Sans surprise, le Sénat américain juge constitutionnel le procès en destitution
Le représentant Jamie Raskin est celui qui dirige l'équipe de la mise en accusation.
Photo : Reuters / Télévision du Sénat
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pour la quatrième fois de l'histoire politique américaine, s'est ouvert, mardi, un procès contre un président accusé de « crimes et délits majeurs ». Pour la deuxième fois, c'est Donald Trump, tout juste parti du pouvoir, qui se trouve au banc des accusés.
C'est justement le fait qu'il n'est plus président qui s'est trouvé au centre des discussions qui ont lancé la procédure : peut-on faire le procès en destitution d'un responsable qui n'est plus au pouvoir?
Après avoir entendu les avocats des deux camps présenter leurs arguments sur cette question, les sénateurs ont répondu par l'affirmative, selon des lignes largement partisanes : 56 sénateurs, dont 6 républicains, ont jugé le procès constitutionnel, contre 44 qui ont conclu le contraire.
Le procès de Donald Trump, accusé d'« incitation à l'insurrection » dans la foulée de l'assaut du Capitole du 6 janvier par des centaines de ses partisans, pourra donc aller de l'avant, comme prévu.
L'argument de l'inconstitutionnalité pourrait toutefois être invoqué ultérieurement par des sénateurs républicains pour acquitter le président.
Les trois heures et quelques de débat n'auront changé l'opinion que d'un seul républicain, Bill Cassidy. Ses collègues Mitt Romney, Lisa Murkowski, Ben Sasse, Susan Collins et Pat Toomey ont de nouveau jugé le procès constitutionnel.
Après avoir exprimé une opinion contraire au cours du vote tenu il y a deux semaines, Bill Cassidy a expliqué que les avocats de la défense n'avaient pas parlé de l'enjeu qui devait être débattu.
Les responsables de la Chambre des représentants avaient un point focal, ils étaient organisés. Ils se sont appuyés à la fois sur les précédents, la Constitution, et les opinions des [juristes]. Leur argumentaire était convaincant. L'équipe du président Trump était désorganisée
, a reconnu le sénateur de la Louisiane.
« Les avocats de la défense ont tout fait, sauf parler de la question qui devait être débattue, et quand ils en ont parlé, ils l'ont tout juste effleurée, presque comme s'ils étaient gênés de leurs arguments. »
Le premier avocat à avoir pris la parole, Bruce Castor, a offert un plaidoyer décousu et peu étayé, qui évacuait l'aspect constitutionnel.
Je n'arrivais pas à comprendre où il allait
, a déclaré la sénatrice Lisa Murkowski, qui a elle aussi estimé la procédure de destitution valide. Il a passé 45 minutes à aller quelque part, mais je ne pense pas qu'il nous ait aidés à mieux comprendre son point de vue sur la constitutionnalité
du procès, a-t-elle dit dans des propos cités par CNN.
Le peu d'importance accordée à cet enjeu par la défense surprend d'autant plus qu'elle fait de l'inconstitutionnalité alléguée de la procédure l'argument central de son plaidoyer.
Selon CNN, l'ex-président, depuis sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, était furieux de la performance de ses avocats, pestant presque contre son téléviseur.
Les deux avocats de la défense qui se sont exprimés, Bruce Castor et David Schoen, ont dû, presque à la dernière minute, prendre le relais des avocats qui avaient initialement été choisis.
Une dizaine de jours avant le procès, les cinq avocats de Donald Trump avaient laissé tomber le dossier, entre autres parce qu’ils refusaient d’invoquer des fraudes électorales, selon plusieurs médias américains.
Les deux camps plantent le décor
La Constitution interdit au président de commettre des crimes et délits majeurs, a rappelé d'emblée le représentant démocrate Jamie Raskin, qui dirige l'équipe de mise en accusation.
Le Sénat a le pouvoir de juger toutes les personnes mises en accusation
, a souligné le représentant du Maryland, un ancien professeur de droit constitutionnel, citant le document fondateur.
Poser un geste passible d'une destitution dans les derniers jours de son mandat ne confère pas l'immunité, a-t-il martelé, réitérant un argument déjà exposé par les procureurs dans leurs deux mémoires préparatoires déposés devant le Sénat depuis la semaine dernière.
« Ces pouvoirs [de destitution prévus par la Constitution] doivent s'appliquer même si le président commet ses délits au cours des dernières semaines de son mandat. En fait, c'est précisément à ce moment que nous en avons le plus besoin, car c'est à ce moment que les élections peuvent le plus faire l'objet d'attaques. »
Les présidents ne bénéficient pas d'une exception pour janvier
, a-t-il affirmé, avant de présenter une vidéo d'une douzaine de minutes illustrant la chronologie des événements avec des images du discours de Donald Trump et de l'assaut du Capitole.
Recourant à une rhétorique guerrière, Donald Trump avait refusé de concéder la victoire et appelé ses partisans à converger vers le Capitole.
La vidéo, ponctuée par des cris de manifestants pro-Trump qui hurlaient [Mike] Pence est un traître!
