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Le dernier refuge : une soirée avec des itinérants

Daniel demande refuge pour la nuit à l’Accueil Poirier

Daniel demande refuge pour la nuit à l’Accueil Poirier

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

La neige tombe à Sherbrooke, mais la température est douce, moins glaciale que les jours précédents. Il est environ 19 h. À l’Accueil Poirier du Partage St-François, un itinérant frappe à la porte.

Lysabel, l’intervenante sociale en poste, lui ouvre. C’est Daniel, un visage connu. Elle lui pose quelques questions avant de l’autoriser à entrer. Elle doit évaluer son état général, puis s’assurer qu’il est dans de bonnes dispositions pour se mêler au groupe à l’intérieur. Daniel avoue vouloir se mettre en lieu sûr après avoir assisté à une violente agression au centre-ville. 

J’ai vécu de quoi de perturbant aujourd’hui. J’ai vu un jeune de 22 ans manger une très grosse volée au point de finir à l’hôpital pour une dette de 20 dollars. Ça m’a fait de quoi. Ça m’a vraiment perturbé, lui avoue-t-il.

Lysabel le rassure en lui disant qu’il a pris la bonne décision de venir au refuge. Avant d’aller plus loin, il dépose son manteau et ses effets personnels dans un sac. Ils lui seront remis le lendemain matin, à son départ. 

On n’a pas de punaises de lit. On n’en veut pas. On est super strict là-dessus. Tout ce qui est en tissu, soit on le lave, soit on le met dans un sac, explique Lysabel.

Daniel met ses effets personnels dans un sac

«On n’a pas de punaises de lit. On n’en veut pas. On est super strict là-dessus. Tout ce qui est en tissu, soit on le lave, soit on le met dans un sac.»

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Chaque résident est accueilli, un après l’autre. Selon les règles de la maison, Daniel doit vider ses poches et garder avec lui seulement ce qui lui est nécessaire.

Lysabel : Est-ce que tu as vidé tes poches? As-tu des médicaments, de la conso? 

Daniel : Non, rien de ça! 

Daniel continue toutefois de chercher quelque chose dans ses poches.

L. : Qu’est-ce qui te manque?

D. : Non, c’est beau, mon briquet.

L. : Mets-le dans la boîte pendant que tu vas dans la douche. 

D. : C’est parce que…

L. : J'aimerais que tu vides tes poches, Daniel!

D. : Non, c’est correct, j’aime autant le garder!

L. (sur un ton ferme) : J'aimerais que tu vides tes poches, Daniel!

L’intervenante veut vraiment s’assurer qu’il n’a pas de stupéfiants dans ses poches. Si c’est le cas, ils seront consignés jusqu’à son départ, le lendemain matin. 

D. : Oui? Ok...Ok…

Il dépose son briquet et des bouts de cigarettes.

L. : Est-ce qu’il y a d'autres choses dans tes poches?

D. : Non!

L. : Parfait! Je vais serrer ça. Ton lit n’est pas fait. On va le faire pendant que tu seras dans ta douche. Bonne douche, Daniel. On t’amène des vêtements propres dans deux minutes.

Daniel vide ses poches

Daniel doit vider ses poches à son arrivée au refuge

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

L’histoire de Daniel est comme celle de bien des itinérants. Il lui arrive d’être absent du refuge pendant un certain temps. Il dort alors dans une chambre qu’il réussit à louer, ou il s'abrite sous un pont. Puis, il revient à l’Accueil Poirier.

Je ne dirais pas que les problèmes ne se règlent pas. Je dirais qu’il faut voir les petites victoires. Pour certaines personnes, être en appartement un mois, c’est une victoire. Pour certaines personnes, de réussir à fonctionner à l’Accueil Poirier, de ne pas consommer pendant les 14 heures qu’elles sont ici, c’est une victoire, souligne Lysabel.

