Aung San Suu Kyi appelle au rejet du coup d’État au Myanmar
Une manifestation a été organisée à Bangkok, en Thaïlande, devant l'ambassade du Myanmar, après la prise du pouvoir par l'armée, le 1er février 2021.
Photo : Reuters / Athit Perawongmetha
La Ligue nationale pour la démocratie (LND) a diffusé lundi sur sa page Facebook un message attribué à sa leader, Aung Sang Suu Kyi, qui invite les Birmans à « ne pas accepter » le coup d’État mené par l'armée.
Selon la LND
, le message, qui porte le nom de la leader incontestée du parti, mais pas sa signature, a été écrit avant le putsch, qui met un terme à des années d'expérimentation démocratique dans le pays.L'armée tente de replacer le pays sous la dictature
, indique la déclaration. Je presse la population de ne pas accepter cela, de répondre et [...] de protester contre le coup d'État de l'armée.
Concrètement, personne n'a vu Aung San Suu Kyi depuis le coup d'État, perpétré tôt lundi matin, heure locale, sous prétexte d'allégations de fraudes survenues lors des législatives de novembre, remportées haut la main par la LND
.D'après un porte-parole du parti, Myo Nyunt, la Prix Nobel de la paix 1991, le président de la République, Win Myint, et d'autres responsables de son parti seraient détenus dans la capitale, Naypyidaw.
Le commandant en chef de l'armée birmane, le général Min Aung Hlaing, a été installé au pouvoir par l'armée, qui a dirigé le pays la plupart du temps depuis son indépendance, en 1948.
L'armée a en outre décrété l'état d'urgence pour un an et affirmé qu'au terme de cette période, de nouvelles élections libres et équitables
seront tenues, et le pouvoir, rendu au civil.
Mais la population se montrait pessimiste. Je crains que ce ne soit plus long [...] il faut se préparer au pire
, a commenté Lamin Oo, un réalisateur de 35 ans rencontré par l'AFP .
« Notre pays était un oiseau qui apprenait à voler. Maintenant, l'armée a brisé nos ailes. »
Ma mère m'a réveillée avec la nouvelle de l'arrestation de Aung San Suu Kyi, explique une femme de 25 ans travaillant en relations publiques. J'étais sous le choc. Je suis rapidement allée chercher mon frère chez lui. Sur le chemin du retour, j'étais en larmes. Je suis en colère et anxieuse.
Durant la journée, lundi, les habitants de Rangoon, paniqués, faisaient la queue devant les épiceries et les guichets bancaires automatiques pour retirer de l'argent comptant. Ils se sont toutefois rapidement rendu compte que ceux-ci ne sont plus fonctionnels et que les banques sont fermées jusqu'à mardi.
Des barrages routiers ont été installés, notamment autour du parlement à Naypyidaw, et des militaires ont été observés à l'extérieur de bâtiments gouvernementaux.
Les avions sont aussi cloués au sol pour l'instant.
À la tombée de la nuit, les rues étaient désertes. Les rares habitants rencontrés par l'AFPC'est extrêmement bouleversant
, Je ne veux pas de putsch militaire
, pouvait-on entendre.
Les Birmans ont également exprimé leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux. Plus de 325 000 utilisateurs Facebook ont utilisé le mot-clic #SaveMyanmar (Sauvons le Myanmar) et plusieurs ont aussi changé leur photo de profil contre un fond noir ou rouge pour montrer leur désarroi ou leur soutien au LND
.Un message largement partagé se lit comme suit : Nous, citoyens du Myanmar, ne sommes pas d'accord avec le mouvement actuel et demandons aux leaders internationaux, à l'ONU et aux médias d'aider notre pays, nos dirigeants et notre peuple face à cette action.
L'auteur et historien Thant Myint-U a écrit sur Twitter que les portes d'un futur très différent viennent de s'ouvrir
. J'ai le sentiment que personne ne pourra contrôler ce qui s'en vient.
Quelques rassemblements proarmée de partisans brandissant des drapeaux et entonnant des chants nationalistes se sont rapidement dispersés.
Lundi soir, la télévision d'État a annoncé le départ de 24 ministres et la nomination de 11 nouveaux.
Condamnations internationales
Le coup de force des militaires a été accueilli par une vague d’indignation partout dans le monde.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a fermement
condamné l'arrestation d'Aung San Suu Kyi et d'autres dirigeants.
