Mourir chez soi, un choix renforcé par la pandémie
Depuis un an, les patients en fin de vie sont plus nombreux à recevoir des soins palliatifs à leur domicile et à choisir d’y mourir. La crainte d’attraper la COVID et de mourir isolé de leurs proches pousse de plus en plus de Québécois à faire ce choix. Une approche qui pourrait se maintenir après la pandémie.

Gilbert Gauthier dans son domicile
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Lorsqu’il a consulté son médecin spécialiste récemment, Gilbert Gauthier a compris que les traitements de chimiothérapie n'allaient sans doute pas contenir son cancer du poumon.
Elle m’a dit qu’il y avait des métastases, que c’était généralisé [...] et qu’elle pensait que la chimio ne ferait pas son effet
, dit-il.
Je sais où je suis rendu, je sais qu’il n’y a pas d’alternative et que je vais mourir de ça, c’est définitif.

L'infirmière Geneviève Desforges ausculte Gilbert Gauthier.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Rencontré dans son appartement de l’est de Montréal, M. Gauthier reçoit ce jour-là la visite de Geneviève Desforges, infirmière spécialisée en soins palliatifs pour la Société de soins palliatifs à domicile du Grand Montréal.
Douleur, problème de respiration, insomnie, M. Gauthier fait le point avec elle tant sur son état physique que psychologique.
Je me sens en sécurité, confie M. Gauthier. N'importe quoi qui ne va pas sur ma santé, j'ai l'infirmière à domicile, j'ai le psychologue, l'ergothérapeute et la physiothérapeute pour mes vertiges.
Sa conjointe et proche aidante, Line Francoeur, profite également de la visite de l’infirmière.
Geneviève, on est très à l'aise avec elle, je suis capable de m'ouvrir, de pleurer [...] Je trouve ça important, parce que j'en ai besoin moi aussi.

Gilbert Gauthier dans son domicile avec sa femme, Line Francoeur.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Au besoin, Mme Francoeur pourrait obtenir de la Société un répit de quelques heures par jour si elle le désirait.
11 % d'augmentation depuis mars 2020
Le recours aux soins palliatifs à domicile est en plein essor depuis le début de la pandémie.
On est à 130 patients de plus pour l'année [...] On s'enligne vers une augmentation de 20 %
, constate Audrey-Jane Hall, directrice des soins à la Société de soins palliatifs à domicile du Grand Montréal.
La Société offre des services depuis 40 ans, notamment auprès du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Audrey-Jane Hall, directrice des soins à la Société de soins palliatifs à domicile du Grand Montréal
Photo : Radio-Canada / Davide Gentile
Selon Mme Hall, la peur de mourir seul à l’hôpital et la crainte de contracter la COVID-19 ont convaincu plusieurs usagers de recourir à des soins à domicile.
Selon les données obtenues par Radio-Canada, plus de 21 200 Québécois ont reçu des soins palliatifs et de fin de vie à domicile entre avril et décembre 2020, une augmentation inédite de 11 % par rapport à l’année précédente.
De ce nombre, plus du tiers ont terminé leurs jours auprès de leurs proches à domicile, comparativement à une personne sur cinq auparavant. Du jamais-vu.
Au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, la porte-parole Émilie Jacob constate que les gens ont fait davantage le choix de vivre leurs derniers moments à la maison pour être entourés de leurs proches
.
Mais il est important de mentionner que ceux qui le désirent ont toujours eu la possibilité de recevoir leurs soins dans une unité de soins palliatifs
, précise-t-elle.
Ailleurs au Canada, historiquement, plus de 40 % des patients en fin de vie font le choix de mourir ailleurs qu’en milieu hospitalier.

Le reportage de Davide Gentile
Jusqu’à 40 % en télémédecine
Offrir des soins palliatifs complets à un plus grand nombre de malades en temps de COVID a posé des défis dans certaines régions du Québec.
De son bureau à la maison de soins palliatifs Victor-Gadbois sur la Rive-Sud (Montréal), Christiane Martel, la présidente de la Société des médecins de soins palliatifs du Québec, a ajusté sa pratique pour pallier le manque de médecins à domicile.
Sur notre territoire, on a eu plusieurs appels à l’aide de plusieurs infirmières à domicile, pour qu’on puisse suivre les patients qui ne pouvaient pas se déplacer
, affirme cette pionnière en soins palliatifs au Québec.

Christiane Martel, présidente de la Société des médecins de soins palliatifs du Québec
Photo : Radio-Canada / Davide Gentile
Nous, on a dépanné par la télémédecine pour des territoires éloignés à plus de 50 km d’ici, explique-t-elle. On avait que des consultations en personne il y a un an, et là, on a 40 % de nos consultations qui sont par télémédecine.
Avec le recul, la Dre Martel estime que ces soins palliatifs à domicile ont permis d’éviter bien des hospitalisations, un point de vue que partage Marie-Hélène Marchand, une médecin en soins palliatifs qui travaille à domicile et à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
Elle constate aussi que plusieurs patients hospitalisés auraient pu être traités à la maison.
Il y a une grande quantité de consultations qu’on aurait pu absorber à la maison si on était mieux outillés, fait-elle valoir. Je pense aux grands insuffisants cardiaques ou aux malades pulmonaires qui font beaucoup d’allers-retours à l’hôpital.

La Dre Marie-Hélène Marchand, médecin en soins palliatifs. Elle travaille à domicile et à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
Photo : Radio-Canada / Davide Gentile
Comme plusieurs médecins œuvrant dans ce domaine, elle souhaite que le virage entamé pendant la pandémie s’accélère dans les années à venir.
C’est une approche beaucoup plus humaine et moins chère pour le réseau de la santé
, dit-elle.
Sa collègue Christiane Martel comprend mal la lenteur avec laquelle est pris le virage vers les soins palliatifs à domicile.
On l’espère profondément, le virage! J’ai de la difficulté à comprendre que notre réseau tarde à faire ce virage-là puisque, pour la population, c’est un meilleur service.