AnalyseÉnergie éolienne : le vent a tourné
Que s’est-il passé pour que le discours public sur l’éolien connaisse un tel revirement?

Le gouvernement Legault a donné son feu vert au projet de parc d’éoliennes Apuiat.
Photo : Gracieuseté : site Internet d'Apuiat
Prenez note que cet article publié en 2021 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après avoir rejeté en 2018 le projet Apuiat, le jugeant coûteux et inutile en période de surplus, François Legault change son fusil d’épaule et relance maintenant le projet en collaboration avec les Innus et Boralex. Les surplus sont maintenant appelés à disparaître et le coût d’achat de la production éolienne est considéré comme plus avantageux que celui de nouvelles grandes centrales hydroélectriques dont la construction pourrait être envisagée.
En deux ans à peine, le ton du gouvernement du Québec et d’Hydro-Québec a complètement changé sur l’énergie éolienne. Non seulement on n’exprime plus d’inquiétudes sur la gestion des surplus, ce qui tendait à disparaître dans le discours depuis quelques années, mais on ne voit plus l’énergie éolienne comme étant trop chère et superflue.
On est loin du rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qui concluait en 2014 qu’il fallait suspendre les investissements dans La Romaine et dans l’éolien.
Et on est loin aussi du discours que tenait Hydro-Québec en 2013 et 2014, alors que la société d’État soulignait à grands traits que l’énergie provenant des parcs éoliens [coûtait] plus de 10 cents/kWh
.
Pourtant, dans la politique énergétique du gouvernement Couillard en 2016, le ministère de l’Énergie écrivait que le prix moyen de l’électricité des projets [éoliens] retenus dans le cadre de l’appel d’offres de 2013 était de 6,5 cents du kWh
.
Aujourd’hui, à 6 cents le kWh, le coût d’achat par Hydro-Québec de l’électricité qui sera produite à partir des éoliennes d’Apuiat sera encore moins cher que le prix moyen de 2013, bien moins cher que les projets d’il y a 15 ou 20 ans, à 13 cents le kWh. Moins cher également que l’évaluation qu’en faisait même Hydro-Québec en 2014.
Ce qui a changé
Que s’est-il donc passé pour qu’on assiste à un tel revirement à propos de l’éolien dans le discours public?
D’abord, c’est le changement de perception des Américains face à la propreté de l’hydroélectricité. Les États du Nord-Est américain, dont l’État de New York, considèrent maintenant l’hydroélectricité comme une énergie propre et comme une solution pour remplacer les énergies fossiles.
Cette évolution est fondamentale et ouvre des possibilités fort intéressantes pour Hydro-Québec.
Ensuite, le Québec est engagé dans l’électrification de ses transports et de son économie. En étudiant la demande pour les prochaines décennies, au moment où les projets s’additionnent, l’inquiétude de produire trop n’est plus la même.
L’éolien apparaît tout à coup comme une solution de choix dans ces circonstances, d’autant que son énergie coûte moins cher à l’achat que l’électricité de La Romaine, notamment.
Cet état de fait a amené le premier ministre à laisser tomber ses idées de grandeur. Il évoquait, en 2016, une nouvelle baie James du XXIe siècle
. Il parlait, comme premier ministre, en novembre 2018, de la possibilité de construire de nouveaux barrages.
Jeudi, François Legault a tenu à souligner que l’éolien est devenu hypercompétitif, même moins coûteux que les barrages
et les grandes centrales hydroélectriques.
Pas de tarifs à la hausse
Ce n’est pas en contradiction avec l’hydroélectricité
, a dit la PDG d’Hydro-Québec Sophie Brochu à Zone économie jeudi soir.
C’est une immense complémentarité. On est chanceux, on a les deux et, oui, il va y avoir plus de projets éoliens qui vont se développer au Québec
, a-t-elle affirmé.
Et contrairement aux projets éoliens annoncés en 2013 par le gouvernement Marois, Hydro-Québec assure qu’Apuiat, aujourd’hui, ne sera pas financé par des tarifs plus élevés pour les Québécois.
Le projet Apuiat n’a aucune incidence à la hausse sur les tarifs des clients d’Hydro-Québec. Ça, c’est important de le comprendre
, a insisté Sophie Brochu.
Des tonnes de projets…
Pour écouler les surplus de production, Hydro-Québec a opté pour une stratégie d’exportation. Son objectif est de construire des lignes de transport pour envoyer l’électricité dans le Nord-Est américain et dans les provinces voisines.
Le Québec produit 213 TWh par année et importe 33 TWh, souvent nécessaires en périodes de pointe. Le volume annuel d’électricité disponible, ce qu’on nomme les surplus, s’élève à 32 TWh. Déjà, Hydro-Québec s’apprête à utiliser environ la moitié de ces surplus pour exporter de l’électricité aux États-Unis.
Il y a le New England Clean Energy Connect (NECEC) qui doit permettre le transport de 9,45 TWh annuellement dès 2022 vers le Massachusetts. Le permis présidentiel, aux États-Unis, a été obtenu en janvier par Hydro-Québec.
Et il y a des projets avec la Ville de New York qui pourraient nécessiter l’utilisation de 8 TWh dès 2024. Le gouverneur Andrew Cuomo a annoncé récemment son vif intérêt pour l’hydroélectricité du Québec.
À cela, il faut ajouter l’engagement du Québec à électrifier ses transports. Selon une analyse diffusée en octobre par la Chaire de gestion du secteur de l'Énergie de HEC Montréal, 2 millions de véhicules électriques en 2030 au Québec demanderaient environ 6 TWh d’énergie.
Si on construit 20 centres de données informatiques, on utilisera 5 TWh. Et 10 centres de chaînes de blocs, c’est 3,5 TWh. Avec 200 gros producteurs en serre, on aura besoin de 2 TWh. Et pour le projet du REM (Réseau express métropolitain), on utilisera 0,4 TWh par an.
Si le projet GNL Québec va de l’avant, son usine de liquéfaction va utiliser 5 TWh d’énergie. Les projets d’hydrogène d’Air Liquide à Bécancour et de Greenfield à Varennes, c’est encore 4 TWh de plus.
Si tous ces projets devaient devenir réalité, on épuiserait clairement les surplus actuels.