, en référence à l'ancien vice-président qui avait accompli son rôle constitutionnel en validant la victoire de Joe Biden, ou encore Combattons pour Trump
ou Arrêtez le vol!
s'est terminée par un tweet de Donald Trump, envoyé le 6 janvier à 18 h 01.
C'est ce qui arrive quand une victoire écrasante
est si vicieusement
volée à de grands patriotes
, avait écrit le président sortant.
Vous demandez ce que constitue un crime et délit majeur en vertu de la Constitution
, a lancé Jamie Raskin, après la diffusion des images de violence.
« Voilà ce qui est un crime ou un délit majeur. Si ce délit ne peut pas être sanctionné par une destitution, alors aucun ne peut l'être. »
Sénateurs, cela ne peut pas être notre avenir. Cela ne peut pas être l'avenir de l'Amérique
, a-t-il plaidé, évoquant les victimes et les blessés de l'invasion du Capitole.
Sur une note personnelle, le procureur en chef, ému, a en outre regretté que sa fille et son gendre qui étaient là pour le soutenir, aient craint pour leur vie. Il a précisé que la session conjointe du Congrès, réuni le 6 janvier pour compter les voix du Collège électoral, s'était déroulée le lendemain des funérailles de son fils.
Joe Neguse a pour sa part énuméré des experts conservateurs, notamment de la Federalist Society, qui ont exprimé publiquement leur conviction au cours des derniers jours que le procès est constitutionnel.
Il a aussi évoqué l'exemple de William Belknap, qui avait démissionné de son poste de secrétaire de la Guerre peu avant sa mise en accusation, en 1876. Le Sénat avait pourtant statué à 37 voix contre 29 que le procès en destitution visant l'ex-secrétaire était valide.
Citation à l'appui, M. Neguse a aussi argué que les procédures de destitution prévues par la Constitution visent deux objectifs, et ne pas tenir de procès envers un ancien président parce qu'il n'est plus en poste priverait le Sénat de la deuxième responsabilité qui lui incombe.
« Les condamnations prononcées en cas de mise en accusation ne pourront excéder la destitution et l’interdiction d’occuper tout poste de confiance ou d’exercer toute fonction honorifique. »
La plupart des experts qui ont étudié la question concluent eux aussi que des présidents qui commettent un crime ou un délit majeur à la fin de leur mandat ne devraient pas être à l’abri du processus que la Constitution a créé pour qu’ils rendent des comptes.
Les événements du 6 janvier n'ont pas émergé du néant, a par ailleurs déclaré David Cicilline : Le contexte importe.
Il a entre autres rappelé une des phrases lancées par Donald Trump pendant son premier débat avec Joe Biden, au sujet d'un groupe paramilitaire suprémaciste : Proud Boys, reculez et tenez-vous prêts.
Les démocrates ont aussi fait valoir que la Chambre des représentants avait mis en accusation Donald Trump quand il était encore au pouvoir.
Plaidoyer de la défense pour faire avorter le procès
Bruce Castor, premier membre de la défense à s'exprimer, a éventuellement indiqué que l'ordre des avocats de Donald Trump avait été interchangé en raison de la qualité de la présentation des procureurs.
Les procureurs se sont montrés des orateurs brillants
, a-t-il dit, ajoutant toutefois ne pas comprendre
pourquoi ils ont peur des Américains
. Les démocrates ont mis en accusation Donald Trump uniquement dans l'espoir qu'il ne pourra plus se représenter, a-t-il dit.
« En vérité, nous sommes ici parce que la majeure partie de la Chambre des représentants ne veut pas avoir Donald Trump comme rival politique à l'avenir. »
Alors qu'il plaidait qu'il fallait faire confiance au peuple américain, il a étonnamment reconnu implicitement que Joe Biden avait remporté l'élection, ce que n'a jamais reconnu son client : Les gens se fatiguent d'une administration dont ils ne veulent pas et ils savent comment la changer – et ils viennent juste de le faire.
Donald Trump a pourtant crié à la fraude électorale pendant des mois, assurant qu'il avait remporté l'élection présidentielle dès le soir du scrutin. Il n'a d'ailleurs jamais concédé la victoire, rompant ainsi avec une tradition démocratique.
Un deuxième procès en destitution en 13 mois ouvrirait les vannes
à de futures mises en accusation, a-t-il avancé.
S'avançant sur le terrain des arguments qui seront invoqués par la défense lors des plaidoiries d'ouverture, il a fait du discours du 6 janvier de Donald Trump une question de liberté d’expression, soutenant que toute l'équipe de la défense dénonçait la violence de l'invasion du Capitole.
Dans les premières heures, l'ancien président avait, dans une vidéo, appelé ses manifestants à rentrer chez eux, glissant au passage qu'il les aimait
.
Bruce Castor a par ailleurs rejeté l'argument de l'impunité en fin de mandat, estimant qu'un ancien président pouvait être poursuivi au criminel.
