Au public comme au privé, télétravail rime souvent avec inégalités

Le soutien offert aux télétravailleurs varie grandement à l'intérieur des entreprises publiques et privées (archives).
Photo : iStock / Maryna Andriichenko
Les personnes en télétravail n’ont pas toutes accès au même soutien financier et matériel de la part de leur employeur. Un survol des mesures offertes aux travailleurs à distance effectué par Radio-Canada permet de constater d’importants écarts entre et à l’intérieur des secteurs public et privé.
Au Québec, le gouvernement Legault a annoncé la semaine dernière que les fonctionnaires auraient droit à un remboursement pouvant atteindre 400 $ pour certaines dépenses engendrées par le télétravail.
Cette mesure ne s’applique toutefois qu’au personnel des ministères et organismes assujettis à la Loi sur la fonction publique.
Dans les autres institutions relevant du gouvernement du Québec (sociétés d’État, musées, instituts scientifiques, etc.), l’aide offerte est laissée à la discrétion de l’employeur.
Si la plupart de ces organisations fournissent du matériel informatique à leurs employés en télétravail, d’autres les laissent se débrouiller avec leurs propres moyens.
Plus de 10 % des répondants d’unsondage interne réalisé par le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec ont affirmé que leur employeur ne leur avait pas fourni d’ordinateur pour travailler à la maison.
Remboursements à géométrie variable
Les remboursements offerts pour les dépenses engendrées par le télétravail varient également d’un organisme public à l’autre.
Hydro-Québec offre jusqu’à 300 $ pour l’achat d’un fauteuil ergonomique tandis que Loto-Québec rembourse uniquement les dépenses liées à l’achat de fournitures de bureau telles que des crayons et du papier.
Revenu Québec vient d’implanter un programme de remboursement des dépenses similaire à celui de la fonction publique. Les travailleurs pourront obtenir jusqu’à 400 $ pour les dépenses liées à l’achat de matériel ergonomique nécessaire pour le télétravail.
Les gestionnaires et tous les employés de l’organisation qui sont en télétravail pourront demander le remboursement de certaines dépenses engagées du 15 mars 2020 au 20 mars 2021 pour l’achat de matériel de bureau autorisé, et ce, sur présentation de preuves d’achat ou de pièces justificatives suffisantes
, précise le porte-parole de l’agence, Martin Croteau.
La Société des alcools du Québec n’offre pas de montant forfaitaire à son personnel en télétravail. Elle a toutefois invité ses employés à venir chercher au bureau tout le matériel et l’équipement dont ils avaient besoin pour travailler à la maison dans des conditions favorables
.
Disparités au fédéral
Le type de matériel fourni aux employés et les dépenses remboursées varient également au sein de la fonction publique fédérale. Ces différences s’expliquent principalement par la flexibilité que le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) a accordée aux ministères dans l’implantation du télétravail.
Le [SCT ] a publié des directives à l'intention des ministères pour les aider à prendre des décisions, notamment en ce qui concerne la fourniture d'équipement et de matériel de bureau, en laissant aux ministères la possibilité d'adapter des approches spécifiques à leurs besoins
, explique le Secrétariat dans un courriel envoyé à Radio-Canada.
Plusieurs ministères, agences et sociétés d’État offrent un montant forfaitaire de 500 $ pour les dépenses liées au télétravail. C’est le cas, entre autres, de la Banque du Canada. Les modalités entourant le versement de cette indemnité peuvent différer d’une organisation à l’autre.
De son côté, la Société canadienne d’hypothèques et de logement verse à ses employés une indemnité mensuelle de 80 $ pour les coûts liés au travail à domicile.
Pas recommandé
Le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines et le Bureau du contrôleur général déconseillent pourtant le versement d’allocations.
Le versement d’allocations pourrait constituer un changement dans les conditions d’emploi ou entraîner un avantage imposable aux employés
, peut-on lire dans une directive publiée le 26 août 2020.
Si plusieurs organismes fédéraux ont fourni des ordinateurs (neufs dans certains cas) à leur personnel en télétravail, d’autres n’ont pas été en mesure d’équiper leurs employés adéquatement.
Parfois, l’équipement informatique fourni laisse à désirer et nuit à l’efficacité des télétravailleurs, en particulier ceux oeuvrant dans des domaines exigeant des ordinateurs puissants.
