Une journée au secondaire en pandémie
Alors que la plupart des écoles de la région ferment leurs portes aux journalistes pour des raisons sanitaires, nous avons eu accès au Séminaire Saint-Joseph pendant une journée entière.

David Marchand, enseignant en histoire, profite de la présence en classe de ses élèves pour réviser les notions.
Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé
Imaginez une école où il n’y a pas d’activités parascolaires, où vous ne pouvez socialiser qu’avec les élèves de votre classe et où vous devez porter un masque en permanence, même dans les cours d’éducation physique. Pas jojo? C’est pourtant le quotidien des jeunes qui fréquentent actuellement l’école secondaire en zone rouge au Québec.
Il faut dire d’abord que de visiter une école ces jours-ci, en Mauricie, n’est pas à la portée de tous. Pour des raisons sanitaires, les centres de services scolaires du Chemin-du-Roy et de l’Énergie refusent l’accès à leurs établissements aux journalistes pour ne laisser entrer que les élèves, les enseignants et quelques visiteurs triés sur le volet.
Le Séminaire Saint-Joseph, une école privée de Trois-Rivières, a néanmoins bien voulu m’accueillir (moi, mon microphone et mon masque N95), pour témoigner des sacrifices que font quotidiennement leurs jeunes de 12 à 17 ans pour lutter contre la transmission du virus. L’an dernier, autour de 90 élèves et membres du personnel de cette institution étaient déclarés positifs à la COVID-19. Au séminaire, en toute connaissance de cause, on ne conteste pas les mesures sanitaires. On les applique.
7 h : Piger dans la boîte à masques
Les élèves du Séminaire Saint-Joseph doivent se plier aux directives de la santé publique dès leur réveil. Chaque matin, avant même de quitter la maison, ils doivent remplir sur le site Internet de l’école un formulaire d’auto-évaluation des symptômes de la COVID-19.
Ils glissent ensuite dans leur sac à dos au moins deux masques de procédure : l’un pour la matinée, l’autre pour l’après-midi, qu'ils doivent porter dès leur embarquement dans l’autobus.
Heureusement pour eux (et pour le portefeuille des parents), c’est le ministère de l’Éducation qui fournit près de 10 000 masques jetables par semaine aux 740 élèves et 80 membres du personnel du séminaire.
Curieux de savoir ce qu’il advient de tous ces masques une fois utilisés? Des boîtes de recyclage sont situées dans des lieux stratégiques de l’établissement pour les recueillir. Ils sont ensuite envoyés à la compagnie Terracycle, qui se charge d’en disposer de manière écologique.
8 h 30 : une première période en édu
Le cours d’éducation physique est sans doute le plus affecté par les mesures sanitaires imposées depuis un mois aux élèves du secondaire. Le port du masque en tout temps a considérablement changé la donne.
Par exemple, les élèves de la concentration football doivent s’entraîner avec un masque sous leur casque avec tout l'inconfort que ça occasionne. Qui plus est, ils ne peuvent pas disputer une partie de football sur le terrain de l’école.
Pour éviter la transmission du virus par les aérosols, ces particules microscopiques en suspension dans l'air, ces jeunes sportifs s'en tiennent plutôt à un effort physique modéré.
Ça permet de faire moins de choses. On pratique un peu moins. On pratique juste une fois par semaine.
Les joueurs de volleyball font face, quant à eux, à un autre genre de contrainte. Non seulement le port du masque limite leur respiration, mais ils doivent s’assurer de conserver une distance adéquate entre les membres d’une même équipe.
C’est ce qui importune le plus Emrick Genest : L’ambiance est différente. On essaie de plus se restreindre et de moins se coller, parce qu’au volley, c’est sûr qu’on se tape dans les mains tout le temps.
Cela dit, le cours d’éducation physique demeure le seul moment où ces jeunes peuvent pratiquer des sports d’équipe. Pandémie oblige, toutes les activités parascolaires, dont les sports étudiants, ont été annulées cette année. C’est d’ailleurs ce qui manque le plus aux élèves que j’ai rencontrés dans les corridors du séminaire.
J’ai de la misère un peu à me concentrer des fois. Moi, il faut que je bouge. J’ai hâte de rebouger et de pouvoir revenir à la normale.
9 h 30 : deuxième période en histoire
Si ce n’était des masques obligatoires pour la trentaine d’élèves de la classe de monsieur Marchand, on se croirait presque dans un monde pré-pandémique
. Quelques détails nous ramènent toutefois à la réalité.
L’enseignant en histoire doit porter des lunettes de protection en permanence. Il doit aussi accepter d’enseigner dans un local pour le moins impersonnel. Pour éviter la transmission du virus, ce ne sont plus les élèves qui se déplacent d’une salle à l’autre entre les cours, mais bien les enseignants. Par conséquent, finies les lignes du temps accrochées aux murs en histoire ou les jolies cartes décorant le local de géographie.
