Carl-Edwin Michel : pour que l’industrie du jeu vidéo soit plus diversifiée

Le fondateur des Canadian Game Awards et de Northern Arena, Carl-Edwin Michel
Photo : ILICH MEJIA
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Quand Carl-Edwin Michel a fondé Northern Arena, en 2016, le sport électronique était déjà bien ancré dans plusieurs pays d’Asie, mais encore méconnu au Canada. Il s’est lancé à pieds joints dans l’aventure, et tente par tous les moyens d’ouvrir l’industrie vidéoludique à plus de diversités. Rencontre (virtuelle) avec cet entrepreneur amoureux des jeux vidéo.
La passion du Torontois Carl-Edwin Michel pour les jeux vidéo est insatiable. Pour preuve, ce joueur chevronné – mais pas un compétiteur – a porté à bout de bras les Canadian Game Awards en 2020, ce nouvel événement qui prend le relais des Videogame Awards, après cinq ans sans récompenses pour l’industrie vidéoludique d’ici.
Une branche qui s’ajoute à son entreprise Northern Arena, qui organise déjà depuis cinq ans des tournois de sport électronique, entraîne l’équipe de cyberathlètes Mirage et produit SQUAD et Hud, des émissions qui portent sur cet univers.
Pourtant, au milieu de la dernière décennie, si des stades entiers se remplissaient déjà d’adeptes de sport électronique en Asie désirant voir en direct des joueurs et joueuses s’affronter et fracasser des records, la situation était bien différente au Canada.
Un coup de cœur pour le sport électronique
Cette discipline est entrée dans la vie de l'entrepreneur Carl-Edwin Michel quelque part en 2014, alors que Swaf (soif en créole), son ancienne entreprise de Toronto, a été sollicitée pour produire un événement pour les Canadian Videogame Awards, cette cérémonie qui récompensait jusqu’en 2015 l’industrie du jeu vidéo au pays.
[Quand j’ai proposé une compétition de sport électronique], les gens me regardaient avec des gros yeux, et moi, je leur disais : "Oui, c’est super hot. Ces gens-là s'entraînent, ils ont le soutien d’une équipe derrière eux, des coachs et même des entraîneurs physiques"
, raconte-t-il.
[L’organisation] avait certainement l’image du joueur boutonneux avec son sac de chips dans le sous-sol de sa maman
, ajoute-t-il en s’esclaffant.
Carl-Edwin Michel est non seulement parvenu à les convaincre, mais il s’est lui-même aperçu du potentiel de cette discipline au Canada. Ce qui au départ était une histoire d’un soir s’est finalement transformé en relation à long terme.
Il a donc profité des Canadian Videogame Awards pour annoncer qu’il lançait sa propre affaire : Northern Arena.
Je rêvais d’avoir quelque chose d’un peu plus grandiose dans le monde du sport électronique ici.
Et c'est mission accomplie : aujourd’hui, l'entreprise compte une équipe de dizaines de personnes et ne cesse d'étendre ses champs d'activité.