J’ai des collègues qui analysent des sommes de données considérables et c’est difficile de le faire sur un ordinateur à partir de la maison
, confie Maurice Lamontagne, sismologue à Ressources naturelles Canada.
Qu’en est-il du privé?
Dans le privé, le taux de pénétration du travail varie de façon importante selon les secteurs d’activité. S’il est quasi inexistant dans la restauration, le commerce de détail et la construction, il est en revanche omniprésent dans l’administration et le secteur financier.
Le type de matériel fourni aux télétravailleurs et les dépenses remboursées dépendent souvent de la taille de l’entreprise, de son secteur d’activité et de sa santé économique.
Parmi les employeurs du privé contactés par Radio-Canada, le Mouvement Desjardins est probablement celui qui offre le soutien le plus généreux. Il a mis à la disposition de ses employés une enveloppe permanente d’un montant pouvant aller jusqu’à 1000 $ valide pour toute la durée de leur emploi au sein de l’entreprise.
Pour être admissible, l'employé doit, entre autres, effectuer sa prestation de service en télétravail minimalement une journée par semaine. Le matériel admissible est aussi varié que bureau, chaise, repose-pied, moniteur, support à ordinateur, extension wi-fi, caméra web, etc.
, mentionne Jean-Benoît Turcotti, porte-parole du Mouvement Desjardins.
Il ajoute que l’entreprise fournit à ses employés le matériel informatique nécessaire à leur travail.
Difficile pour les PME
Tous les employeurs n’ont cependant pas les ressources dont dispose Desjardins pour équiper leurs travailleurs. C’est notamment le cas des petites et moyennes entreprises (PME) qui peinent déjà à surmonter les difficultés provoquées par la pandémie de COVID-19.
Selon un sondage réalisé par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), 34 % des PME
du Québec affirment qu’elles vont manquer de liquidités avant le mois de juin. Le vice-président Québec pour la FCEI , François Vincent, y voit une raison supplémentaire pour que l’État aide les PME à financer le déploiement du télétravail.Ces coûts-là sont difficiles à assumer. Ce n'est pas juste d'acheter un portable à l'employé, ça peut être le programme informatique pour les réunions en téléconférence, d'assurer la sécurité des données, la cybersécurité des entreprises. Le gouvernement pourrait aider au niveau des coûts pour les aider à assumer cette transition-là
, fait valoir M. Vincent.
Il ajoute que 66 % des PME
qui ont participé au sondage de la FCEI affirment que l’aide des gouvernements est essentielle à leur survie.Les contrôles Provan et Associés, une entreprise de Montréal spécialisée dans la vente de valves, vannes et autres équipements industriels, comptent 18 employés en télétravail. La compagnie leur a acheté des ordinateurs portables. Elle a également requis les services d’une firme informatique pour procéder à l’installation d’un réseau sécurisé.
Selon le directeur général de Provan, Guy Trudel, l’implantation du télétravail a généré des dépenses d’environ 10 000 $, un montant considérable dans le contexte de la pandémie et de la baisse des revenus qu’elle a provoquée.
Sacrifices
Contrairement à d’autres employeurs, Guy Trudel n’a pas les moyens de rembourser certaines dépenses liées au télétravail. Pour assurer la survie de l’entreprise sans avoir à procéder à des mises à pied, il a même dû demander à ses travailleurs de consentir à une diminution temporaire de leur salaire de 10 % ainsi qu’à la suspension, également temporaire, des cotisations à leur fonds de pension.
Tous les employés, d'un commun accord, ont mis la main à la pâte pour faire fonctionner l’entreprise et assurer sa pérennité. Ils ont aussi pris des vacances forcées à un moment qui n’était pas idéal pour eux
, raconte M. Trudel.
Il croit que la crise sanitaire exige beaucoup plus de sacrifices de la part des travailleurs de PME
que des fonctionnaires.L'employeur a continué de payer tous les salaires, les pensions, les vacances et tout et tout. Donc, il n'y a pas réellement de pertes à ce niveau-là comparativement aux PME [où] il a fallu couper dans les salaires
, souligne-t-il.
Guy Trudel ne réclame pas d’aide additionnelle des gouvernements. Il demande seulement que l’effort collectif soit mieux réparti.
Contribuer à l'effort, on n'a pas de problème, mais il reste qu'il faut que ce soit pour tout le monde aussi.
Avec la collaboration d’Estelle Côté-Sroka