Un courant d’air attire soudainement mon attention. Derrière moi, une fenêtre laissée entrouverte pendant toute la durée du cours sert à assurer une meilleure circulation de l’air.
10 h 40 : une troisième période virtuelle en mathématiques
Au Québec, en zone rouge et en zone orange, les élèves de 3e, 4e et 5e secondaire alternent de jour en jour entre l’enseignement à l’école et à la maison.
Par conséquent, dans des locaux du séminaire, on assiste à cette scène étrange où un enseignant s’évertue à transmettre sa matière devant une petite caméra et une mosaïque d’images. Les élèves se donnent parfois la peine d’ouvrir leurs propres caméra et microphone pour interagir avec leur tuteur, mais ce n’est pas toujours le cas.
Ce qui est difficile, c’est qu’ils soient à la maison. Qu’ils ne soient pas devant moi. Que je ne puisse pas voir leur visage. Que je ne puisse pas voir : "Ah, je comprends!"
De son côté, l’enseignant en science et technologie, Jean Leclerc, constate que les résultats de ses élèves sont demeurés stables malgré la distance. Or, le bonheur qu’il avait à enseigner n’est plus le même : Passer une heure devant un mur noir, une collection de pastilles de couleur, certaines où l’on ne voit que les initiales de l’élève, c’est un petit peu démoralisant.
Même son de cloche du côté des jeunes rencontrés de l’autre côté de la caméra.
C’est sûr que c’est très difficile. Ça dépend des personnes. Il y en a qui sont déconcentrés par leur cellulaire. Ça dépend aussi d’où tu t’installes, d’où tu suis tes cours.
11 h 50 : la pause du dîner
La cloche annonce enfin l’heure du lunch. D’instinct, on pourrait croire que c’est le moment pour ces jeunes de prendre une pause de toutes ces mesures contraignantes qu’on leur impose durant les cours. C’est pourtant tout le contraire.
Impossible pour eux de socialiser avec des élèves d’autres bulles-classes. Des lignes jaunes au sol et des rubans de sécurité divisent chacun des groupes. En d’autres mots, les jeunes doivent partager leurs repas avec ces mêmes personnes qu’ils côtoient en classe quotidiennement.
Michelle Carvajal-Sanchez se retrouve cette année dans une bulle-classe presque entièrement constituée de garçons : Mes amies sont dans l’autre groupe, puis quand même, je m'ennuie. Des fois, je veux manger avec elles, mais je ne peux pas.
Le masque en soi représente un obstacle pour certains.
Je m’ennuie un peu de voir tous les visages des personnes. Puis des fois, j’ai de la misère à les entendre, donc c’est un peu plate.
L’heure du dîner est d’ailleurs le moment de changer le masque usé de la matinée pour un couvre-visage tout neuf.
13 h : le cours de musique
Bien que les cours de musique aient toujours lieu, le nombre d’élèves qui y assistent est considérablement réduit. Les groupes sont divisés en deux ou en quatre, ce qui diminue la taille de l’orchestre.
Tout comme en éducation physique, le risque que des gouttelettes se propagent autour des instrumentistes impose certaines règles d’hygiène. La distance de deux mètres entre les musiciens doit être impérativement respectée.
Ce jeune clarinettiste n’avait sans doute pas conscience de la chance qui l’attendait quand il a fait ce choix en début d’année. En effet, seuls les joueurs d’instruments à vent peuvent retirer leur masque pendant la majeure partie du cours.
14 h 15 : dernière période en laboratoire
En pleine pandémie, les expériences que les élèves du secondaire réalisent en laboratoire doivent elles aussi être réinventées
.
Comme l’explique la technicienne en travaux pratiques, Dominique Salva : Il a fallu réévaluer tous les laboratoires que l’on fait d’habitude. On a dû en enlever plusieurs qui n’étaient pas adaptés à la situation.
De nouvelles tâches se sont également ajoutées à son travail quotidien.
Il faut désinfecter l’ensemble du matériel. Les étaux, les chaises et tout. Nous, ça augmente beaucoup notre travail.
En terminant la journée, j’effectue un détour par les bureaux du directeur général du Séminaire Saint-Joseph, Dany Dallaire.
Même s’il se dit très satisfait de la façon dont ses élèves et son personnel appliquent les directives de la santé publique, Dany Dallaire constate aussi l’envers de la médaille.
Tout ce qui est motivation, persévérance scolaire, de voir leurs amis, de réaliser leur passion, c’est sûr que c’est brimé présentement.
Toutefois, force est de constater que les mesures mises en place portent leurs fruits : aucun cas de COVID-19 n’a été déclaré au séminaire depuis le début de l’année 2021.