Northern Arena a rempli le Centre Bell avec un événement de sport électronique en 2016.
Photo : Northern Arena
Northern Arena a même rempli le Centre Bell en 2016 avec une compétition de sport électronique, quelque chose qui ne s’est pas reproduit encore dans le domaine au Québec
, dit l’entrepreneur, encore très fier de cet accomplissement.
Un joueur stratégique
Mais avant de connaître le succès, Carl-Edwin Michel a dû placer les pièces au bon endroit sur l’échiquier.
Quand j’ai démarré mon entreprise, mon premier partenaire d’affaires, c’était un homme blanc d’un certain âge. J’ai fait exprès, parce que je savais que d’aller dans une réunion avec lui me donnerait plus de crédibilité
, lance-t-il, après un moment de réflexion.
Je n’aurais pas pu m’asseoir seul dans les bureaux de Bell, et être aussi crédible.
D’un naturel positif et optimiste, l’entrepreneur ne peut s’empêcher de repenser à ces moments où il était sur le point de signer une entente et que le contrat s’envolait, sans explications.
Le nombre de fois qu’on s’est retourné vers mon employé blanc pour parler au "patron", malgré que c'était moi le patron
, se remémore l'homme d'affaires.
Si je compare mon chemin à celui d'une personne blanche qui a commencé en même temps que moi, celle-ci est allée plus loin que moi, j’en suis certain.
Malgré les frustrations que ça peut causer, le fondateur de Northern Arena ne s’est jamais laissé abattre par de tels comportements : Je ne m'arrête pas à ça, et c’est ce qui fait mon succès. Je parle à une personne et on essaie de créer quelque chose de cool ensemble. C’est comme ça que je vois les choses.
Un coup de pied pour la diversité
Ce principe, il l’applique aussi dans sa propre compagnie, où il met tout en place pour que les scénarios discriminatoires ne soient pas perpétrés.
Dès que je peux donner mon aide là-dessus, je le fais
, insiste-t-il.
À preuve, le prochain événement Black Game Pros Mixer organisé par Ubisoft Toronto, qui rassemble la communauté noire dans le domaine du jeu vidéo autour d’événements de réseautage et de tables rondes, sera produit gratuitement par Northern Arena.
L’objectif de Black Mixer, c’est de dire à la communauté noire : il y en a d’autres comme toi, et on est tous contents de travailler dans l’industrie du jeu vidéo.
Selon lui, la récente vague du mouvement Black Lives Matter a aussi éveillé les consciences sur la place des personnes noires dans les entreprises, et l’industrie vidéoludique n’y échappe pas.
J’essaie de faire comprendre [à mes partenaires d'affaires] que le fait de miser sur la diversité dans leurs équipes, ça leur donne accès à une clientèle à laquelle ils n’auraient pas eu accès autrement
, explique-t-il.

L'entreprise de Carl-Edwin Michel, Northern Arena, se spécialise dans le sport électronique.
Photo : Ubisoft Canada
Il n’y a rien de mal avec des blancs qui travaillent à développer un jeu, ils vont mettre leur réalité de l'avant, mais avec des personnes noires, ça fait des choses intéressantes aussi
, précise-t-il.
Et même si pour Carl-Edwin Michel, il est tout naturel de laisser de la place à des personnes racisées dans son équipe, il admet qu’il pourrait lui-même en faire plus.
Il faut vraiment qu’on ait une application plus poussée. Et j’y travaille
, avoue-t-il.
Récompenser la diversité
Ça se reflète même dans l’organisation des Canadian Game Awards, cette cérémonie qu’il a remise à l’avant-scène en 2020 pour récompenser l’industrie vidéoludique.
En tant que producteur exécutif, il assiste à toutes sortes de réunions pour cette cérémonie de prix, et c’est surtout là qu’il a réalisé le chemin qu’il restait à parcourir en matière de diversité dans ce domaine qu’il chérit tant.
À chaque fois que j’allais dans une rencontre, je me rendais compte que j’étais le seul Noir. Ça m'a fait comprendre que wow, il faut faire quelque chose.
Bien que la première mouture de l’événement n’ait pas été sans peine pour l’entrepreneur, notamment en raison de la pandémie, il se met déjà au travail sur la planche à dessin pour la suite.
D’ici la prochaine cérémonie, Carl-Edwin Michel compte développer deux nouvelles catégories, soit pour récompenser l’entreprise qui en a le plus fait pour la diversité et l’inclusion, et souligner le rayonnement d’une personne racisée dans l’industrie.
Je veux montrer que des personnes issues de la diversité font des choses extraordinaires et qu’on le souligne.
L’entrepreneur est en quelque sorte en train de créer ce qu’il aurait aimé voir plus jeune, alors qu'il croyait que cette industrie n’était pas pour lui.
Ça m'a poussé à me dire que c'est important de créer ces opportunités. Et je pense que ça doit être un peu forcé pour que ça devienne naturel, comme un coup de pied de départ pour ouvrir des portes à certaines personnes
, souligne Carl-Edwin Michel.
En ce moment, j’ai le pouvoir de faire changer les choses. Je ne déplace pas de montagnes, mais je peux les utiliser
, image l'entrepreneur.