Avec la déclaration du transfert de tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires aux militaires
, c'est un coup dur [porté] aux réformes démocratiques au Myanmar
, a-t-il déclaré.
La haute-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a dit être alarmée par des informations selon lesquelles 45 personnes sont détenues par le nouveau pouvoir. Elle a dit craindre que des voix dissidentes soient violemment réprimées, et a appelé l'armée à ne pas utiliser une force inutile ou excessive
à leur endroit.
Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira d'ailleurs d'urgence mardi matin pour se pencher sur la situation dans ce pays.
La communauté internationale doit parler d'une seule voix pour exiger de l'armée birmane qu'elle rende immédiatement le pouvoir
, a commenté le président américain Joe Biden qui a menacé de réimposer des sanctions.
« Dans une démocratie, la force ne devrait jamais chercher à se substituer à la volonté du peuple ni tenter d'effacer le résultat d'une élection crédible. Depuis une décennie, la population [du Myanmar] travaillait constamment pour établir des élections, la gouvernance civile et le transfert pacifique du pouvoir. Ce progrès doit être respecté. »
Le Canada s'est dit vivement préoccupé par les récentes actions de l’armée du Myanmar, qui compromettent le processus pacifique de transition démocratique
. Dans une déclaration, Marc Garneau, ministre des Affaires étrangères, a appelé l’armée du Myanmar à libérer toutes les personnes détenues dans le cadre de cette opération
.
En entrevue à Tout un matin, Bob Rae, ambassadeur du Canada aux Nations unies et ancien envoyé spécial du Canada au Myanmar, a affirmé ne pas être étonné par ce coup d’État.
La Constitution [de 2008] du Myanmar est un peu bizarre parce qu’elle donne toujours beaucoup de pouvoir aux militaires
, a-t-il dit. Elle a été spécifiquement conçue pour garantir que le pouvoir militaire soit profondément ancré et protégé
.
Par l'intermédiaire de son compte Twitter, le président du Conseil européen, Charles Michel, a réclamé lui aussi la libération immédiate
des personnes arrêtées et a demandé à ce que le résultat des élections soit respecté.
D’une même voix, Paris, Berlin, Madrid et Rome ont également demandé la libération immédiate
des membres du gouvernement et du Parlement arrêtés.
Le vote de la population doit être respecté
, a quant à lui lancé le premier ministre britannique, Boris Johnson.
Londres a convoqué lundi l'ambassadeur birman au Royaume-Uni pour condamner le coup d'État
et exiger la libération immédiate
d'Aung San Suu Kyi et des civils arrêtés illégalement
.
À Moscou, le porte-parole du Kremlin s’est contenté de dire que son pays suivait très attentivement
la situation et a précisé qu’il était très tôt pour en donner une évaluation
.
La Chine a appelé, pour sa part, au règlement des différends dans le cadre de la Constitution et des lois
. Sa déclaration ne condamne pas explicitement le coup d'État.
La Turquie, qui a été le théâtre d’une tentative de coup d’État en 2016, espère que cette situation ne va pas empirer la situation des Rohingyas musulmans vivant dans de dures conditions au Myanmar
.
Un mouvement de soutien pour Aung San Suu Kyi?
Invité au micro de Tout un matin, Loïc Tassé, politologue, spécialiste de la Chine et de l'Asie et chargé de cours à l'Université de Montréal, pense qu’un mouvement de soutien se dessine dans les pays démocratiques.
Il rappelle que les militaires birmans ne sont pas aimés par la population
.
« Ils ont mauvaise presse à l’international, même si Aung San Suu Kyi a perdu beaucoup de son aura en raison de son rôle dans la gestion du dossier des Rohingyas [elle avait avalisé la violente campagne militaire contre cette minorité]. »
Ce n’est pas une question de la [Aung San Suu Kyi] soutenir, mais il s’agit de soutenir la démocratie
, insiste de son côté Bob Rae.
Prétextant la préservation de la stabilité de l'État, les militaires ont affirmé que leur action était nécessaire et ont accusé la commission électorale de ne pas avoir remédié aux énormes irrégularités qui auraient eu lieu lors des législatives de novembre.
Ces élections ont été largement remportées par le parti d'Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis 2015.