Trois-Rivières la nuit, un mois après le début du couvre-feu
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Rien sur la rue des Forges ne laissait à penser que c'était soir de Super Bowl, une soirée habituellement animée au centre-ville de Trois-Rivières.
Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Dimanche soir, 8 février. Pour plusieurs, c'était soir de Super Bowl, mais c'était aussi censé être la dernière soirée du couvre-feu. On sait maintenant que ça se poursuit encore quelque temps, au moins deux semaines. Un constat ressort un mois après la mise en place de l'interdiction de circuler la nuit : l'anormal est devenu la nouvelle normalité pour les Trifluviens qui vivent de nuit.
Vers 19 h 15, juste avant le couvre-feu, c'est le ballet des livreurs sur la rue des Forges. Ils sont pressés. Ils n'ont pas une minute à perdre. C'est une grosse soirée. D'ailleurs, les policiers nous confieront plus tard dans la soirée que les livreurs sont ceux qu'ils interceptent le plus sur les routes après 20 h. Ce sont principalement eux qui mobilisent les grandes artères de la ville.
La rue des Forges avait retrouvé son calme lorsque nous y sommes retournées vers 22 h. Même chose pour l'autoroute 40 qui traverse le centre-ville.
Quelques minutes avant le couvre-feu, une résidente d'un quartier près du boulevard des Chenaux marche d'un pas pressé. Elle croise un couple qui l'est beaucoup moins. Le couple promène un chien... qui n'est pas le sien. C'est le chien de ma fille!
, lance la marcheuse en riant. Son conjoint renchérit à la blague.
« On emprunte des animaux pour prendre des marches plus tard le soir! »
Ils nous informent que le site de Trois-Rivières sur Saint-Laurent est un endroit de prédilection pour les promeneurs de chiens en temps de couvre-feu.
À 20 h, Joanie Mackenzie attend son taxi devant le supermarché où elle travaille sur le boulevard du Saint-Maurice, dans un stationnement désert. La jeune employée note que l'attente est plus longue qu'à l'habitude ce soir. Elle ajoute que tout tourne au ralenti lorsqu'elle retourne chez elle depuis un mois. C'est aussi ce que remarque son chauffeur de taxi. Ça a changé beaucoup Trois-Rivières, dit-il. D'habitude, ça bouge plus que ça, mais là, c'est comme une ville fantôme.
Au cours de la soirée, tant les petites rues que les grandes artères trifluviennes sont désertes, ou presque.
Nathanaël Gauthier Duval a pris l’habitude de marcher pour aller travailler. Même qu’il y a pris goût en période de couvre-feu. Il y a pas mal moins de trafic, c’est le fun d’être tranquille
, dit celui que nous rencontrons près du Cégep de Trois-Rivières. Le jeune homme de 18 ans marche plus d’une heure pour se rendre au dépanneur où il travaille à partir de 23 h. Pour les gens comme moi qui vivent de nuit, ça ne change pas grand-chose. Je vis de jour ou de nuit, peu importe.
Il ne s’est jamais fait intercepter par la police. Ça, ça m’étonne, parce que je fais des grandes distances. J’aimerais ça que ça arrive, d’ailleurs!
Nathanaël Gauthier Duval ne le sait pas, mais s’il avait entrepris sa marche quelques minutes plus tard ce soir, il aurait été exaucé. Les policiers étaient en route.
Vers 21 h 50, la police de Trois-Rivières nous informe qu'un barrage policier se prépare aux coins du boulevard des Récollets et de la rue Jacques-de-Labadie. L'endroit est ciblé parce qu'il est stratégique. Les gens qui montent la côte des Récollets ne voient pas que des policiers font le guet plus haut et ils ne peuvent pas éviter le barrage. Deux autopatrouilles sont sur place. Le début de l’opération coïncide à peu près avec l’annonce de la victoire des Buccaneers au stade de Tampa Bay.
L’un des premiers qui se fera intercepter vers 22 h 15 est un autre jeune employé, qui rentre chez lui à pied. Il garde à portée de main son papier attestant qu’il a une raison valable d’être à l’extérieur, parce qu’il n’en est pas à son premier contrôle policier au cours des dernières semaines. Ça arrive souvent, mais [les policiers] sont tous très, très sympa.
Sur la vingtaine d’automobilistes qui croiseront le barrage policier, un seul fera l’objet d’une vérification plus approfondie. J’ai un mauvais feeling
, dit un policier à un confrère. Le contrôle dure plus d’une quinzaine de minutes. À plusieurs reprises, les policiers se retirent en conciliabule pour évaluer la situation. Finalement, ils concluent que tout est en règle.
Les policiers nous expliquent ensuite que la plupart des gens contrôlés disposent de leur autorisation de circuler pendant les heures du couvre-feu sur leur cellulaire ou sur papier. Mais le défi pour les forces de l’ordre est de s’assurer de l’authenticité de l’autorisation. Dans certains cas, ça peut avoir l’air d’une lettre écrite à l’ordinateur, qui n’a rien de formel ou d’officiel. Ça peut donc nécessiter une plus longue intervention.
La police de Trois-Rivières a remis un seul constat d'infraction au cours de la nuit de dimanche à lundi. Au total, plus de 120 contraventions ont été délivrées pendant ce premier mois du couvre-feu.
Entre 23 h 30 et un peu après minuit, l’action est palpable aux alentours du centre hospitalier de Trois-Rivières. Certains terminent leur quart de travail alors que d’autres entrent en poste. C’est le cas de Catherine St-Louis, qui s’apprête à entamer sa nuit de travail à l’unité COVID. Je suis positive! J’ai vécu la première vague, la deuxième vague… on lâche pas!
Elle espère que ses efforts et ceux de ses collègues seront bientôt récompensés.