Lysabel Graveson, intervenante sociale

Lysabel Graveson, intervenante sociale

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

« Des fois, c’est une personne qu’on devait expulser fréquemment à tous les deux jours [qui] finalement réussit à rester plusieurs semaines ou plusieurs mois. Il faut voir plus les petits progrès. C’est là-dedans qu’on trouve la motivation.  »

— Une citation de  Lysabel Graverson, intervenante sociale

L’Accueil reçoit environ 500 personnes différentes pour 10 000 nuitées par année. C’est un peu le bout de la route. Le refuge des échappés du système. Des personnes qui, comme Daniel, sont aux prises avec des problématiques multiples, et pour qui reprendre une vie normale est devenue presque impossible.

Il y a des gens qui comprennent, qui sont empathiques avec nous autres. Il y en a d’autres qui pensent que l’itinérant a choisi de l’être. Non, non, on ne choisit pas de l’être. Les circonstances de la vie nous amènent là. On se réveille un jour et on est là, souligne Daniel.

Une itinérance aux visages multiples

Dans la salle commune, quelques habitués regardent l’épisode du jour de District 31. C’est la messe, un moment sacré, selon les intervenants.

Le Partage St-François ne limite pas l’accès à son refuge. Une personne peut y rester des semaines, si elle le désire. François est un habitué depuis des années. Il passe la plupart de son temps dans la rue, et ramasse des canettes pour se faire un peu d’argent. Il me confie d’emblée qu’il est un alcoolique. Il a bu dans la journée avant d’arriver au refuge, et il est encore sous l’effet de l’alcool. Mais, comme il le dit, ils sont tolérants, si t’es tranquille

François (en avant-plan), Roger et Yvon dans la salle commune de l’Accueil Poirier

François (en avant-plan), Roger et Yvon dans la salle commune de l’Accueil Poirier

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Yvon, lui, est là depuis presque un mois. Il est de passage, me confie-t-il. C’est son premier séjour à l’Accueil, et c’est temporaire, à la suite d’une séparation avec sa conjointe. C’est une solution de dépannage, le temps de pouvoir accéder à son nouveau logement, à partir du mois de mars. Il a même un travail qui s’en vient. Yvon demeure l’exception, parce que la plupart des usagers sont coincés dans un système de porte tournante. Mon passage ici est très apprécié, et le personnel est vraiment impeccable

Il y a aussi Roger. Malgré son sourire et son ton blagueur, il écrit des pensées qui dévoilent une préoccupation bien réelle pour les gens de la rue. 

Je n’ai pas peur de mourir de faim, mais de mourir gelé

Et de ne plus sentir mon corps

Mes mains, mes pieds et d’y sentir tout ça 

Avec toute ma tête et d’être conscient

Et plus tard, tomber en hypothermie.

- Texte écrit par Roger

Roger présente un texte qu'il a écrit

Roger écrit ses pensées, qui expriment les préoccupations des gens de la rue

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Le Partage St-François est justement là pour offrir un peu de sécurité à des gens qui n’ont plus rien. Comme le souligne son directeur général, Sébastien Laberge, l’organisme fait un travail humanitaire auprès des sans-abris. 

« On ne peut pas laisser le monde crever dans la rue. Il faut le faire, ce travail-là. C'est un choix de société. C'est un principe d'équité pour tous. Moi, j'y crois!  »

— Une citation de  Sébastien Laberge, directeur général du Partage St-François

Daniel est de retour de la douche. Il porte des vêtements propres, prêtés par l’Accueil. Les siens seront lavés dans la soirée. C’est le moment de manger un repas chaud. La pandémie a quelque peu compliqué les choses. Avant, une fois à l’intérieur, les gens pouvaient circuler beaucoup plus librement. Ils se servaient eux-même leur repas et leur café. Aujourd’hui, le service est compris. C’est l’un des nombreux aspects qui rendent la gestion des opérations plus compliquée pour le personnel, qui en a déjà plein les bras.

Daniel en train de souper au refuge

«J’ai de la misère à m'en remettre, ben d' la misère, ben ben d' la misère.»

