Le retour des vaches au pâturage serait bénéfique pour leur santé
Oubliez le litre de lait montrant une vache gambadant dans les champs. La réalité est que la vaste majorité des vaches du Québec passent leur vie enfermées dans une étable, souvent au détriment de leur santé.
Le producteur laitier François Tremblay envoie maintenant au pâturage ses vaches plusieurs heures par jour, cinq mois par année.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
François Tremblay, producteur laitier de Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, a rompu avec ce modèle il y a cinq ans. « Je n’en pouvais plus d’avoir des vaches toutes démembrées », s’exclame-t-il en faisant référence à la piètre condition physique de ses vaches lorsqu’elles étaient confinées.
Son troupeau est élevé en stabulation entravée, c’est-à-dire que ses vaches sont attachées dans l’étable comme chez la plupart des producteurs de lait conventionnels. Mais, dès que la température le permet, il les envoie paître aux champs. Ses vaches passent donc plusieurs heures par jour à l’extérieur, cinq mois par année.
Avant qu'il les renvoie au pâturage, la vie de ses pensionnaires était trop statique. Juste le fait de déplacer les vaches, c'était rendu stressant parce que les vaches ne savaient plus marcher. Elles manquaient parfois leur coup en sautant le dalot et tombaient par terre.
Conséquence : le taux de mortalité était devenu trop élevé dans l’étable.
Il y avait une réelle problématique au niveau des pieds et des membres des vaches, ça m’obligeait à les envoyer à l'abattoir trop jeunes
, raconte François Tremblay.
« Les vaches ne savaient plus marcher. »
Une revue de littérature internationale (en anglais), parue en 2015 (Nouvelle fenêtre), tend à lui donner raison. Les vaches confinées, qu’elles soient élevées en stabulation entravée ou en stabulation libre, un système qui leur permet de bouger seulement à l’intérieur d’une étable, ont un taux de mortalité plus élevé que les vaches qui vont au pâturage.
Plus encore, selon les scientifiques qui ont comparé les avantages et les inconvénients du pâturage versus ceux du confinement, les vaches qu’on n’envoie jamais au pré souffrent davantage de boiteries, de lésions aux jarrets, de mammites et autres problèmes utérins que celles qui vont au pâturage.
François Labelle, spécialiste de la production de lait biologique chez Lactanet et auteur d’un article sur les mythes et réalités entourant le pâturage (Nouvelle fenêtre), n’est pas surpris. C'est toujours intéressant d’avoir une étude qui vient appuyer ce qu’on voit sur le terrain. Avec l’accès au pâturage, on améliore la longévité des animaux parce qu’on a moins de maladies en général.
Mais la production de lait biologique est la seule qui exige des producteurs qu’ils envoient leurs vaches brouter de l’herbe aussi longtemps que la température le permet. Au Québec, seulement 2,3 % des producteurs laitiers détiennent cette certification.
Le recours au pâturage suscite toutefois le scepticisme chez les producteurs laitiers en général parce qu’on l'assimile trop souvent aux ratés du passé. On avait un troupeau de vaches, on ouvrait la porte au printemps, puis on les faisait rentrer à l'automne sans aucune gestion
, déplore François Labelle.
« Après un mois, il n'y avait plus de production d'herbe, les animaux dépérissaient et la production de lait baissait. On avait même du parasitisme parce que les animaux faisaient du surpâturage. »
La technique du pâturage s’est améliorée depuis quelques années avec l’adoption du pâturage intensif en bandes. Le champ est subdivisé en petites parcelles où les producteurs dirigent leurs vaches en rotation à l’aide de clôtures mobiles. L’herbe bénéficie d’un temps de repos pour croître entre le passage des vaches, qui broutent ainsi de l’herbe toujours fraîche.
La ferme Au Gré des Champs, à Saint-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie, est une pionnière en la matière. Le lait de ses vaches sert uniquement à fabriquer des fromages biologiques préparés à la ferme.
En production biologique, la prémisse de base, c'est d’offrir aux vaches un environnement le plus proche possible de leur nature. À la base, les vaches, ce sont des ruminants faits pour brouter à l'extérieur. Pour moi, c'est contre nature de les confiner constamment
, fait valoir Marie-Pier Gosselin, copropriétaire de la ferme avec ses parents.
Ici, l’âge moyen du troupeau de vaches est de cinq ans, alors que la moyenne québécoise est de trois ans et dix mois. Marie-Pier Gosselin croit que l’accès aux champs y est pour beaucoup. Les vaches sont très stimulées à l'extérieur. Ça fait des animaux plus résilients. Après, dans notre bâtiment, qui est en stabulation libre, s'il arrive quelque chose, ils sont plus résistants au stress et ça contribue à leur santé à long terme.
Mais tout n’est pas parfait avec le pâturage. Steve Adam, un autre expert en production laitière chez Lactanet, explique que ce n’est pas un hasard si seulement 13 % des producteurs québécois de lait conventionnels envoient leurs vaches en lactation au pâturage.
Au courant de la journée ou de la semaine, le type d'aliments consommés par les vaches varie. La quantité d'énergie et de protéines aussi. Avec le système actuel de quotas, les producteurs laitiers ont des quantités de lait vraiment précises à produire chaque jour. Donc, ça peut poser problème
, souligne l'expert.
Autre désavantage, et non le moindre, avec le pâturage, les rendements sont moins bons.
« Le gros inconvénient, c'est la baisse de production qui peut aller jusqu'à 10 % dans certains cas. »
Peut-être que je fais un peu moins de lait, mais je fais du lait qui est plus payant parce qu’il me coûte moins cher à produire
, rétorque François Tremblay. Il fait, entre autres, référence au fait qu’il achète moins de suppléments protéiques pour nourrir ses vaches – qui mangent majoritairement de l'herbe fraîche en été – et qu’il produit moins de fourrage pour loger ses bêtes.
Et puisque l’herbe est récoltée et fertilisée par les vaches elles-mêmes pendant l’été, la production de fourrages coûte 50 % de moins que si elle était mécanisée.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où l’on se préoccupe davantage du bien-être des animaux d’élevage, le pâturage a la cote.
Moi je suis convaincu que les consommateurs sont prêts pour ça parce que, de plus en plus, on entend parler de bien-être animal. Puis les gens, ce qu'ils veulent, c’est que les animaux soient respectés, et ils sont prêts à mettre le prix pour ça
, plaide François Tremblay.
Ça plaît beaucoup à nos clients. On voit ça comme un outil de marketing, on ne s’en cache pas. Ça fait partie de notre stratégie d'affaires
, ajoute Marie-Pier Gosselin, sourire en coin.
Un premier transformateur québécois semble vouloir surfer sur la vague. Alors que le lait biologique est nécessairement issu de vaches au pâturage, Nutrinor ne faisait pas la promotion de cette spécificité jusqu’à tout récemment. La précision vient de faire son apparition sur les litres de lait de la compagnie.
Quant à la mention vaches en liberté
, qui vient aussi d’apparaître sur certains produits, elle porte à confusion. Elle signifie simplement que les vaches en question sont élevées en stabulation libre, sans garantie d’accès au pâturage.
Le reportage de Julie Vaillancourt et de Pier Gagné est diffusé à La semaine verte samedi à 17 h et dimanche à 12 h 30 à ICI Télé. À ICI RDI, ce sera dimanche à 20 h.