Le ton a monté lorsque son collègue David Schoen a pris le relais, accusant les démocrates d'avoir privé son client d'une procédure équitable
et leur reprochant d'avoir précipité le processus.
David Schoen, brandissant une copie du Petit Livre rouge de Mao devant les sénateurs.
Photo : Reuters / Télévision du Sénat
Il a même brandi le Petit Livre rouge de Mao Zedong pour marquer son argument, comparant la procédure de destitution lancée par les démocrates à un processus digne des régimes autoritaires.
Ils ont lancé un procès politisé alimenté par la haine
et font passer le parti avant le pays
, a-t-il dit. Dix républicains s'étaient rangés derrière les démocrates.
La tenue d'un procès augmenterait les risques de violence, a en outre affirmé Me Schoen, plaidant pour l'abandon du chef d'accusation. Un procès en destitution empêcherait la nation de guérir, a-t-il soutenu, évoquant visiblement la guerre de Sécession.
« Ce procès va déchirer ce pays, peut-être comme nous ne l'avons vu qu'une seule fois dans notre histoire. »
Plusieurs Américains voient ce processus exactement pour ce qu'il est : l'occasion pour un groupe de politiciens partisans d'éliminer Donald Trump de la scène politique américaine et de priver de leur droit de vote plus de 74 millions d'électeurs américains
, a déclaré Me Schoen.
L'ex-président avait pourtant tenté de faire annuler les voix de millions d'Américains ayant voté pour son rival démocrate dans des États clés.
Le Sénat n’a pas la compétence de démettre de ses fonctions un homme qui n'est plus au pouvoir, a aussi affirmé Me Schoen, qui a demandé aux élus de refuser de tenir le procès.
Lorsque la Chambre avait voté pour la mise en accusation de Donald Trump, à la mi-janvier, celui qui était alors leader de la majorité au Sénat, le républicain Mitch McConnell, avait pourtant averti que le procès ne se tiendrait qu'une fois que le 45e président aurait quitté la Maison-Blanche et que son successeur Joe Biden aurait été assermenté.
La séance s'est ouverte au préalable avec un vote sur les paramètres du procès, qui ont été acceptés par une majorité d'élus. Le vote n'a pas réservé de surprise, puisqu'ils avaient fait l'objet d'une entente entre les leaders démocrates et républicains, qui a été appuyée tant par les procureurs que par la défense.
Le débat sur le fond s'amorcera mercredi
Ce débat sera suivi, dès mercredi, par les plaidoiries d'ouverture des procureurs, puis, deux jours plus tard, par celles de la défense. Les deux parties disposeront de 16 heures chacune pour présenter leurs arguments, mais elles ne sont pas obligées d'utiliser tout le temps qui leur est alloué.
Les procureurs s'efforceront de démontrer que Donald Trump a violé son serment d'office, attaqué le processus démocratique, mis le Congrès en péril et miné la sécurité nationale.
Le discours enflammé qu'il a prononcé le 6 janvier dans le parc de l'Ellipse, tout près du Capitole, sera bien sûr au centre de leur argumentation. Ils présenteront entre autres une vidéo récapitulative des événements montrant les réactions de ses partisans à sa rhétorique et à ses tweets en temps réel.
Ils étaieront également leur dossier par les gestes et les déclarations du président qui ont précédé cet événement. Pendant des mois, il a contesté la légitimité de l'élection, criant à la fraude électorale.
Les avocats de Donald Trump inscriront pour leur part sa contestation électorale et son discours du 6 janvier au centre d'un débat sur la liberté d’expression, garantie par le premier amendement, et argueront qu'il a au contraire admirablement assumé son rôle de président
.
Ils ont déjà télégraphié leur intention de montrer des images de manifestations antiracistes ayant dégénéré l'an dernier, et de critiquer en cela les démocrates.
L'éventuelle convocation de témoins a été laissée en suspens. Comme lors du premier procès en destitution, l'an dernier, la question fera subséquemment l’objet d’un vote après les plaidoiries d’ouverture, si les responsables de la mise en accusation en font la demande.
Les sénateurs auront ensuite l'occasion de soumettre des questions aux deux parties, avant les discours de clôture puis l'acquittement prévisible de Donald Trump, pour la deuxième fois en à peine plus d'un an.
La base électorale du Parti républicain reste extrêmement fidèle à Donald Trump et les sénateurs républicains sont conscients de la loyauté que leurs électeurs exigent.
Un verdict de culpabilité requiert l'appui des deux tiers des 100 sénateurs, soit 67. En misant sur l’hypothèse que les 50 démocrates soutiendront la destitution de Donald Trump, il faudrait donc que 17 républicains se joignent à eux pour que se concrétise le scénario, hautement improbable, d’une destitution.
Dans l'éventualité où les sénateurs votent en faveur d'une destitution, il y aurait un vote subséquent pour déterminer s’il peut à nouveau concourir à une élection, qui ne nécessiterait qu’une majorité simple.
Lors du procès en destitution découlant du dossier ukrainien, un seul républicain, le sénateur de l'Utah Mitt Romney, avait voté en faveur de la destitution de Donald Trump.