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Des possibilités pour se remettre sur pied

Une fois l’accueil des résidents terminé, c’est le moment du vivre ensemble. Les intervenants sont plus disponibles pour discuter avec les usagers. En plus, c’est une soirée tranquille, comme c’est toujours le cas au début du mois. Avec un chèque en poche, certains choisissent de se loger temporairement et d’autres de consommer. Certains ont des demandes bien précises à formuler. Le rôle du personnel est de les orienter vers les services appropriés : soit ceux offerts par le Partage St-François, par d’autres organismes communautaires ou par le système de santé et de services sociaux. 

Âgé de 54 ans, Daniel entretient toujours l’espoir de s’en sortir un jour, même si sa vie est hors normes depuis longtemps. Père de deux garçons devenus ingénieurs, il s’est séparé de leur mère, il y a 14 ans. C’est alors que sa vie a basculé, raconte-t-il. J’ai de la misère à m'en remettre, ben d'la misère, ben ben d'la misère.

Lui-même instruit, il affirme qu’il était enseignant en informatique dans son ancienne vie. Il y a eu la séparation, mais aussi des mauvais choix et de mauvaises fréquentations, comme il le dit. Il a abusé des drogues, mais constate aujourd’hui qu’il n’a plus la capacité d’en consommer. Il se déplace avec une canne. Il déplore être bien magané physiquement.

Mon but c’est vraiment de pouvoir un jour dire bye à tout ça. Subvenir à mes besoins par moi-même, comme je le faisais quand j’avais une famille. Est-ce que je m’y crois capable? Des journées oui, des journées non. On a tous de bonnes et de pas bonnes journées.

« Je fais des efforts. J’essaie de changer mon attitude. J’ai longtemps été un homme frustré, fâché contre la société. »

— Une citation de  Daniel

Une façon pour Daniel de reprendre graduellement le contrôle de sa vie serait d’obtenir une place dans les logements de réinsertion du Partage St-François, la Maison Wilfrid-Grégoire. Pour y arriver, il doit faire ses preuves auprès des intervenants, montrer qu’il est capable d’une certaine stabilité. Sébastien, le directeur général du refuge, lui confirme que cette éventualité est envisageable.

Sébastien, directeur général du Partage St-François, et Daniel

Daniel discute avec Sébastien, directeur général du Partage St-François

Photo : Radio-Canada / André Vuillemin

Ça fait deux semaines que t’es revenu? Mettons, on se donne encore deux semaines pour voir si ça va bien. Tu peux déjà en parler avec Marco [intervenant responsable de la Maison]. Ce serait déjà un premier bon pas, explique Sébastien.

L’Accueil Poirier est un lieu pour manger et dormir, mais aussi, pour plusieurs, un lieu pour fraterniser. Certains, comme Daniel, préfèrent rester à l’écart, sans trop se mêler. La journée a été longue. Être dans la rue toute la journée, comme le précise Daniel, ça brûle de l’énergie, c’est fatigant. Un peu passé 20 h, il est déjà au lit pour la nuit. Il sera debout le lendemain matin vers 6 h, et à 8 h, il devra quitter les lieux. Il retournera dans la rue, mais la porte du refuge lui sera de nouveau ouverte, plus tard en fin de journée, s'il le désire.

Les Services du Partage St-François pour les personnes itinérantes

  • L’Accueil Poirier : refuge d’urgence pour hommes et femmes
  • La Maison Wilfrid-Grégoire : hébergement de réinsertion pour hommes
  • La Maison Marie-Jeanne : hébergement de réinsertion pour les femmes et les personnes transgenres
  • Le Transit : hébergement 24/7 pour les personnes référées par la Ciusss de l’Estrie-CHUS
  • Service de dégrisement 24/7
  • Le Comptoir : plateau de travail et vente de vêtements et de meubles
  • Boîtes à lunch offertes 24/7
  • Distribution de seringues, de préservatifs et trousses de naloxone pour les overdoses 24/7

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