas avoir eu suffisamment d’informations sur les communautés francophones en milieu anglophone. Si j’avais eu plus d’informations sur les autres régions, peut-être que ma décision aurait été différente. »

— Une citation de  Mohamed Younouss, étudiant international à Montréal

Selon Mme Nauthoo, Ottawa devrait investir davantage dans les services pré-départs aux immigrants. Je pense que c’est là que nous avons l’occasion de parler aux personnes et de donner des informations afin qu’elles puissent prendre des décisions éclairées.

Elle ne cache pas non plus les défis de l’immigration francophone en milieu minoritaire. C’est certain que pour un immigrant francophone, il est plus facile de s’établir au Québec, concède-t-elle. Mais je pense que les nouveaux arrivants ont beaucoup à apporter afin d'augmenter la richesse des communautés francophones hors Québec.

Une « politique » en immigration francophone

Le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles donne malgré tout beaucoup d’espoir au secteur d'établissement hors Québec, puisque le livre blanc prévoit l’obligation pour le gouvernement fédéral d’adopter une politique sur l’immigration francophone.

C’est un élément qui fait partie de nos recommandations depuis plusieurs années, indique M. Dobi du Réseau en immigration francophone de l’Ontario. Jusqu’à présent, nous avons des stratégies, mais une stratégie, ce n’est pas une politique!

Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté n’a pas été en mesure de fournir plus d’informations au sujet du contenu de cette éventuelle politique en immigration francophone.

Le ministre Marco Mendicino parle dans un micro devant des drapeaux du Canada.

Marco Mendicino, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Toutefois, les grandes lignes du document de travail de la ministre Mélanie Joly laissent présager des initiatives attrayantes pour faire mousser l'immigration à l'extérieur du Québec, incluant notamment un corridor d’immigration consacré au recrutement d’enseignants francophones.

C’est un élément très important et intéressant pour nous, fait valoir Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. La politique que propose Mme Joly prépare le terrain pour ce type de conversation et de changement.

« L’immigration francophone inscrite dans la Loi sur les langues officielles rend une obligation légale pour le gouvernement d’agir. »

— Une citation de  Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada

Il souhaite notamment que les institutions anglophones aient l'obligation d'adresser les nouveaux arrivants francophones vers les services en français. Plutôt que d'enlever nos aspirants citoyens et les diriger vers l'assimilation, nous voulons leur donner des options, précise M. Johnson.

Jean Johnson pose devant le drapeau canadien et une affiche indiquant la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.

Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.

Photo : Radio-Canada / Angie Bonenfant

Pour sa part, M. Sammi veut rester en Ontario malgré les embûches. Tout ce que je peux apporter à la francophonie, je suis prêt à le faire pour que lorsqu’on dit qu’il y a deux langues qui se parlent au Canada, que cela soit reconnu!

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